lundi 21 avril 2008

United colors of Panthéon

J'suis copine avec des grands hommes!

Aimé Césaire est mort et à peu près tout le monde s’en fout. Tout le monde ? Non : car une femme courageuse (la brebis Ségolaine) reprend le flambeau et demande que l’insulaire soit enterré au Panthéon. A part l’ascension directe au ciel, le Panthéon, quand on est mort, c’est le must. Enfin, c’était le must jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que le Panthéon est situé à Paris. L’idée de Paris, cœur de la France, c’est une idée qui pue l’ancien régime tout autant que le jacobin. C’est une idée qui ne respecte pas les sensibilités diverses qui s’expriment dans la tolérance et la diversité locale. C’est une idée absolutiste, paternaliste, totalitaire et géographiquement insoutenable. C’est fasciste, osons le mot.

Sitôt le mot Panthéon prononcé, la République fait marcher ses engrenages, hop : une consultation, un communiqué, une décision ! Pas d’impro, pas de flottement, soyons modernes, efficaces, à l’allemande, jugulaire jugulaire ! On demande donc aux amis et à la famille de Césaire ce que pensait cézigue de la panthéonnade, et leurs avis aussi, ça nous passionne. L’hic est justement qu’en toute modestie, le défunt se considérait comme l’âme de la Martinique et que, poussant le particularisme à son point de perfection, il se demandait ce qu’un martiniquais tel que lui pourrait bien foutre sur la colline sainte Geneviève. « Vous voulez nous l’enlever une seconde fois, enculés ? » a-t-on entendu s’exclamer tout un peuple en deuil. Car se faire panthéoniser suppose avant tout de se faire coincer à l’intérieur du périph, tout Victor Hugo que vous êtes. Il faut donc renoncer aux petites tombes bucoliques de nos villages, qui font voisiner le grand homme avec le marchand de vins, la boulangère avec le député, le champion de la négritude avec l’albinos. Comme il n’y a déjà pas grand-chose à voir en Martinique (pas plus qu’en Guadeloupe, en Corse, dans les Baléares et d’une manière générale dans tous les trous perdus que sont les îles), les hôteliers locaux se disent qu’il vaut mieux que le touriste ait une tombe de grand homme à visiter sur place, plutôt qu’il reste à Pantruche profiter des têtes de gondoles de la Nation par paquet de douze. Pas bête.

Mais croyez-vous que madame Royal soit une femme à se laisser impressionner par la volonté d’autrui, fut-il défunt ? Nib ! Elle revient à la charge de belle manière en proposant ni plus ni moins qu’une « décentralisation du Panthéon » ! Qu’on construise des panthéons dans les différentes régions françaises, et nous pourrons ainsi honorer les ossements des cadors là où ils brillèrent du temps de leur splendeur ! Et c’est soudain une colonne prestigieuse de grands noms qui se constitue dans chaque province, les Gaston Deferre, les Marcel Dassaut, les Paul Bourget, les Aristide Filoselle. Mieux : Désir d’avenir et imaginons la France d’après enfin rassemblés pour couvrir le pays de monuments à la gloire des grands personnages que nous sommes tous, ou presque. Car après tout, se demande la Poitevine, pourquoi faudrait-il honorer les hommes exceptionnels dans une époque qui est tout entière façonnée par des gens ordinaires ? N’y aurait-il pas un parfum antidémocratique dans cet élitisme lyrique ? La Nation ne doit-elle être reconnaissante qu’aux « grands hommes » ? Et pourquoi pas aux mères de quatre enfants ? Et le type qui prend le métro à 60h30 chaque matin, n’a-t-il pas tout du héros moderne qu’il conviendrait de respecter ? Comme on l’imagine, la réunion du bureau du PS fut des plus fécondes.

United colors of panthéon

Soucieux de ne pas être en reste dans cette course à l’idée géniale, le maire de Paris en a même remis une couche en proposant qu’à l’exemple du Louvre, désormais décliné au proche Orient, en attendant pire, le panthéon français ouvre des succursales dans « de nombreux pays amis ». Faire rayonner la culture avec le Louvre, c’est bien. Mais je pense aux hommes et aux femmes qui sont la fierté de notre pays, et dont le reste du monde ne peut pas profiter parce que nous gardons une notion étriquée et ringarde, j’ose le mot, du territoire national. Je suis en discussion avec plusieurs villes pour que Paris ouvre des panthéons à l’étranger : Canberra, Austin et Tombouctou. Dans ce monde concurrentiel et globalisé, il est vital pour la France de faire rayonner partout sa culture et ses grands personnages, parce que l’exemple donné aux autres, c’est aussi un marché porteur.