vendredi 21 mars 2008

Bouge ta prison !

Envie de voyage ?...

Le 12 février dernier, le Sunday Times balançait qu’une prison secrète de la CIA serait en cours de construction au Maroc. Situé près de Rabat, ce projet de prison servirait de lieu d’accueil et d’écoute (« emprisonnement et interrogatoires », selon les esprits négatifs) pour les terroristes estampillés Al Qaida… Le Maroc a officiellement démenti l’info mais les mauvaises langues ont fait ce qu’elles savent le mieux faire : elles se sont déliées. Un haut responsable de la CIA a même défendu l’idée d’une prison délocalisée, en s’appuyant sur l’humanisme : « les terroristes arrêtés seraient ainsi emprisonnés près de leurs pays d’origine. Leurs familles pourraient leur rendre visite sans avoir à subir les humiliants contrôles douaniers que les Etats-Unis réservent à tous les métèques étrangers arrivant sur leur sol. »

La France, c’est bien connu, n’emprisonne pas de terroristes, surtout pas des terroristes dangereux, car elle tient à rester l’amie de tous dans le respect des différences et du droit, amen. Mais elle se fait épingler par toutes les enquêtes sur ses prisons. L’hiver dernier, Kadhafi est reparti « horrifié » de sa visite à la prison de la Santé, reconnaissant tout de même qu’il y avait repéré quelques bonnes idées, « à mettre en œuvre dès mon retour au bled »…

La France a des prisons de merde, tous les rapports le disent. Depuis que des gros bonnets de la finance, du show business, du sport et de la politique y ont séjourné, on commence à s’inquiéter de leurs témoignages, et certains, parmi l’élite républicaine, se mettent à imaginer devoir y passer un jour. Qui a dit que nos politiques sont imprévoyants ? Le Président de la République lui-même a décidé que ça ne pouvait plus durer. Perben vient donc de désigner Bouygues pour la construction de trois prisons d’ici 2011, à Nantes, Lille et Réau. Il avait le choix entre Spie Batignolles, Vinci Construction, Eiffage et Bouygues, mais tout le monde n’est pas le parrain du fils du Boss… Si on accepte l’idée que les caisses de l’Etat sont vides et qu’elles ne sont plus remplissables, on doit logiquement admettre que le privé vienne accomplir, contre un joli paquet de fric, ce que l’Etat ne peut plus faire. Construire une prison ? Mais comment donc, mais parfaitement ! L’administrer ? Pas de problème ! La remplir ? Non, quand même pas, pas encore…

La prison: le droit d'être bien enfermé.


Seulement voilà : le territoire national coûte cher. Construire une prison sur un terrain en France est un luxe que ne méritent peut-être pas les gibiers de cellule, se dit-on du côté du ministère. On a vite fait de calculer que sur la surface de la prochaine prison de Nantes, on aurait pu implanter des lotissements pour six mille familles ! Ça rapporte, ça, six mille familles ! Six mille baraques mal foutues qu’il faut sans cesse décorer, entretenir … six mille tondeuses à gazon… six mille barbecues ! S’inspirant alors de ce que fait notre belle industrie française depuis quelques années, le Pèzident a décidé de monter d’un cran supplémentaire dans l’externalisation des services en délocalisant carrément les prochaines prisons dans des pays pauvres, mais émergeants. « Actuellement, nous confie Jean-Benoît Frilesse, inspirateur du projet, un employé de prison (gardien ou personnel technique) coûte en moyenne seize fois plus cher en France qu’en Namibie, douze fois plus cher qu’au Pérou et encore neuf fois plus cher qu’en Roumanie, calculs faits en excluant les droits à la retraite ! Pensez-vous que la France, c'est-à-dire les contribuables, doivent passer à côté d’une telle opportunité d’économie ? » Probablement pas, en effet.

Vous ne verrez plus le Pérou comme avant...


C’est ainsi que la prochaine prison-Bouygues sera édifiée dans la banlieue de Chiclayo, au Pérou, avec des maçons locaux (artisanat méritant et très habile), des femmes de ménages locales (elles abattent leurs douze heures quotidiennes le sourire aux lèvres), des cuisiniers du coin (plats épicées, très bon pour le transit intestinal), des matons locaux (anciens militaires en retraite, rompus à la psychologie masculine) mais des détenus 100% made in France, évidemment. J.B. Frilesse insiste sur "le bon sens" d’une telle mesure : « Les consultations d’usages n’ont pas permis de dégager de réels arguments contre la délocalisation des prisons. Non seulement nous faisons faire des économies au budget de l’Etat, mais nous offrons une chance d’apprendre une langue étrangère aux détenus, surtout les longues peines ; nous fournissons du travail aux populations locales dans le cadre d’un accord de développement basé sur le travail, et plus seulement sur l’assistanat ; nous exportons le savoir-faire français dans les domaines de la sécurité et de la construction et nous allégeons considérablement les charges administratives spécifiques aux visites en parloir. C’est une opération gagnant - gagnant qui va servir de modèle à l’Europe entière ! D'ailleurs, les demandes de conventionnements internationaux affluent déjà au ministère, aussi bien de la part de la Russie que de la Chine, sans parler de la Turquie, qui est prête à beaucoup de sacrifices pour faire la démonstration de sa compétence. »

Merci qui ?