jeudi 29 novembre 2007

J'irai ronfler sur vos films !

Génial !

On sort du cinéma, on vient de voir un film, et on ne l’aime pas. Ça arrive, c’est plus ou moins fréquent. Il arrive aussi qu’on le déteste carrément. C’est légitime. Mais est-il permis de détester un film qu’on n’a pas vu ?

Norah Jones est, tout le monde ne le sait pas, la fille du grand Ravi Shankar. Malgré cet héritage, elle chante d’une voix morne des chansons pitoyables, sur des airs convenus. Cette enfant de la baballe fait semblant de chanter du blues, tandis que des cons font semblant de savoir ce que c’est. Elle pousse deux complaintes faméliques sur trois misérables accords mous, sans le moindre espoir d’arriver à quoi que ce soit, achevant sous elle le tempo le plus moribond, et elle recueille encore les applaudissements des têtes à claques. Reprenant un genre musical qui a déjà tout donné au monde, elle a l’invraisemblable orgueil de prétendre y ajouter un chapitre, et elle accouche d’un bourbier de bémols. Qu’elle plaise à un public blanc européen musicalement inculte, c’est déjà dur à avaler, mais je le conçois. En revanche, que la presse spécialisée et les connaisseurs médiatisés n’aient pas, depuis le premier quart d’heure de sa carrière, taillé un costard définitif à cette endormeuse, ça me scie le boudin ! Une expérience fut pourtant tentée à l’Université de Philadelphie (musicologie) : faire écouter le premier disque de la Jones à une bourriche d’huîtres vieilles de trois semaines : les pauvres mollusques trouvèrent quand même la force de s’éloigner pour aller mourir ailleurs.

Cette icône de la variétoche façon blues est, il faut le reconnaître, physiquement délicieuse : dans une société qui vénère autant les images, fussent-elles truquées et vides de sens, sa percée dans la chansonnette devait forcément lui ouvrir d’autres portes. Nous aurons donc Norah Jones actrice, avant Norah Jones ambassadrice de l’Unesco, puis Norah Jones présidente des Etats-Unis. La seule chose à souhaiter, c’est qu’elle transpose alors dans la politique l’apathie de ses blues pour hospices de vieux, et qu’elle foute enfin la paix universelle au reste du monde.

On se souvient d’un précédent succès de Wong Kar-Wai : In the mood for love. Un concert d’éloges s’était abattu sur ce navet, particulièrement en France. On avait sans doute vu, dans ce Chinois influencé par la Nouvelle Vague, le dernier spécimen d’humain n’ayant pas remarqué à quel point la Nouvelle Vague avait pris un coup de vieux.

Dans In the mood for love, on voit des plans de femmes de dos, au ralenti. C’est beau une femme, de dos, au ralenti. Surtout une belle femme. Au seizième plan identique, en plus d’être beau, ça devient chiant : loi universelle. Wong Kar-Wai restera peut-être dans les annales pour avoir réussi l’exploit de faire chiant avec du beau… Autre trouvaille du génie : la zique. Un putain de refrain mollasson revient en boucle chaque fois qu’un enculé ouvre une porte, c’est à devenir fou ! Le maniaque passe et repasse toujours le même, dans l’espoir de faire également chiant avec des notes de musique. Troisième trouvaille (en dehors du traitement de la couleur qui ferait admirer la finesse d’un JP Jeunet), les grilles. Oui ! souvenez-vous : les deux personnages sont prisonniers des circonstances, de la promiscuité, de leurs familles, de tout, et quand ils se voient dans la rue, une grille est toujours placée entre eux et la caméra… symbole de l’enfermement… voyez ? Une grille de square (travelling), une autre grille de square (travelling), une autre grille de square (travelling ), etc.

Il est écrit que Wong Kar-Wai peut faire chiant avec tout, même des grilles de square !

Cette plaisanterie fut présentée comme pleine de finesse, on en vanta partout la délicatesse (je le jure !) et la beauté… j’aurai vécu ça. A l’heure du bilan de ma vie, je pourrai dire que j’ai vécu une époque qui a fait passer des cordes à nœud pour de la délicatesse, la mollesse pour de la sensibilité, et les applaudissements d’otaries de cirque pour de la critique cinématographique ! Hé merde…

Mais on n’en a jamais fini avec la tonneau des Danaïdes : Wong Kar-Wai sort donc un nouveau film avec, évidemment, ce cruchon de Norah Jones en vedette ! Est-il permis de détester un film qu’on n’a pas vu ?

mercredi 28 novembre 2007

Le sens de la matraque

Dans ta gueule !

Il faudrait tenir une chronique des interdictions dans la France du début du XXIème siècle. Mieux encore, une chronique qui garderait la mémoire des demandes d’interdictions, des vœux exprimés par la voix d’associations diverses, d’avocats écoutés ou de personnalités influentes. Gros travail, on n’en finirait pas.

Ce mardi 27 novembre 2007, j’ai entendu une émission stupide sur France Inter. On y parlait de Baby First, une chaîne de télé exclusivement consacrée aux petits enfants, à partir de quelques mois. On apprend que ses programmes sont faits par des spécialistes des enfants ( ?) et que récemment, une brochette de scientifiques y auraient déclaré que les nourrissons se développent mieux intellectuellement quand ils sont mis devant la télé entre zéro et deux ans. A un Français de 2007, cette affirmation paraît légitimement incroyable, autant que la théorie de Galilée aux gens de son temps. On a envie d’en savoir plus, même si on subodore que les scientifiques en question sont des potes de bistrot du patron de la chaîne. Mais dans le studio de France Inter, un pédagogue autorisé réclamait déjà l’interdiction de Baby First…

Aux infos qui suivirent, on nous fit quelques rapports des événements de Villiers-le-Bel, et on apprit qu’un maire de patelin voisin réclamait l’interdiction des mini motos. Que se serait-il passé si les deux jeunes s’étaient jetés sous les roues de la voiture des flics en Vélib ? Aurait-on demandé l’interdiction de ce bel outil électoralo-écolo-économico-dans le vent ? Les mini motos sont moches, bruyantes, mal fichues, invraisemblablement ridicules, mais faut-il forcément les interdire ? Interdit-on la chanson française ?

Puis, nous sommes passé au sujet de la future loi contre la tabagie dans les lieux recevant du public. Elle prévoit une interdiction de fumer aux terrasses des cafés. Tu peux fumer dehors, dans la rue, très près d’une terrasse bondée, mais si tu prends une chaise, stop ! Puis vint le délicat problème des conducteurs de voitures qui continuent de téléphoner avec des oreillettes, malgré les dangers dantesques qui menacent tout automobiliste qui papote, même les deux mains sur le volant et les fesses serrées à donf. Faut-il interdire la causette au volant ? Oui répondent déjà quelques militants.

Faut-il interdire de rouler en vélo sans casque ? OUI
Faut-il interdire de dénigrer la Constitution ? OUI
Faut-il interdire le blasphème ? OUI
Faut-il interdire l’aérophagie ? OUI
Faut-il interdire de siffler le drapeau ? OUI
Faut-il interdire la douleur ? OUI
Faut-il interdire les erreurs médicales ? OUI
faut-il interdire de débiner les flics? OUI
Faut-il interdire l’imparfait du subjonctif ? OUI
Faut-il interdire le référendum ? OUI
Faut-il interdire les gros mots ? OUI
Faut-il interdire la misère ? OUI
Faut-il interdire la richesse ? OUI
Faut-il interdire de bouffer des conserves ? OUI
Faut-il interdire le réchauffement du climat ? OUI
Faut-il interdire l’Histoire ? OUI
Faut-il interdire le désespoir ? OUI

Maurice Béjart parle


Bejart, par Harcourt

En passant, je signale que France Culture diffuse une série de cinq entretiens passionnants avec Maurice Béjart (datant de 2005), à l’occasion de sa mort.

