lundi 5 novembre 2007

Aux casques, citoyens !



Comme chaque citoyen se doit de le savoir depuis l’invention des médias de masse, la France est menacée. Elle est constamment menacée par toutes sortes de phénomènes, et le dernier en date est particulièrement effrayant : la mort des cyclistes.

Jusqu’à présent, la mort d’un cycliste affectait sa famille, ses proches, ses voisins. Un drame réel, à échelle humaine, qui passait donc inaperçu aux yeux du reste de la société. Mais voilà qu’on a inventé le cycliste citoyen. Le cycliste citoyen (que le CNRS nomme depuis peu Cyci) ne fait pas du vélo pour son simple plaisir. Mieux : il est d’autant plus Cyci qu’il n’y trouve aucun plaisir ! Il pédale pour la planète, il brave le vent contre la pollution, il se prend la pluie contre le réchauffement climatique, il taraude à sec pour la nappe phréatique. Il milite avec ses mollets. Les ampoules aux fesses sont ses médailles, et son seul regret est probablement de ne pas pouvoir arborer plus ostensiblement sa glorieuse batterie de cuisine.

Le Cyci possède depuis cette année un étendard qui le distingue du simple cycliste, ce plouc : le Vélib. Version parisienne et sur médiatique du Vélov lyonnais (depuis 2005), le Vélib, comme toutes les grandes causes, compte désormais une victime : une dame renversée et tuée par un chauffard en camion-benne. Jusqu’à présent, un accident de vélo, même mortel, faisait rarement les gros titres. Mais écraser un Vélib, donc un Cyci, c’est se payer un peu plus qu’un simple cycliste, c’est rouler sur un peu de liberté, c’est écraser l’avenir de ses gros pneus.

Il fallait s’attendre à de l’émotion en barre, et à une loi, puisqu’il est maintenant établi qu’une loi nouvelle devra arbitrer chaque fait divers. Que nous prépare-t-on ? Bien sûr, le port du casque à vélo va être bientôt rendu obligatoire. Mais les militants du tous casqués ne s’arrêtent pas là : les études montrent qu’une grosse part des accidents entre vélos et véhicules motorisés vient du fait que ces derniers n’ont pas vu les cyclistes. Sous le titre « Pas vu, pas entendu, c’est la discrétion qui tue », un conseiller de Cécile Petit, déléguée interministérielle à la Sécurité routière, préconise l’adoption d’un casque de fabrication française (Normandie) qui, en plus de sa robustesse, offre l’avantage d’être équipé d’un gyrophare. Au sommet du casque, un gyro tournant « très visible, même de jour » permettra donc aux Cyci et aux simples pékins à vélos de se faire remarquer autrement que par des traces de sang sur le bitume. Il est précisé que la version de base de ce gyrophare est munie d’une pile rechargeable qu’on peut faire fonctionner 12 heures en la rechargeant avec seulement trente minutes de pédalage. Le rapport technique conclut que sa durée de vie (10 ans) en fait un modèle « écolo-responsable ».

Aussi curieux que ça puisse paraître, le ministère des transports compte des opposants au cyclo-casque. Peu nombreux, ceux-ci ont fait passer une note discrète au ministre Bussereau :

L’étude confirme par ailleurs quelques points : 80% des accidents de vélos concernent des hommes, et parmi eux, une grosse proportion de jeunes (jusqu’à 15 ans). D’autres éléments viennent appuyer la thèse selon laquelle le casque n’est qu’un élément mineur dans le problème de la cohabitation du vélo et des autres moyens de transports. Mais c’était sans compter le bon sens ministériel et l’efficace lobby des casqueurs : non seulement la note fut négligée, mais le projet étudie en ce moment la candidature à peine croyable d’une municipalité souhaitant mener une opération pilote : l’incitation au port du casque pour les piétons.

La municipalité en question (dont le nom n’a pas filtré) se pique de démontrer qu’une invitation non cœrcitive au port du casque « lèvera les réticences » de ceux qui avaient jusque ici peur du ridicule, et « brisera un tabou qui paraîtra dépassé dans quelques années". Le maire, qui eut « la douleur d’enterrer cinq de ses administrés piétons en trois ans » et qui est par ailleurs médecin, prétend faire baisser de plus de 70% les blessures à la tête suite à des chocs piéton-voitures, mais reconnaît humblement ne pas disposer d’idées concluantes contre le fatal problème des chocs piéton-camions.