vendredi 26 octobre 2007

Saint Guy Môquet des victimes

Guy Môquet

La France ne manque pas de héros. Ni la France ni les autres pays d’ailleurs, puisque le héros est un mythe qu’il suffit de produire, comme on produit de l’argent avec une planche à billets. La plupart du temps, on s’arrange pour choisir un personnage possédant les qualités qu’on veut magnifier à travers lui. Michel-Ange est un héros de la Renaissance parce qu’il est surdoué, parce qu’il est un travailleur acharné, parce qu’il construit, en face de Dieu, une place essentielle à l’homme. Saladin est un héros parce qu’il est patient, souverainement efficace à la guerre, qu’il combat pour le Bien, qu’il est magnanime avec ceux qu’il vainc, c'est-à-dire qu’il n’est pas atteint par la haine (pas plus que notre Jeanne d’Arc). Jean Moulin était jusqu’ici le héros type de la Résistance française. En proie au doute quand il tente de se suicider (l'aspect « faiblesse humaine »), il choisit l’action, se rend indispensable, part à Londres, organise la Résistance, se fait prendre sur dénonciation (rôle repoussoir de la traîtrise), et meurt martyrisé en juillet 43, après une longue œuvre de résistance.

Guy Môquet est un héros de la Résistance depuis le lendemain de sa mort. Il n’est pas le seul, et on peut donc se demander pourquoi c’est sur lui que Nicolas Sarkozy a décidé de miser.

La France a décidé de faire de Guy Môquet un modèle pour la jeunesse. C’est en effet dans les écoles que sa lettre a été lue, ce sont les enseignants qui ont été requis pour le faire, c’est son exemple que l’on veut montrer aux jeunes gens nés 70 ans après lui. Mais l’exemple de quoi, au juste ? Guy Môquet n’a jamais tué d’Allemands, il n’a peut-être jamais manipulé une arme de sa vie. C’est un militant communiste qui a été emprisonné en octobre 1940 pour avoir diffusé des tracts dénonçant la misère et les riches désignés responsables de la guerre et de la défaite. Il n’a pas posé de bombe, il n’a poignardé personne, il n’a organisé aucune action d’éclat. Il reste emprisonné un an, au bout duquel il est fusillé, avec d’autres, en représailles de l’assassinat d’un officier allemand auquel il n’a eu aucune part. C’est donc une pure victime. On peut se demander si le choix d’une victime comme emblème est de nature à « faire réfléchir » la jeunesse Ipodisée de notre beau pays, et si il existe une seule personne en France pour penser que son exemple est à suivre en quoi que ce soit. Se faire tuer comme au casse-pipes, les mains attachées, avec comme seul fait d’armes celui d’avoir des convictions !? Mais les convictions, c’est comme le trou du cul : tout le monde en a… pas seulement les héros ! L’idée est peut-être, en pinaclant une victime absolue (un quasi-enfant désarmé, prisonnier, innocent), de donner un miroir compatissant à la jeunesse française déjà bien auto apitoyée. Dans une époque où un malabar de 20 ans en pleine santé est capable de prétendre qu’il n’y a pas d’avenir, à quoi sert vraiment de statufier un pauvre garçon, un loser, comme Guy Môquet ?

Pour ce qui est de l’édification historico-nationale, le choix de Môquet est tout aussi curieux. C’est un fils de communiste, et communiste lui-même comme on l’était alors : passionné, absolu, fanatique. Son idéal, comme beaucoup de gens sincèrement convaincus à l’époque, c’est l’Internationale. Ce projet désuet est-il vraiment un exemple de nature à renforcer la cohésion de notre micro nation ? Pourquoi ne pas avoir choisi un combattant comme Missak Manouchian, étranger de naissance ayant servi la France en le payant de sa vie, par ailleurs auteur d’une lettre d’adieu aux siens qui révèle une grandeur d’âme incomparable (c’est un avis personnel) ? C’est clairement parce Môquet n’a tué personne qu’il est choisi comme emblème : réussir à devenir un héros en temps de guerre, mais sans tuer d’ennemis. C’est la gageure que la France du Bien a réussie grâce à la finesse présidentielle. Vaincre, mais sans qu'il y ait de vaincus ! Un héros aux dépens de personne, juste un mec qu’on butte contre un mur pendant qu’il crie maman ! C’est la traduction française de la tradition euphémisante qui permit à des bombardiers titanesques de ne pratiquer que des frappes chirurgicales dans une récente guerre télévisée...

L’utilisation de la lettre de Guy Môquet à des fins de galvanisation sportive a montré ses limites il y a peu de temps. Elle montrera ses limites sociétales bientôt. Dans quelques années, on se souviendra de cette première période de règne Sarkozien comme d’un rêve, un moment abstrait où tout le monde savait bien qu’on ne gagne pas un match de rugby en se ramollissant le cœur à l’évocation d’une vie brisée, où chaque citoyen avait parfaitement compris que les héros sacrificiels du passé ne sont plus d’aucune utilité dans la France de Laure Manaudou, de Marc-Olivier Fogiel et des sports d’hiver, mais où le Président de la République et les journaux continuaient de faire comme si.