vendredi 15 février 2008

Pas de répit pour la mémoire!

Modèle des nouvelles écoles primaires. Rentrée 2008.


Franceland© s’émeut. Alors que tout est calme sur le front, Sarkozy annonce qu’il veut que chaque élève de CM2 soit « associé à la mémoire d’un enfant français victime de la shoah. ». Il annonce ça devant le CRIF, alors que personne ne lui demande rien… et il ose cette phrase : « Porter le nom d’un disparu, c’est aussi porter le poids d’une vie ». Les gamins de 10 ans devront donc porter « le poids d’une vie » en plus de celui de leurs cartables. Les observateurs étrangers doivent vraiment se demander ce qui arrive dans ce pays : chaque semaine, le Pèzident sort un truc de son chapeau, avec chaque fois une amplification de l’effet de surprise. S’ils comprennent quelque chose, d’ailleurs, qu’ils nous expliquent.

Comme en colo, on va créer des binômes. Sauf que le Patron veut des binômes sur le modèle « un enfant de 10 ans et un enfant mort ». On va se marrer en classe de CM2. Comme le décortiquait Philippe Murray, on avait la France festive : on a maintenant la France commémorative. Dès l’enfance, il faudra « porter le poids d’une vie » comme on porte un tatouage. Ce serait d’ailleurs une idée, tatouer chaque enfant avec un tatouage de déporté, pour la perpétuation de la mémoire. Les jeunes salauds qui ont eu la chance de naître hors période de guerre ne s’en tireront pas à si bon compte : ils étudiaient la shoah dès le CM1, ils en découvraient l’horreur bien précocement, on va leur faire passer la tentation de l’oublier. Opération pas de répit pour la mémoire !

Après l’épisode Guy Môquet, le Pion en chef nous ressert de la seconde guerre mondiale. On est en droit de se demander ce qui obsède le Boss à ce point. Qu’a-t-il de personnel à régler avec cette période ? Qu’a-t-il fait sous l’occupation, alors qu’il n’était pas encore né ? Guy Môquet, montré en exemple à tous les mômes, était une victime absolue, parfaite : n’ayant tué personne, n’ayant posé aucune bombe, n’ayant pas eu le temps de vivre ni de connaître une femme, il est fusillé comme otage, impuissant comme un mouton à l’abattoir. Le héros proposé à l'identification de la jeunesse est donc désormais une victime, la plus innocente possible. Mais il y a mieux : les enfants. Toujours plus jeune ! toujours plus incontestable ! Les élèves de CM2, s’ils n’avaient pas compris le message, vont donc avoir à vivre avec le nom d’une victime supplémentaire, un enfant assassiné avant même la naissance de leurs propres parents.

Il est à parier que des associations agissantes vont rapidement remarquer que la shoah concerne les Juifs, et que la mesure mémorielle sarkozienne exclut donc de son champ les enfants… tziganes, par exemple. Encore une bonne occasion d’un affrontement racialiste.

La mémoire a toujours été un truc de vieux. Les jeunes se foutent pas mal des histoires du passé, ils le méprisent du haut de leurs quinze ans, de leur bonne santé, de leur appétit de faire l’avenir. Ils sont pressés d’oublier ce qui a fait l’expérience de leurs parents, pour pouvoir recommencer les mêmes fautes, prendre leur part à l’histoire. C’est une sorte de droit qu’ils prennent, et qu’on ne peut pas leur enlever. Il reste à espérer qu’ils ne tenteront pas une shoah bis, mais qui peut croire sérieusement qu’on en prend le chemin ? Dans cette France vieillissante, qui ne mise plus sur l’avenir, même budgétairement, il est sûrement logique que les vieux tentent de plomber la jeunesse du poids d’une histoire qu’elle n’a pas faite.