A voix nue, tous les soirs de 20h à 20h30. Béjart parle de la danse, mais encore plus de tous les gens qu’il a croisés, qui furent aussi nombreux qu’intéressants, et du siècle qu’il a vécu. Ce mardi soir, il a évoqué Stravinsky et Pierre Shaeffer, entre autres. Comme si on y était.

lundi 26 novembre 2007

Des ministres de combat

La prochaine fois, j'y colle une droite!

Julien Dray, de passage sur Canal+, a avoué avoir reçu une proposition de portefeuille ministériel de la part de Nicolas Sarkozy. On savait Sarko instable nerveusement, on le découvre totalement déjanté.

Dray n’a pas accepté la proposition bien qu’il « apprécie » le Patron : « ça fait longtemps qu’on se connaît, qu’on se combat, qu’on s’apprécie », a précisé le lécheur de cul. Il faut savoir que Sarko et Dray ont passé leur ceinture noire de karaté dans le même club (Amicale du Karaté de Noeuilly) et que le Boss, moins puissant en valeur absolue mais meilleur à mi-distance, a surpris son adversaire en lui faisant sa proposition pendant un combat.

- Vlan ! Paf ! Au fait, Ju, qu’est-ce que tu dirais du portefeuille de l’Intérieur ?

- Qu… quoi !? (Pouf, pouf…)

- L’Intérieur ! Ministre, quoi !

- Pourquoi moi, chef?

- Pour la guerre sociale qui s'prépare, j'ai besoin de ministres de combat!

- Mais, je suis de g... gauche!

- Justement, Juju, tu connais le peupl', ça sera plus facile.

- Moi, ministre ? Je… (déconcentré, le joufflu se fait cueillir par un mawashi geri de toute beauté, et se couche dans un grand pof)

- J’ai encore gagnéééé !

A cours d’adversaires à qui proposer un ministère, le Pezident aurait approché un haut responsable de la direction du Cultural GangBang, qui a pour l’instant décliné l’invitation. « Ministre du travail, ça serait un comble ! ».

Bientôt ministre...

L’Elysée parle en revanche « d’avancées significatives » du côté de deux ou trois commentateurs anonymes du célèbre blog, qui n’avaient rien de mieux à faire depuis quelque temps.

dimanche 25 novembre 2007

Vends termitière avec vue sur le métro


Le 12 novembre dernier, le Conseil de Paris a lancé le projet de construction de 3500 logements sur une ancienne friche de la SNCF dans le 17è arrondissement, aux Batignolles. Il y aura de tout, des écoles, des crèches (remarquez comme le point des crèches est systématiquement mis en avant par les maires, dans une époque où il y a de plus en plus de vieux et de moins en moins d’enfants…), des pistes cyclables, des logements pour les étudiants, et bien d’autres merveilles chauffées aux énergies renouvelables. Ça va vraiment être super d’habiter là !

Evidemment, la question des loyers est sur la table. 109 000 demandes de logements à loyer modérés sont actuellement enregistrées à Paris. Or, le projet en question prévoit 950 logements sociaux… On imagine sans peine qu’à moins de quatre mois des élections municipales, chaque camp y est allé de ses idées : le quartier des Batignolles est situé dans l’arrondissement de Françoise de Panafieu, pas question de laisser Delanoë tirer toute la couverture à lui.

Dans cette épreuve de grappillage, puisque la question des logements sociaux est sensible et qu’on cherche des solutions, le parti communiste a suggéré qu’on abolisse la limite légale de 37 mètres de hauteur pour les constructions neuves, et qu’on la passe à 50 mètres. Quelques mètres de plus où on peut loger du monde, a benoîtement suggéré le représentant communiste. Pour les Verts, en revanche, le souci de l’environnement est une priorité qui ne se discute plus, et « l’environnement, c’est d’abord de l’esthétique ». L’adjoint de Denis Baupin se dit « interpelé » par la proposition du PCF, mais ne veut pas transiger : « des tours de 50 mètres, non ! on n’est pas à Varsovie » ! Dans un souci d’apaisement, le Vert a tout de même tenté de concilier les deux positions en proposant de construire des immeubles de 50 mètres, dont 13 mètres enterrés. On en resterait donc à 37 mètres visibles, mais on aurait quatre étages supplémentaires qui ne défigurent pas le ciel, a-t-il poétiquement remarqué.

La chambre des gosses

Le Conseil parie que sur 109 000 demandes de logements, on trouvera bien des volontaires pour ces appartements-là. De Panafieu, quant à elle, avertit son monde : en tant que femme de terrain, je sais qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, et qu’il faudra faire un effort à la baisse pour les loyers.

jeudi 22 novembre 2007

Ma liberté de poèter

Une chevelure de poète

Certains événements font froid dans le dos parce qu’ils sont inattendus, et que leur violence est amplifiée par notre distraction. D’autres nous accablent parce qu’on savait bien qu’ils allaient arriver, parce qu’il ne pouvait en être autrement, et qu’il faut bien y passer. La fatalité nous touche, elle nous remet à notre place de faibles hommes, elle rappelle à notre orgueil que la puissance de la nature, surtout dans ses catastrophes, est indifférente à la vie humaine.
Florent Pagny vient de sortir un « Florent Pagny chante Brel », oui, un disque. Bien sûr, tout le monde chante Brel, tout le monde fredonne la Traviata ou la Cinquième de Beethoven mais on n’en fait pas un disque pour autant. Florent Pagny, si. Il a donc pensé qu’il pouvait apporter quelque chose au patrimoine Jacques Brel, à ce que le public connaît de ce chanteur. (un peu comme Johnny Hallyday a pensé apporter sa pierre à l’édifice de la maison Brassens en reprenant virilement le trop gentil « Parapluie »…) Il a pensé que par delà la mort, il pouvait redonner vie à ce grand homme. « Florent Pagny nique ta mort » est d’ailleurs le titre qu’il avait proposé à Bob Crappy, dircom de Mercury-Universal, homme d’ouverture mais aussi de bon sens, qui sut dissuader le thanato fighter
Pagny, qui, ne l’oublions pas, a écrit les paroles de son célèbre hit « N’importe quoi », avait eu la prescience de son engagement lorsqu’il écrivait son immortel refrain


« Et là, tu crois
Qu'je vais rester là sans rien dire ?
Ah oui, tu crois
Qu'je vais rester planté là
A te voir partir dans tes délires
Et te laisser faire n'importe quoi ? »


Ecrit en 1988, ce texte bouleversant s’adressait déjà à Brel et semblait lui dire que Pagny ne le laisserait pas partir dans l’oubli (l’inconscient Brel avait eu la distraction de mourir dix ans plus tôt), qu’il ne resterait pas muet face à ça (remarquons au passage la double répétition du LA, astuce inédite, message subliminal qui introduit de la musique dans l’aridité grammaticale : là, là, là !).
Un papier du Figaro nous en apprend plus sur les motivations du poète barbu :
http://www.lefigaro.fr/musique/2007/11/19/03006-20071119ARTFIG00345-lautoportrait-de-florent-pagny-en-jacques-brel-.php
On peut y lire que le choix d’aller vivre loin de la France fut inspiré par la vie même de Brel. Le grand Jacques nous a en quelque sorte privé de la jouissance permanente de Florent Pagny sur le sol national ! Dommage que, dans son souci de se fondre dans le brélisme, Pagny se soit arrêté au chapitre des voyages et qu’il n’ait pris, comme Brel en son temps, la décision d’arrêter brutalement de chanter.
Mais l’année 2007 nous gâte bien plus encore que cette nouvelle pourrait le faire croire. Fidèle à son isolement et à sa légendaire discrétion, Julien Gracq n’a pas encore annoncé son dernier travail, qui s’inscrit dans le droit fil de la geste de Pagny, et qui restera peut-être sans publicité (à part le modeste filet que vous avez sous les yeux) : sa reprise des meilleurs textes de Richard Anthony.

mercredi 21 novembre 2007

Ouais, une bonne grosse grève !

Huuuum !

