jeudi 27 décembre 2007

Des pensées pour la Patrie !

Luc Chatel: "Bison futé" de l'épargne


Chaque fin d’année est l’occasion, pour les mauvais coucheurs qui font profession de critiquer le monde, de s’étendre sur la veulerie mercantile des fêtes modernes. On insiste sur le paradoxe qui consiste à fêter la naissance du petit Jésus, personne humble et aimant la pauvreté (par ailleurs fondateur méconnu de la Broke Pride, ou « Fierté des Fauchés ») tout en se bourrant de foie gras, de mets délicieux parsemés de paillettes, de caviar, de trucs gras, en gâtant les enfants de jouets de plus en plus nombreux, de plus en plus bruyants, de plus en plus chers. On rappelle que les grands parents de ces nantis obtenaient une orange et une grosse poignée de main pour Noël, et qu’ils n’en sont pas morts. On nous sensibilise au sort des paumés qui dorment dehors, ou de ceux qui sont trop fauchés pour couvrir leurs mômes de jouets. On va jusqu’à rappeler aux chrétiens qu’une tradition pas si ancienne prévoyait qu’on laisse « la place du pauvre » à table, une assiette libre, pour le cas où un pauvre viendrait à passer… Enfin bref, il n’y a plus moyen d’acheter peinard !

Les services du ministère de l’économie se sont occupé de ça. Précisément, le secrétariat d’Etat à la consommation, sous l’autorité de Luc Chatel, bosse en ce moment à l’élaboration d’une nouvelle fête (une commande du Boss, dit-on) sous nom de code provisoire de FENACO (Fête Nationale de la Consommation). L’idée est de donner une fête qui n’aurait pas d’autre justification qu’elle-même, qui pourrait « s’exprimer dans l’acte d’achat » sans qu’un arrière-fond historico religieux interfère, sans qu’une mauvaise conscience d’origine judéo-chrétienne permette une fois encore les critiques systématiques. On veut éviter à la fois le paradoxe de Noël, la paternité vichyste de la fête des mères, l’héritage coco du 1Er mai et la nullité économique du 11 novembre et autre 8 mai.

«La fête nationale de la consommation, puisqu’il faut encore l’appeler comme ça, doit être une fête ouverte à toutes et à tous. Quels que soient votre origine et votre niveau social, quelle que soit votre religion, quel que soit votre âge ou votre état de santé, vous serez appelés à consommer le jour de la FENACO. Le Président de la République en a fait un principe et même une priorité de son mandat : réconcilier le Français avec l’argent. Et rien n’est aussi fédérateur qu’un achat effectué en commun. Savez-vous que les actes d’agression contre les personnes sont sept fois plus rares dans l’enceinte des hypermarchés que dans les gares ? Oui, il semble que les tensions sociales s’apaisent quand on a la possibilité de dépenser son argent, c'est-à-dire tout simplement de subvenir à ses besoins. » (Jean-Raoul Fifron, conseiller technique au cabinet de Luc Chatel. France 3 Champagne-Ardenne. 07/12/2007)

« La France de 2007 connaît encore des barrières, des obstacles à son unité. L’intégration de toutes les communautés à un niveau égal doit être l’objectif de toute politique responsable. Dans ce pays, les fêtes sont trop souvent liées à l’histoire et à la religion. Tous les gens vivants en France ont droit à une fête ! » (Jack Lang. Colloque Nouvelles Frontières. 03/10/2007)

Un correspondant parisien a pu rencontrer un des experts bossant sur le topo. L’idée est d’inviter toute personne à réaliser, même symboliquement, un achat ce jour-là, non seulement pour satisfaire un besoin, un désir, mais aussi par patriotisme, pour participer à la bonne santé générale du pays, étant entendu qu’un « pays qui vend est un pays dans le vent » (idée de slogan en cours de test). Evidemment, les entreprises et les magasins resteront ouverts le jour dit, mais le personnel disposera de facilités (encore à définir) pour pouvoir dépenser à son tour. Pour les ménages vraiment trop pauvres pour participer à la fête, l’idée, jugée hardie par Christine Lagarde elle-même, est de permettre une embauche ponctuelle libre de charges, pour le jour de la FENACO. Ainsi, ceux qui n’ont pas les sous pour acheter un truc pourront toujours se trouver de l’autre côté du comptoir et participer, en travaillant, au mouvement général.

L’ambitieux Luc Chatel, visiblement très fier de sa trouvaille, explique qu’il vise à rendre la consommation « plus naturelle aux habitants de ce pays ». Mon objectif sera atteint lorsque, au-delà de cette fête, les Français ne ressentiront plus aucun scrupule à profiter, chacun à sa mesure, de leur argent, en toute liberté, en toute bonne conscience. Puisqu’on gagne honnêtement, et souvent durement, de l’argent, poursuit-il, il faut arriver à le dépenser sans état d’âme. « Dé-pensez pour dépenser© », voilà la devise que j’aimerais voir inscrite au fronton des grands enseignes.

Une image qu'on aimerait voir plus souvent...


Quelques hypothèses restent sur la table, après un dégrossissage radical : placer la FENACO le 11 novembre, après que les trois derniers Poilus seront morts, « par respect pour leur sacrifice personnel », dit-on au ministère, ou coupler la naissance de cette fête avec l’abrogation de l’interdiction de travail le dimanche, double symbole. En dernier recours, comme toujours, c’est l’Elysée qui décide. Pour l’instant, d’après les rumeurs, le Pèzident en pince pour la dernière solution.