jeudi 22 novembre 2007

Ma liberté de poèter

Une chevelure de poète

Certains événements font froid dans le dos parce qu’ils sont inattendus, et que leur violence est amplifiée par notre distraction. D’autres nous accablent parce qu’on savait bien qu’ils allaient arriver, parce qu’il ne pouvait en être autrement, et qu’il faut bien y passer. La fatalité nous touche, elle nous remet à notre place de faibles hommes, elle rappelle à notre orgueil que la puissance de la nature, surtout dans ses catastrophes, est indifférente à la vie humaine.
Florent Pagny vient de sortir un « Florent Pagny chante Brel », oui, un disque. Bien sûr, tout le monde chante Brel, tout le monde fredonne la Traviata ou la Cinquième de Beethoven mais on n’en fait pas un disque pour autant. Florent Pagny, si. Il a donc pensé qu’il pouvait apporter quelque chose au patrimoine Jacques Brel, à ce que le public connaît de ce chanteur. (un peu comme Johnny Hallyday a pensé apporter sa pierre à l’édifice de la maison Brassens en reprenant virilement le trop gentil « Parapluie »…) Il a pensé que par delà la mort, il pouvait redonner vie à ce grand homme. « Florent Pagny nique ta mort » est d’ailleurs le titre qu’il avait proposé à Bob Crappy, dircom de Mercury-Universal, homme d’ouverture mais aussi de bon sens, qui sut dissuader le thanato fighter
Pagny, qui, ne l’oublions pas, a écrit les paroles de son célèbre hit « N’importe quoi », avait eu la prescience de son engagement lorsqu’il écrivait son immortel refrain


« Et là, tu crois
Qu'je vais rester là sans rien dire ?
Ah oui, tu crois
Qu'je vais rester planté là
A te voir partir dans tes délires
Et te laisser faire n'importe quoi ? »


Ecrit en 1988, ce texte bouleversant s’adressait déjà à Brel et semblait lui dire que Pagny ne le laisserait pas partir dans l’oubli (l’inconscient Brel avait eu la distraction de mourir dix ans plus tôt), qu’il ne resterait pas muet face à ça (remarquons au passage la double répétition du LA, astuce inédite, message subliminal qui introduit de la musique dans l’aridité grammaticale : là, là, là !).
Un papier du Figaro nous en apprend plus sur les motivations du poète barbu :
http://www.lefigaro.fr/musique/2007/11/19/03006-20071119ARTFIG00345-lautoportrait-de-florent-pagny-en-jacques-brel-.php
On peut y lire que le choix d’aller vivre loin de la France fut inspiré par la vie même de Brel. Le grand Jacques nous a en quelque sorte privé de la jouissance permanente de Florent Pagny sur le sol national ! Dommage que, dans son souci de se fondre dans le brélisme, Pagny se soit arrêté au chapitre des voyages et qu’il n’ait pris, comme Brel en son temps, la décision d’arrêter brutalement de chanter.
Mais l’année 2007 nous gâte bien plus encore que cette nouvelle pourrait le faire croire. Fidèle à son isolement et à sa légendaire discrétion, Julien Gracq n’a pas encore annoncé son dernier travail, qui s’inscrit dans le droit fil de la geste de Pagny, et qui restera peut-être sans publicité (à part le modeste filet que vous avez sous les yeux) : sa reprise des meilleurs textes de Richard Anthony.