Un conflit entre des lycéens et un gouvernement est toujours regardé comme « sympathique » par les jeunistes, et pitoyable par ceux qui, au-delà même de la légitimité de l’action, se bornent à en écouter les discours. Evidemment, on ne peut pas s’attendre à du très haut niveau quand les combattants ont 16 ans d’âge moyen…
Pour le cas des étudiants, la fatuité de celui qui vient d’aborder Bourdieu en cours redouble souvent l’envie grégaire de faire comme les anciens, et de fonder dans la pseudo anarchie d’une grève, la pseudo violence d’une manif, une vie de citoyen qui débute. Pour être parfaitement juste, il faudrait donc pouvoir séparer l’objet d’une grève et la tronche boutonneuse de ceux qui la présentent aux interviews. Fondamentalement, une grève chez Toyota ne fait pas chier grand monde. Elle passe plus ou moins inaperçue, sauf aux yeux de ses dirigeants, et à ceux des grévistes eux-mêmes quand ils regardent leur portefeuille en fin de mois. Une grève à la SNCF, pardon, c’est aut’chose ! D’une façon générale, une grève touchant un service au public, (éboueurs, contrôleurs aériens, hôpitaux, etc.) est immédiatement en phase avec le citoyen de base, tout égoïste qu’il puisse être. Et il n’aime pas ça, le citoyen égoïste. Quand trois mètres cube de merdes encombrent le trottoir parce que les éboueurs arrêtent d’ébouer, on en arrive vite à ne plus les plaindre du tout ! Ce n’est pas très juste, ce n’est pas très intelligent, c’est humain. C’est sur cet « agacement » que comptent d’ailleurs les grévistes, et aussi ceux qui les combattent. Or, depuis quelques années, chaque grève ou presque est l’occasion d’entendre un refrain auto flagellateur sur la France, qui se barre en couilles chère madame, et qui est désormais ingouvernable, irréformable, indécrottable. Le problème de ce genre d’affirmations, c’est qu’elles peuvent avoir une part de réalité que chacun ressent ou observe, mais qu’elles présentent la chose comme une spécialité, une tradition funeste qui épargnerait les autres pays. Le site de l’Acrimed présente la synthèse de plusieurs études démontrant exactement l’inverse.
http://www.acrimed.org/article2415.html
Après cette étude (qui a plus d'un an), puisque nous sommes des gens rationnels, (et sauf à soutenir qu’il y a trop de grèves car on en rejette le principe même) il est donc désormais acquis que le prochain qui affirmera que la France est la championne du monde des grèves (sous-entendu : nous sommes un pays de fortes têtes opposées à tout changement) sera désigné comme un ignorant, un feignant, un faux jeton ou un simple trou du cul.

lundi 19 novembre 2007

Les cons parlent français

Un anglicisme peut en cacher un autre...

Il est de bon ton de se moquer des anglicismes les plus sauvages, les plus inattendus, surtout dans les premiers temps de leur apparition. Puis l’habitude fait son œuvre, et on se met à les employer, pour être compris, parce qu’après tout, ils disent bien la chose à dire, parce que nous sommes des francophones, c'est-à-dire adeptes d’une langue qui « recule ». Les optimistes de principe diront que la langue évolue, ce qui n’est pas contradictoire avec la première affirmation, mais la question n’est pas là.

Les anglicismes sont pratiques, car ils sont faciles à repérer. Quand on veut se moquer sans risque d’un couillon (un publicitaire, par exemple), on relève les anglicismes qu’il emploie. Les anglicismes, remarquons-le, ne sont utilisés nulle part autant que dans le français « de l’entreprise », cash flow, joint-venture, le ridicule reporting, etc. C’est sans doute explicable par le fait que les économistes et les chefs d’entreprises en général se foutent complètement de la langue française, comme ils se foutraient de l’anglaise si elle n’était pas un vecteur de puissance et de pognon. Le monde du sport, qui est un laboratoire idéal pour la compétition économique, s’est brutalement anglicisé depuis peu : on disait poules pour désigner les catégories en championnat de rugby, on utilise désormais l’extravagant TOP 14 ! En foot, la coupe des champions a été soudain remplacée, on ne sait pourquoi, par la champions league. Habituellement, le mot ligue évoquait les organisations d’extrême droite des années 20 et 30, les Camelots du roi, les Croix-de-feu, les Jeunesses patriotes ou le fameux Faisceau, autant dire qu’on ne se précipitait pas trop sur ce mot depuis. On parle désormais de ligue 1 (en français, s’il vous plait !) pour désigner l’ancienne première division, ce mot de division étant probablement chargé de tant de négativité qu’il effrayait les requins du ballon rond eux-mêmes ! Brrr ! En formule 1, le warm up est apparu sans nécessité, à la joie et à l’initiative des journalistes sportifs. On pourrait y passer trois pages….

Mais justement, les anglicismes plaqués brutalement sur le langage courant sont tellement repérables qu’ils font de l’ombre à un phénomène bien plus grave, qui est lui de la pure connerie, et que personne ne semble remarquer. Il y a quelques décennies, personne n’aurait compris ce que désignent les expressions « idées recettes » ou « gâteaux sésame ». Aujourd’hui, ces purs anglicismes travestis sont parmi nous, ils remplacent les ringardissimes idées de recettes et les néanderthaliens gâteaux au sésame. Accoler brutalement deux mots pour créer une expression valide est une pratique que le français laissait à l’anglais, jusqu’à ce qu’on se rende compte que tout le monde s’en fout. Ouvrez n’importe quel magazine, n’importe quel prospectus publicitaire (attention, le mélange abominable de couleurs vives peut provoquer des vomissements), vous trouverez de ces attentats grammaticaux : les fameuses fiches produits, le gigantesque Carrefour Hypermarchés France, le très occupé responsable achats, les poétiques billets avion, les pédophiliques vélos enfants, les bienvenues astuces bricolage, les rassurants produits bois, les aventureux projets vacances, la puissante barre chocolat et une gamme proliférante d’autres expressions de la même farine. C’est laid, c’est stupide, c’est surtout inutile, c’est pour ça que ça plait.

« Bousculade au guichet départ de Lagardère Active

De nombreux salariés se sont portés candidats au guichet départ mis en place dans la branche presse de Lagardère Active. » (stratégies.fr)


Si on rencontre des opposants officiels aux anglicismes voyants (ce genre d’opposants invite toujours au débat une québécoise acariâtre), personne ne semble faire attention à ces sournoises attaques grammaticales qui pénètrent le langage courant et qui ont l’avantage de pouvoir être prononcées plus facilement, même par une grand-mère qui n’aurait pas fait d’anglais. On ne dira jamais assez à quel point le langage du commerce et la publicité pervertissent la langue, probablement sous prétexte d’innovation (attention, une explosion de rire trop franche peut entraîner des postillons dégueulasses sur l’écran). Un idéologue parlerait sûrement d’influence néolibérale et de conséquence de la mondialisation sur le langage, mais pas moi… Dire autrement le même baratin, c’est le lot quotidien des pubards. Evidemment, l’inventivité est ce qu’ils possèdent le moins, et c’est ainsi qu’ils se pompent les uns les autres les plus ridicules expressions. Quelques années à ce régime ont fait que personne ne se formalise plus de rien et, plus grave encore, que personne n’a même plus envie d’en rire.

