mercredi 12 décembre 2007

Gare Saint-Charles: tout le monde descend !

En cas de retard des trains, on pourra toujours se pendre.


On vient d’inaugurer ce qu’on nomme le « pôle transport » de la gare Saint-Charles de Marseille. Sa nouvelle halle est un bâtiment géant qui est bien dans l’air du temps : sous la structure moderne, l’architecte a planté des arbres. J’ai toujours trouvé curieux qu’on se mette à planter des arbres à l’intérieur des bâtiments, qu’on prenne en quelque la serre pour modèle. S’il est entendu que les arbres sont nos amis, qu’il faut être non seulement tolérants et ouverts avec eux mais qu’il faut les protéger, je n’avais pas encore compris qu’on était tenus de les recueillir sous nos toits.

Incontestablement, la plupart des arbres sont beaux. Incontestablement encore, ils sont des bienfaits pour l’homme, par leurs fruits, leur bois, leur ombre et leur simple et paisible présence. Il est tout aussi incontestable que leur place est dehors, comme le vent, la pluie et les orangs-outangs.

L’architecture et les arts décoratifs ont toujours su utiliser les éléments naturels. On peut même dire que tout vient de là, de la colonne dorique à l’entrée de métro parisien, en passant par le remplage gothique, la frise anonyme où se développe une vigne de pierre et la coupole de la mosquée du Shah, à Ispahan. L’admiration de la nature a poussé nos ancêtres à construire des formes typiquement humaines, des traductions artistiques de ce que le monde offre à voir. Une mise en ordre humain de l’anarchique profusion naturelle, de la beauté sauvage. A ceci se substitue depuis quelque temps l’utilisation brute d’éléments naturels, comme les façades végétales du musée du quai Branly. On voit bien ce qu’il y a de pédagogique dans ces réalisations : nous faire comprendre que la nature est notre alliée, qu’elle est utilisable sans destruction, c'est-à-dire un gros mensonge. Quand on organise des jardins suspendus, des toitures végétales, ou même une très artificielle façade façon jungle, on reste quand même dans une différenciation entre le dehors et le dedans : on respecte le principe qu’on souhaite justement élever au rang de mythe, c'est-à-dire qu’on reconnaît sa vraie place à l’élément naturel : dehors. Mais quand on fout des arbres dans un hall de gare, on est en pleine confusion.

Un degré supplémentaire est encore franchi à Marseille : les arbres en question sont factices ! Le message est donc d’ordre esthétique. Un type a trouvé beau que des pseudo pins soient enfermés sous des tonnes de verre et d’acier ! Comme tous les ersatz, ces merdes puent la mort. Leur nature factice leur donne le glacis morbide des figures de vieilles stars hollywoodiennes, qu’un enfant de six mois myope comme vingt taupes remarque à cent pas. Le goût du faux est poussé si loin que l’architecte de la SNCF, Jean-Marie Duthilleul (sic), a voulu reconstituer aussi une fausse rue pleine de charme, avec ses jolies boutiques qu’ombragent les fameux arbres en toc. Ce goût du bucolique pour touristes est le pendant ferroviaire du triste faux puit en simili pierres assemblées qui sévit dans les jardins des tocards authentiques. Hé merde…

Plus beau que la pierre: la fausse pierre


On ne veut jamais assumer la logique de sa situation, tout est là. Un connard vient habiter la campagne et exige bientôt que les coqs n’y crient plus, que des lampadaires arrosent de watts les petits chemins humides, et il profite du week-end pour napper de joli goudron noir une pelouse qui osait encore vivre. De l’autre côté du monde, au cœur d’une ville deux fois millénaire, un inconscient n’a pas compris qu’une gare est un outil humain fondamentalement opposé au bucolique campagnard, qui envoie et reçoit ses trains monstrueux comme un cœur géant qui n’aurait rien de commun avec l’ordre naturel et qui s’en moquerait bien. La ville humaine, toujours construite contre la nature, utilise ses gares, ses ports, ses aéroports comme des armes. Pan ! on envoie des milliers de gens dans une autre ville en glissant le plus vite possible sur cette emmerdeuse pleine de boue, de trous et de troncs ! On envisage tout pour limiter les dégâts que la nature, cette vache, nous fait subir quand elle se fâche. C’est puissance contre puissance. Si l’on veut évoquer la nature, celle qui nous donne tout, il me semble plus cohérent d’inventer de nouvelles formes d'hommage (comme l’Art déco le fit si bien) que de se contenter, en gros feignant, de planter 24 faux pissoirs à chiens en rang d’oignons sous une verrière.