Au-delà de cette forme d’anglicisme, le français est régulièrement ravagé par des vagues d’expressions publicitaires stupides qui ont toujours un vif succès avant de se ringardiser et, heureusement, de disparaître. Laissent-elles de profondes traces ? Ce n’est pas sûr. Mais, par leur foudroyant succès et leur capacité à être reprises par tout ce que le pays compte de moutons, elles font souffrir quotidiennement les âmes sensibles pendant des années. Il y a quelque temps de ça encore, après un petit-déjeuner malin, je téléphonais à mon chef produits (une expérience de pro) avant de passer déposer ma bagnole à l’espace pneus. Pas facile.

vendredi 16 novembre 2007

Un homme est mort

Sur le papier, il vaut toujours mieux se recevoir un coup de taser (flingue électrique), qu'un pruneau. C'est l'argument de ceux qui fabriquent le truc, des ministres qui en équipent la police, et probablement de quelques pékins qui y ont eu droit.
Sauf qu'un flic, en général, ne se sert pas de son flingue très souvent, et jamais pour "maîtriser un récalcitrant". Or, il faut peu de choses pour être vu comme récalcitrant, et ça ne va pas s'améliorer...
Sur cette video atroce, des policiers bodybuildés et en nombre, arborant des uniformes martiaux et des démarches putament viriles, se paient un type au taser, un gros joufflu qui n'avait pas la bave aux lèvres, qu’on aurait pu « maîtriser » sans peine vu qu’il ne se battait pas, et qui en a claqué.

Le pire, dans tout ça, c’est que le flic qui a shooté n’a évidemment pas voulu tuer le type. Il a utilisé un pseudo flingue qu’on lui présente comme « non létal ». Et pourquoi se gêner ? Un récalcitrant ne se laisse pas faire (c'est-à-dire qu’il ne se met pas au garde-à-vous en disant oui oui) : flash ! On fait ça tous les jours, c’est banal ! Banal comme la mort d’un homme.

On est bien dans l’époque du on ne discute plus ! Quand vous gueulez parce qu’un service quelconque ne fonctionne pas comme vous voudriez, quand un train n’est pas à l’heure, quand un flic vous a vu passer au rouge alors qu’il était vert, pensez à ça…

Le rapport d’Amnesty International sur le Taser dit ça : « Depuis juin 2001, plus de 150 personnes sont mortes aux États-Unis après avoir été touchées par une arme incapacitante - l'année 2005 ayant fait à elle seule 61 victimes -, et les chiffres continuent de croître. La plupart des personnes décédées avaient reçu des décharges multiples ou prolongées. »

Fillon à poil sur une peau de mouton

Sur le site de l’Express, on trouve aujourd’hui cet hallucinant, cet invraisemblable dossier : http://www.lexpress.fr/info/quotidien/reportage-photo/default.asp?id=461587

Dans l’empire romain, on voyait un peu partout des portraits assez souvent magnifiés de l’Empereur, qui manifestait ainsi sa puissance aux yeux de tous. Les derniers à se souvenir de cette tradition, même s’ils nous font rire, sont les potentats moyen-orientaux, les El Hassad, les Moubarak, les Nasser. Ils sont représentés dans des attitudes, sous des couleurs qui mettent en valeur leurs qualités de bravoure, de rôle de père de la nation, de justes, leur puissance ou leur gloire selon les cas et les besoins de la cause. Ça nous paraît ringard, assommant, antidémocratique ? OK.

Je gouverne, tas de minab'

Dans la France de 2007, un premier ministre se donne à voir sous les traits d’un bambin, jouant dans l’innocence, en culottes courtes. Puis, il fait de la trottinette, du vélo, il a treize ans et des boutons d’acné. Enfin, il fait un barbecue avec son beauf en comparant les mérites respectifs de la R16 de Robert et de la Fuego de papa. On a vachement progressé.

Winston Churchill

L’objectif premier d’une telle bouffonnerie, c’est de dire ceci : Fillon existe. La preuve : il a été bébé ! On n’y croyait pas, mais là, faut reconnaître, devant les petites fesses et le talc… On pensait que tout avait été fait à la politique française, il manquait encore la régression infantile. Du côté de la tombe à Muray, on note de fortes secousses et des courants d’air, probablement dus aux retournements frénétiques du taulier. Ça fait un bout de temps que les dirigeants tentent de se montrer plus « humains », plus « proches de nous », plus « semblables au bon peuple » : on les voit en jean assis sur une pelouse, on les voit faisant du vélo, on les voit se taper sur les cuisses, on les voit en tongs, on les voit en slip de bain : on les verra bientôt sans.

Le Général...

On a beau être cool, on a beau être post moderne, on a quand même du mal à se dire qu’on est dirigé par un ancien bébé ! et surtout que cette effrayante vérité pourrait galvaniser le français moyen, le faire adhérer au coup de collier salvateur et lui faire mieux avaler les couleuvres qui se préparent dans l’ombre, pour son bien. Tu parles d’un leader ! il essaye de nous attendrir pendant qu’on nous farcit l’arrière-garde ! Avant une négo sévère avec des gros bras bouffeurs de ministres, le mec leur sort l’album de famille… pourquoi pas une matinée diapos chez ma tante ? Ha, on n’est pas belliqueux ! on a l’intention d’en découdre avec personne ! Guili, guili! Ha, ils doivent bien trembler les Iraniens!

Gengis Khan

Il fut un temps où les dirigeants d’un pays essayaient au moins de donner une image digne d’eux-mêmes, souvent plus digne que la réalité, d’ailleurs, mais enfin, en l’espèce, l’intention primait. Ça signifiait je vous représente, je vous dirige, voici mon image, je suis face à vous, je me montre comme un homme (y’avait que des mecs, bon), je suis debout. Les portraits officiels des chefs d’Etat, c’était ça (jusqu’au tordant portrait de l’actuel Patron, que j’ai personnellement pris pour un canular pendant des mois, jusqu’à ce qu’on me menace de la camisole. Et puis, diront les historiens de demain, il y eu Fillon.



mercredi 14 novembre 2007

Les Restos du cul.

Avec le froid qui arrive, les Restos s'y remettent...

En 1985, Coluche créait les Restos du cœur, une tentative de réponse à un phénomène de l’époque : les « nouveaux pauvres ». Dans l’urgence, apporter de quoi manger à ceux qui sont dans la mouise, parer au plus pressé en attendant que les situations s’améliorent. Vingt-deux ans plus tard, la situation est différente, les pauvres n’ont plus rien de nouveau, et les Restos du cœur ne comblent plus tous les manques.

C’est la réflexion que Marthe Flanty et Gilles Boname se sont faite l’an dernier. Pauvres tous les deux (« pauvre moi-même, fils de pauvres, et fier de l’être ! »), ils ont pu constater à l’usage que la vie d’exclu prive certes des joies de la consommation, mais aussi de celles que donne la fréquentation d’autrui. « Quand on est pauvre, on rencontre peu de gens. On nous fuit », témoigne Madame Flanty. Et dans ce cadre de solitude, la vie affective ou sexuelle est souvent condamnée. Cette impression vécue est confirmée par une étude récente sur la sexualité des Français (Ipsos/ Laboratoires Maillebeaul-Signoras), mettant en évidence la diminution strictement parallèle des rapports sexuels et des revenus.

« Les gens donnent bien de la bouffe ! ». C’est à partir de cette constatation que l’idée des Restos du Cul est née. Pour donner aux exclus ce à quoi ils ont droit en tant qu’êtres humains, c'est-à-dire une vie sexuelle, la nouvelle association demande à chaque citoyen de venir aider les plus démunis. « Ça peut passer par une présence, dit clairement Gilles Boname en préparant le café, un peu de temps passé à discuter... Mais, bien sûr, rien ne remplace une bonne pipe ! ».

« Mon mari est directeur commercial dans une importante entreprise d’import-export. Il s’absente souvent deux semaines d’affilée… je suis très disponible.», « Militer, s’engager, ce n’est pas une affaire de mots. Je milite avec mon corps ! », « on se servait plus de la bite à papa, alors on s’est dit que si ça pouvait aider … ». On peut recueillir des douzaines de témoignages comme ceux-ci. Spontanément, comme si les appréhensions tombaient à l’idée de participer à une action collective pour le bien des plus faibles, les bonnes volontés surgissent, les manches se retroussent, ainsi que les jupes. Le RestoQ de Villeurbanne, près de Lyon a même été contraint d’affréter un car pour envoyer des donateurs se faire foutre à Oyonnax, qui manquait de volontaires. Jérôme Hulu, responsable du RestoQ de Pierrelatte (Drôme), a astucieusement utilisé ses compétences en informatique (c’est un ancien cadre de HP, jeté à la rue il y a 25 ans) pour mettre au point un planning précis des rotations. « Les gars sont pas inépuisables… trois jours après l’ouverture, y’avait plus moyen de les réveiller ! Comme dans un buffet, ils se sont jetés sur la marchandise, et maintenant, y z’en peuvent pu… Si on n’espace pas les visites, on va avoir des morts ! ».

On sait bien que la France compte d’énormes réserves de désirs inassouvis, de libidos sous le boisseau et de charité. Satisfaire les trois à la fois pourrait redonner confiance à ceux qu’on aide, mais aussi à ceux (et celles) qui se consacrent aux autres. Mais ces actions admirables, chose nouvelle, se font en dehors de toute idée commerciale, ce qui a littéralement scandalisé Putes de France, le principal syndicat professionnel des prostituées. Une altercation a même récemment opposé sa présidente à Marthe Flanty. Devant les accusations de dumping qui lui étaient faites, cette dernière a accusé le « Putanat français » d’avoir « honteusement profité de l’euro pour se goinfrer », accusation grave qu’elle a ponctuée d’un « Coluche n’avait rien contre le cul ! », avant de s’en aller.


"Les pauvres ont bien d'la chance"

Martin Hirsch a été averti de cette initiative (en privé, il l'aurait trouvée formidable) et parle déjà de "dépoussiérer la loi Coluche en étendant ses dispositions aux dons en nature, la nouvelle réalité de la France qui donne". Bravo.

lundi 12 novembre 2007

Réservez votre burka dès maintenant !

Bill Maher ne fait pas vraiment dans le relativisme culturel...
Personnellement, je trouve que leur modèle sous burka est bien mieux gaulée que nos stockfishs habituelles.

Finlande: l'autre pays des calibres.

Flinglande!

Encore une fusillade dans un lycée ! Cette fois-ci, c’est l’admirable Finlande qui fait le service. Il est habituel d’apprendre qu’on a commencé l’année scolaire, voire le trimestre, par un carnage dans une fac américaine. Aussitôt, les opinions sont figées dans la Certitude : c’est ces cons de Ricains, avec leurs armes et leur culture de la violence ! Et ces commentaires sont toujours très affirmatifs, alors même qu’ils s’appliquent à un des phénomènes les plus étranges de l’époque. Seulement cette fois, c’est non seulement en Europe que se déroule la tuerie, mais surtout dans la raisonnable Finlande, un de ces fabuleux pays du nord qu’on cite toujours en exemple mais où personne ne décide d’aller vivre heureux. La Finlande, un pays qui a su cultiver le respect des lois comme d’autres cultivent la canne à sucre, où les citoyens sont des modèles de vertu, où l’on attend devant le passage pour piétons quand le petit bonhomme est allumé en rouge, où l’on ne pète qu’après avoir proposé des boules Quiès à ses voisins de palier ! Et elle n’en n’est pas à sa première tuerie scolaire, la Finlande

La Finlande venait juste de refuser de s’aligner sur les normes européennes en matière de commerce d’armes à feu. Elle a décidé de changer d’avis, et va sévir fissa! Même si les homicides par armes à feu ne représentent que 15% du total, et même si le tueur du 6 novembre dernier était majeur, le gouvernement va interdire la vente des armes aux mineurs. Ne pas prendre de mesures, même des mesures curieuses, aurait été très mal apprécié des partenaires européens.

Une autre loi est attendue : l’obligation de porter des gilets pare-balles dans l’enceinte des collèges et lycées. Cette mesure ne s’appliquerait pas dans les écoles primaires, mais les associations de parents d’élèves locales sont en train de s’en plaindre. Aux dernières nouvelles, on proposerait d’installer des portiques anti flingues dans ces écoles, pour calmer « l’angoisse des parents ».

Martyrs...

Selon Ségolène Royale, les gilets pare-balles ne sont pas une réponse citoyenne au problème de la violence scolaire. « La France ne connaît pas cette sorte de violence extrême, et tant mieux, mais nous ne faisons rien par ailleurs pour endiguer le fléau des cartables trop lourds, qui eux aussi sont une souffrance et peuvent entraîner certains élèves fragiles à des extrémités. Mais bien sûr, ça ne fait pas les gros titres, personne n’en parle. Hé bien moi, je le fais !»

vendredi 9 novembre 2007

Bouygues ACCUSE !

Après des années de propagande visant à nous démontrer le savoir-faire scientifique et le talent des publicitaires, nous avons tous compris qu’une pub, même stupidissime, est l’expression exacte de ce qui veut être dit par son créateur. De « Auto macho, auto bobo » à « Qu’est-ce tu bois doudou dis donc ? » et de « 1664, la bière des vrais mecs » à « Volvo, des burnes venues du froid », les publicités nous délivrent des messages qui ne doivent rien au hasard. Les annonceurs paient d’ailleurs des prix exorbitants pour que de petits génies les pondent.

Dans le contexte de délits d’initiés fortement présumés et de parachutages dorés que la France connaît depuis quelque temps, comment comprendre le message ci-dessous ?

Bouygues aurait-il grassement payé des publicitaires qui, en retour, se seraient payé sa tête ? Ou faut-il plutôt croire, enfin, que les publicitaires sont tellement cons qu’il ne se rendent pas compte des énormités qu’ils balancent ? Je penche pour la seconde hypothèse…

(Cette illustration est la copie écran d’une pub animée qui circule sur le Net. La qualité de la repro n’est pas terrible, mais le message ne méritait pas mieux.)

mercredi 7 novembre 2007

Welcome to the Philip Muray Park !

La municipalité d’Angers étudie en ce moment le dossier d’implantation d’un parc d’attractions assez particulier, et en tous cas jamais vu : le Philip Muray Park (PMP).

La ville qui a vu naître Philippe Muray en 1945 fait le pari de « divertir le plus large public en le tirant vers le haut », ce qui signifierait qu’il est possible de sortir d’un parc à thème moins idiot qu’on y est entré, exploit improbable dont on attend de pied ferme la démonstration. La note d’intentions (C.C 24/12) précise que « le public manifeste une attente forte au niveau de l’intello-tourisme actif » et que la France se doit de montrer au monde qu’on peut tirer parti des philosophes autrement qu’en les confinant dans les bibliothèques.

L’idée serait donc de proposer au public des attractions, des stands, des animations et des mini séminaires « plutôt centrés sur l’audio-visuel interactif », tous en rapport étroit avec l’œuvre de Muray, et ceci dans l’enceinte d’un parc de loisirs spécialement créé pour ça. Des acteurs locaux joueraient des pièces et liraient des textes tirés de ses ouvrages imposants, certaines des extrapolations burlesques du Maître seraient réalisées (comme la Grande Parade des fiertés adultères, adultères et adultères), on envisage des jeux de mémoire à base de citations et un intéressant atelier (« Bouge ta philo ! ») permettra aux candidats de créer leur propre philosophie sur écran à partir de bouts de phrases et de concepts tirés du corpus Muray.

Dans le PMP, les béotiens seront initiés à la pensée de référence grâce à un ingénieux « petit train du post-modernisme » : les stations où il s’arrêtera matérialiseront les étapes nécessaires à la compréhension de l’œuvre (station Hegel, station féminisme, station Bloy, etc.). Chaque fois, des acteurs habillés en costumes d’époque, joueront des saynètes qui seront autant de compléments théoriques à la promenade.

Une attraction a été refusée : sous l’appellation de « Vertige de la pensée », elle consistait en une sorte de Grand-Huit baroque qui se proposait, après l’absorption d’une pilule « légèrement hallucinogène », d’étourdir le chaland grâce à des enregistrements des chansons de Muray diffusées par baladeur… « Pas de drogue ! », a prévenu le maire Jean-Claude Antonini.

Parmi d’autres attractions faisant encore problème, celle du traditionnel jeu de massacre (jeu vidéo où le joueur, pilotant un 4 X 4, doit écraser des patineurs en rollers), et le jeu-épreuve du fumoir, où des jeunes non fumeurs sont enfermés dans un caisson préalablement empuanti, et doivent y résister le plus longtemps possible sans se plaindre.

Interrogé sur le fait que ce sont des socialistes qui ont proposé la création de ce parc, le principal opposant au maire estime que « les limites sont franchies ». Il se dit préoccupé pour la ville, car, selon lui, à Angers, les socialistes sont devenus « de véritables rebelles ! »

L’équipe porteuse de ce projet escompte bien y attirer des touristes étrangers, notamment les anglo-saxons qui en grand nombre visitent la région. C’est probablement la raison qui explique le choix du nom du parc lui-même. On explique d’une part qu’un nom à consonance anglaise ou américaine attire beaucoup plus de touristes, « et même les touristes français ». D’autre part, les studios Pixar semblent avoir exigé la défrancisation du site pour des raisons exclusivement commerciales. En effet, ils co-produisent fortement le Philip Muray Park et y diffuseront même un film d’animation intitulé « Philip Muray’s touch ». L’essayiste y est curieusement représenté en petit bonhomme assez rond, tirant en vain sur une clope éteinte, et sortant des formules percutantes à peu près toutes les vingt secondes, dans des situations qui n’ont qu’un rapport lointain avec la vie du penseur. Alain Finkielkraut, qui a visionné un bout de ce film, a eu cette formule : c’est ignoble !


mardi 6 novembre 2007

Sarko fight : premier round


Sarko : nouveau clash
Vidéo envoyée par iPolTV
Ce matin même, le Patron est allé faire une visite aux pêcheurs du port de Le Guilvinec, histoire de vérifier sur une population vierge l’adage selon lequel on ne résiste pas longtemps à une attaque du bacille de Starkozy. Certains pêcheurs ont profité de l’occasion pour lancer quelques allusions ignobles à la récente augmentation de traitement du Pezident, à quoi celui-ci a répondu à sa façon : il a interpelé directement le pendard. « Qui est-ce qui a dit ça ? c’est toi ? ben descends un peu l’dire, descends un peu… Viens !».
C'est ce que les médias vous montreront...

Deuxième round : Front kick dans ta face !

Ce que vous ne verrez qu'ici, c'est ça :
Il se trouve que ce pêcheur est un ami personnel, et qu’il a reçu une lettre de la Présidence de la République (qu'il m'a transmise) l’invitant à venir à Paris s’il est un homme, et illustrée ainsi.

"Dans ta face de thon !"

Il considère ceci comme une menace, alors que c’est seulement un défi. Les pêcheurs manquent vraiment du sens des nuances.

lundi 5 novembre 2007

Aux casques, citoyens !



Comme chaque citoyen se doit de le savoir depuis l’invention des médias de masse, la France est menacée. Elle est constamment menacée par toutes sortes de phénomènes, et le dernier en date est particulièrement effrayant : la mort des cyclistes.

Jusqu’à présent, la mort d’un cycliste affectait sa famille, ses proches, ses voisins. Un drame réel, à échelle humaine, qui passait donc inaperçu aux yeux du reste de la société. Mais voilà qu’on a inventé le cycliste citoyen. Le cycliste citoyen (que le CNRS nomme depuis peu Cyci) ne fait pas du vélo pour son simple plaisir. Mieux : il est d’autant plus Cyci qu’il n’y trouve aucun plaisir ! Il pédale pour la planète, il brave le vent contre la pollution, il se prend la pluie contre le réchauffement climatique, il taraude à sec pour la nappe phréatique. Il milite avec ses mollets. Les ampoules aux fesses sont ses médailles, et son seul regret est probablement de ne pas pouvoir arborer plus ostensiblement sa glorieuse batterie de cuisine.

Le Cyci possède depuis cette année un étendard qui le distingue du simple cycliste, ce plouc : le Vélib. Version parisienne et sur médiatique du Vélov lyonnais (depuis 2005), le Vélib, comme toutes les grandes causes, compte désormais une victime : une dame renversée et tuée par un chauffard en camion-benne. Jusqu’à présent, un accident de vélo, même mortel, faisait rarement les gros titres. Mais écraser un Vélib, donc un Cyci, c’est se payer un peu plus qu’un simple cycliste, c’est rouler sur un peu de liberté, c’est écraser l’avenir de ses gros pneus.

Il fallait s’attendre à de l’émotion en barre, et à une loi, puisqu’il est maintenant établi qu’une loi nouvelle devra arbitrer chaque fait divers. Que nous prépare-t-on ? Bien sûr, le port du casque à vélo va être bientôt rendu obligatoire. Mais les militants du tous casqués ne s’arrêtent pas là : les études montrent qu’une grosse part des accidents entre vélos et véhicules motorisés vient du fait que ces derniers n’ont pas vu les cyclistes. Sous le titre « Pas vu, pas entendu, c’est la discrétion qui tue », un conseiller de Cécile Petit, déléguée interministérielle à la Sécurité routière, préconise l’adoption d’un casque de fabrication française (Normandie) qui, en plus de sa robustesse, offre l’avantage d’être équipé d’un gyrophare. Au sommet du casque, un gyro tournant « très visible, même de jour » permettra donc aux Cyci et aux simples pékins à vélos de se faire remarquer autrement que par des traces de sang sur le bitume. Il est précisé que la version de base de ce gyrophare est munie d’une pile rechargeable qu’on peut faire fonctionner 12 heures en la rechargeant avec seulement trente minutes de pédalage. Le rapport technique conclut que sa durée de vie (10 ans) en fait un modèle « écolo-responsable ».

Aussi curieux que ça puisse paraître, le ministère des transports compte des opposants au cyclo-casque. Peu nombreux, ceux-ci ont fait passer une note discrète au ministre Bussereau :

L’étude confirme par ailleurs quelques points : 80% des accidents de vélos concernent des hommes, et parmi eux, une grosse proportion de jeunes (jusqu’à 15 ans). D’autres éléments viennent appuyer la thèse selon laquelle le casque n’est qu’un élément mineur dans le problème de la cohabitation du vélo et des autres moyens de transports. Mais c’était sans compter le bon sens ministériel et l’efficace lobby des casqueurs : non seulement la note fut négligée, mais le projet étudie en ce moment la candidature à peine croyable d’une municipalité souhaitant mener une opération pilote : l’incitation au port du casque pour les piétons.

La municipalité en question (dont le nom n’a pas filtré) se pique de démontrer qu’une invitation non cœrcitive au port du casque « lèvera les réticences » de ceux qui avaient jusque ici peur du ridicule, et « brisera un tabou qui paraîtra dépassé dans quelques années". Le maire, qui eut « la douleur d’enterrer cinq de ses administrés piétons en trois ans » et qui est par ailleurs médecin, prétend faire baisser de plus de 70% les blessures à la tête suite à des chocs piéton-voitures, mais reconnaît humblement ne pas disposer d’idées concluantes contre le fatal problème des chocs piéton-camions.

"Moi, ma langue, c'est ma vraie patrie" 3 (C.Nougaro)

Eric Rohmer: un monstre!

Nous sommes entrés dans une période de l’histoire de France où beaucoup de choses qui semblaient acquises, dans l’ordre de la liberté et des mœurs deviennent plus ou moins brutalement inacceptables. Sans parler des fillettes qui hésitent à porter la jupette de peur d’être traitées de salopes, les exemples de tentatives de régler pénalement un différend insignifiant ne manquent pas. Un des plus jolis oppose en ce moment même le Conseil Général de la Loire et Eric Rohmer. Ce dernier a fait précéder son dernier film de cet avertissement :

"Malheureusement, nous n'avons pas pu situer cette histoire dans la région où l'avait placé l'auteur; la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation de résineux. Nous avons dû choisir ailleurs en France, comme cadre de cette histoire, des paysages ayant conservé l'essentiel de leur poésie sauvage et de leur charme bucolique".

Atroce, n’est-ce pas ? Immonde ! IN-TO-LE-RA-BLE ! D’où sort ce calomniateur ? Le Conseil Général de la Loire, c'est-à-dire Pascal Clément (ancien garde des Sceaux) porte « l’affaire » devant les tribunaux, qui n’avaient par chance rien d’autre à foutre en ce moment. On ne badine pas avec « le charme bucolique », pas plus qu’avec « la poésie sauvage », et si des nuisibles estiment que nous en manquons, se dit Pascal Clément le mal nommé, nous les forcerons à se taire ! Il est vrai que Rohmer pouvait, par l’énorme audience de ses films, de dissuader le cochon de touriste de venir dépenser ses RTT dans la plaine du Forez.

Il fut un temps, pas si lointain, où il était permis à tout le monde, même à un vulgaire cinéaste, d’exprimer des goûts personnels sans qu’ils soient pris comme des insultes à laver par la geôle. On pouvait clamer qu’Haussmann défigurait Paris sans avoir à s’excuser devant le juge. On pouvait, il y a moins de quarante ans, vomir sur le Centre Pompidou sans risquer l’attaque pénale. Cette liberté de dire des mots (et potentiellement, tous les mots sont blessants, même mon chéri, selon le contexte) n’a peut-être pas entièrement disparue, mais certains s’en occupent…

Cette surveillance de la parole, couplée avec la possible surveillance totale des déplacements, des actes quotidiens, des comptes en banque, des communications, etc. définit un cadre de liberté individuelle qui s’amenuise alors même que la société se vante du contraire. Evidemment, quand un monarque absolu (à l’étranger !) emprisonne un de ses sujets parce qu’il lui a manqué de respect, on crie au scandale. La répression est grossière, archaïque : elle est donc condamnée. Elle permet aussi à celui qui la condamne de se poser en défenseur de la liberté d’expression : tout bénef. Chez nous, pas de ça, on peut insulter le chef de l’Etat sans risque (c’est d’ailleurs pour ça que la discipline a beaucoup d’adeptes). Mais dites que la plaine du Forez vous fait chier, clamer votre dégoût devant le rocher de Monaco, dénigrez la Canebière et votre compte est bon : il se trouvera toujours une association pour faire le boulot de flic. La répression n’a plus ce caractère soviétique, massif, grossier, visible, et donc si pratique quand il s’agit de la voir venir et de la dénoncer, elle est maintenant intégrée dans les mentalités, et permise par l’arsenal proliférant des lois. L’expression des opinions peut bien être théoriquement libre, puisque des gardiens zélés toujours renouvelés se chargent, à la place du Gros Pouvoir Méchant (Hou !) de la Disneylandiser. Vous pouvez parler, mais ne dites rien qui fâche, ne dites rien qui dérange, ne dites rien de désagréable et, tenez : ne dites rien du tout !

Comme ne l’a pas dit Voltaire : Je suis d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous fermiez votre gueule !

Evidemment, nous ne sommes pas encore arrivé à un blocage total de la liberté d’expression, et il n’est pas dit que nous y arriverons un jour, mais des signes nous montrent que l’énergie se trouve du côté des censeurs vertueux, des autoflics responsables, des vigies maniaques et des gros cyniques. Internet est souvent cité comme exemple de champ de liberté d’expression, ce qui est à la fois vrai et faux puisque certes on s’y exprime, mais, les lois s’y appliquant au même titre qu’ailleurs, on y est soumis à la même surveillance. La différence avec les médias classiques est peut-être uniquement due à la quantité exponentielle de ce qui s’y publie, une jungle mettant plus ou moins d’ombre protectrice sur les fauves dangereux qui y rôdent…

Concernant la novlangue internet, qui est peut-être notre avenir, je renvoie à Dailymotion , où une pub nous parle ainsi.

L’idée est d’inviter les gens ( ?) à créer un blog (pour communiquer, par la parole, l’image, le son, tout ce qu’on veut) mais l’illustration, que je trouve incitative, est un ramassis à peine croyable d’enfantillages débiles proposant des mots et expressions en kit, impersonnels, juste bons pour montrer, encore une fois, qu’on fait partie d’un monde. C’est le monde pauvre et plat des gogos façon Starac’, mais il est le modèle médiatiquement valorisé de ce qui nous guette, et on n’y communique plus que par onomatopées. Vlan ! Prout ! Looool !

Pour les violeurs de la langue (que nous sommes tous, acteurs, complices actifs ou passifs), le XXIème siècle sera borborygmique, et donc ne sera pas.

samedi 3 novembre 2007

En France, on n'a rien contre le fric !


L’actualité nous offre pour une fois l’exemple d’une mise en pratique ultra rapide de certains principes proclamés : travailler plus pour gagner plus. Le candidat Sarkozy l’avait compris : les gens ne travaillent pas « plus » pour le simple plaisir, ni pour obtenir une médaille façon Stakhanov. Ils veulent bien donner un coup de collier, mais faut raquer ! Il existe peut-être quelque part encore des lourdauds rétifs à ce genre d’équation : le Président va leur montrer les mathématiques.

On le sait donc, et on en parle, il a augmenté son traitement de Président de la République de près de 140%. D’un coup ! Ha, c’est bien lui, ça, une charge, une salve !... tourne pas autour de la caisse, le Chef… paf ! à moi le beurre ! Homme pressé, qu’y disaient ? hé ben mate un peu la précision ! C’est ça qui est bien avec le Chef : pas de discussions sans fin, pas de tergiversation, on fait pas dans la menue monnaie. Avec lui, une négo salariale peut vite tourner au cambriolage. Mais propre, faut reconnaître, propre…

Il passe de 8400 à 19690 euros nets par mois. Par temps de Grenelle de l’environnement, ce bond quantitatif n’est pas sans rappeler les avancées salariales de 1968… Ha, féru d’histoire, le Chef !

Mais comment en est-on arrivé là ? Au départ, Sarko est abordé par un agent fayoteur de Claude Guéant, qui lui fait remarquer par écrit que Fillon ne fout quasi rien de la semaine mais qu’il touche beaucoup plus que lui : 18000 euros contre 8400 et des brouettes. Sarko, qui ne savait pas ça non plus, convoque le mec et fait alors comme d’habitude : deux phrases courtes qui ne veulent rien dire. Le fayot, comme n’importe quel Français en ce cas, opine du bonnet avec un air entendu. Il n’ y a rien compris, mais il reconnaît qu’il y a du vrai ! En moins de deux jours,

1) il pond un rapport béton sur l’affaire

2) propose que le chef de l’Etat soit augmenté de 100%

3) propose que l’Elysée soit désormais dotée d’un budget autonome et paye directement ses collaborateurs (mesure inutile dont tout le monde se fiche mais qui détourne efficacement les attentions)

4) appelle sa femme pour lui dire qu’elle l’aura sa maison avec ses tuiles bleues.

Les quelques témoins des discussions qui fixèrent les choses plus précisément (avant que le Parlement s’empare du paquet tout ficelé) sont unanimes : ce fut chaud. Sarkozy prétendait qu’une augmentation de 250% le mettait un peu au dessus de la moyenne des patrons du CAC40, et qu’il fallait bien ça. Guéant lui-même fit remarquer que l’opposition s’emparerait sûrement de cet argument contre le président : se comparer aux as du CAC, c’était pas vraiment digne du successeur du Général ! Sans compter les gauchistes qui n’allaient pas manquer de rapprocher encore plus Sarko de ses grands patrons de potes. Quelques heures plus tard, on en était à 200%, chiffre soutenu par le Maître mais contesté cette fois par Jacques Séguéla, qu’on était allé chercher pour la circonstance. Le pubard soutint immédiatement qu’il fallait y aller mollo avec les mesures symboliques, avant de reconnaître qu’une augmentation, au dessus de 10%, sortait de toutes façons rapidement du champ du symbole. « Tripler votre traitement en une fois risque de faire baisser votre côte de popularité », intervint Jean-Pierre Miquet, le conseiller en image. C’est pas le moment de faire des mots ! rétorqua le Président, qui avait compris pop hilarité. Sarko campait sur les 200%, engueulant Guéant qui restait sur ses 100%, tandis qu’on appelait dans Paris les quelques grosses têtes disponibles qui auraient pu donner la formule pour sortir de l’impasse. Miquet revint à la charge en expliquant qu’il fallait procéder par étapes, une bonne augmentation justifiable tout de suite, et de petits ajustements discretos tout au long du reste du mandat. Il donna le truc de la mise à niveau avec le traitement de Fillon, solution qui fut retenue.

Une source sûre nous informe que le chiffre de 140% fut conquis de haute lutte par Sarko lui-même, contre les tristos qui en tenaient pour 100%. L’acharnement à ne rien lâcher fut même présenté par le Boss comme une simple mise en œuvre de son programme pour la France. « Vous croyez que j’ai fait comment avec Kadhafi » ?

Le Président obtint même, détail curieusement jamais repris dans la presse, que ses tickets restaurant soient eux aussi augmentés, passants de 50 à 75 euros pièce ! Et, plus scandaleux encore, que le nombre de tickets passe de 21 par mois à 31, comme si le Président travaillait les jours fériés! En stratège, le chef de l'Etat avait prévu que tous les persifleurs du pays le taquineraient sur le salaire, mais que personne ne dirait rien des avantages annexes: tickets restau et chèques vacances. Il ne tient qu'à toi, camarade cocu, de lui donner tort !

jeudi 1 novembre 2007

"Moi, ma langue, c'est ma vraie patrie". 2. (C.Nougaro)



Il semble que le langage ait un point commun avec la pornographie : il crée sa propre inflation. On n’est jamais satisfait très longtemps de ses trouvailles, il faut toujours augmenter la mise, il faut du plus lourd chaque fois.

Un homme du XVIIIème siècle disait « je n’en ai cure », et on comprenait bien qu’il s’en battait les couilles. On est passé ensuite à « je m’en moque », puis « je m’en fiche », puis « je m’en fous », puis « je m’en bats l’œil », puis « je m’en tamponne », puis « je m’en tambourine le fond du calbuth avec ostentation » (période Audiard), et nous arrivons à ce qu’une fillette de dix ans dise à sa mère que, de se laver les mains avant de manger, elle s’en bat les couilles ! Et comme en matière monétaire, l’inflation fait perdre toute valeur à ce qu’elle touche. Dans les années 70, un « nique ta mère » déclenchait des marrons plein la gueule, des coups de fusil, des assassinats de masse. Tout le monde voit aujourd’hui que l’expression ne signifie plus rien. Ce phénomène nous pousse à toujours enchérir formellement pour dire à peu près la même chose. Evidemment, deux personnes linguistiquement armées peuvent commencer à exprimer un désaccord de façon polie, mesurée. Ils disposent d’une gamme formidable de quasi synonymes qui permettent une montée lente vers l’affrontement. Quand on en est à « imbécile », on a encore de la marge avant le pugilat ! En revanche, et mécaniquement, deux lascars maniant l’enculé à tout bout de phrases sont contraints par les règles de la testostérone d’en venir à l’émeute très rapidement. Quand on maîtrise la langue, on peut donc (ce n’est pas une garantie) se passer de maîtriser les sports de combat. Selon Céline, d’ailleurs « Il faut que tes enfants apprennent la boxe et les langues étrangères. Le reste ne sert à rien. ».

Le langage est donc une arme, et comme toutes les armes, il est l’objet d’une surveillance jalouse. Les armes, c’est entendu, il est toujours bon que l’adversaire en soit dépourvu. Bien des gens pensent également qu’il y a danger quand les mots sont trop libres, et qu’ils sont maniés par n’importe qui. Si, vingt ans après Pierre Desproges, je dis publiquement : « Jacques Séguéla est un con », je risque fort de me voir embastillé. Ne parlons même pas de propos identiques visant une femme : j’en frémis d’avance. Les mots sont et seront désormais de plus en plus soumis à la surveillance moralisante d’une police généralisée, d’un pouvoir intégré au corps social comme une armée de morbaques sur un testicule flapi. Si je dis avoir été emmerdé dans la rue par un clochard, on me reprochera de ne pas avoir de cœur, de ne pas être solidaire, de ne pas aimer les clochards. Si je dis, comme Coluche cette fois, que ma femme est grosse, on m’accusera de manquer de respect aux grosses, aux femmes en général et à la mienne. Si je dis que les footballeurs sont des enculés, on me fera peut-être grâce des footballeurs, mais on m’accablera d’homophobie. Tout ceci est connu, reconnu, mais le phénomène s’amplifie sous nos yeux.

La semaine dernière, j’ai entendu François « PS » Rebsamen (dont Desproges disait : « c’est un con ») sur France-Inter, répondre à un auditeur accusant Royal d’incompétence, qu’il « sentait du sexisme dans ses propos », à la grande surprise de Nicolas Demorand, qui lui demanda si on pouvait encore critiquer sa championne. Une auditrice, bien féminine cette fois, passa juste après pour une seconde couche, taxa la même incompétente de Royal (ou l’inverse), et moucha une fois de plus le Rebsamenführer du parler correct. Cette minuscule anecdote est une illustration d’école de ce qui est en marche.

Dans cette société libérale qui pose comme principe la « libre circulation des personnes et des biens », seuls les mots resteront enfermés, surveillés, soumis à des règles sévères, encadrés par la Troupe.

F.Amara : "Grrrrrrr"

A un niveau très bas, celui du langage politique, la gangrène est particulièrement avancée. Les médias qui font semblant de déplorer la « langue de bois » des politiques pour éviter qu’on ne s’attarde trop sur la leur, sont tombés à bras raccourcis sur la malheureuse Amara, qui avait eu l’outrecuidance d’utiliser un mot pourtant banal dans les cantines d’écoles primaires : « dégueulasse ». Oh ! quel mot atroce ! Oh my God ! Vite, les enfants, bouchez-vous les oreilles, et à genoux pour une prière ! Qu’on convoque le Conseil Constitutionnel ou qu’on nous apporte du goudron et des plumes ! On se souvient aussi de l’abominable Chevènement qui avait eu la barbarie de qualifier deux jeunes gens de sauvageons, au motif qu’ils avaient simplement poignardé mortellement un troisième jeune, dont ils convoitaient le walkman à quinze euros. Il n’avait pas parlé de crapules, de canailles, de monstres, d’assassins, d’enculés de leur mère, il avait dit « sauvageons ».

Aleeeerte !

Le monde politico médiatique fait semblant de déplorer le parler politiquement correct, fait semblant de souhaiter des mesures vigoureuses contre la violence (par exemple), mais s’effarouche comme quarante bigotes au sortir de la messe si un mot anodin dépasse du Missel du Saint-Blabla. Pire : on accepte qu’un ministre donne l’ordre d’un bombardement au nom de la France (en Serbie, en Irak, à Pétaouchnok), mais on s’offusque si un autre dit merde ! Qu’est-ce qui est le plus grossier, dire merde à quelqu’un ou lui balancer un tapis de bombes sur ses gosses ? Cette hypocrisie drapée dans le pyjama fleuri de la vertu est le résultat d’une guerre menée avant tout contre les mauvais mots.

On assiste donc à ce double mouvement d’inflation suicidaire de la langue populaire (qui la vide de ses nuances, donc de son potentiel) et de déflation de la langue publique. Les gens ordinaires sont de plus en plus agressifs dans le langage de tous les jours, tandis que la parole publique, celle qui est médiatisée, est vidée de toute substance et ne consiste plus qu’en une litanie de formules tellement creuses que l’écho s’y répète sans limite. Dans les deux cas, tout semble fait pour empêcher deux choses : penser et communiquer.

Et que font deux personnes qui n’ont pas les mots pour régler un différend, ou qui n’ont plus le droit d’utiliser qu’une langue anémiée? Ils se tapent dessus. C’est ce qui nous attend.

(à suivre)