vendredi 30 mai 2008

Justice pour Justice

Ça y est, le MRAP vient de dégainer sa plainte. Le clip de Justice, Stress, qui fait un gros foin sur le web, est appelé « immonde production » par les gardiens de la morale, et une plainte est désormais déposée contre ses auteurs. Je ne résiste pas à la tentation de citer un passage de l’article de Libé relatant l’affaire : « Le clip montre une bande de jeunes (tous noirs et maghrébins, capuche sur le tête et logo de Justice dans le dos) débarquant dans une cité, où ils sèment la terreur en agressant les habitants (exclusivement des blancs). » C'est écrit là

Le racialisme fait tellement de progrès dans notre pays qu’il va bientôt devenir impossible de constituer un groupe de personnes ethniquement homogènes sans être accusé de l’avoir fait exprès… Ici, c’est naturellement autre chose, puisqu’il s’agit d’une œuvre de fiction, et que les acteurs ont évidemment été choisis en fonction de leur apparence. Or Libé, relayant l’ire du MRAP et en partageant sans doute les démangeaisons, parle de jeunes agresseurs « tous maghrébins ou noirs », et de victimes « exclusivement » blanches. Une conclusion s’impose : ces feignants-là n’ont pas pris les trois minutes nécessaires pour mater le clip. Ou peut-être la rage les a –t-elle aveuglés à un point que nous ne pouvons pas comprendre, nous qui savons rester calmes devant les choses peu importantes ?

Car n’importe qui peut se rendre compte ICI) que les fameux jeunes sauvages n’agressent pas QUE des « Blancs », le mec dans le métro par exemple, le mec le long des grilles, et que s’ils sont tous des racailles, s’ils en ont le look, il n’est pas évident qu’il n’aient pas de Blancs parmi eux (quand ils déconnent dans la BX…). Je suis sûr que les mecs de Justice vont avoir à se justifier et qu’ils devront se livrer au jeu que je viens de faire : la classification ethnique des canailles et des gentils. On est bien dedans.

J’irai même plus loin : et si le clip montrait effectivement ce que le MRAP trouve immonde ? Des Blacks/Beurs agressant des Blancs. Que l’on soit d’accord ou non avec le « message » qu’on pourrait alors y lire, qu’on aime ou pas le traitement du clip, qu’on soit effarouché par la violence ou une autre connerie du genre, faut-il qu’une plainte tranche le problème ? Si les mecs de Justice avaient voulu dire un truc comme « attention, des bandes de jeunes exclus de tout sombrent dans le folie violente, et ce sont des Blacks/Beurs », en quoi ça mériterait une plainte ?

Jouissance ferroviaire

Tout le monde sait bien qu’une des causes de mésentente entre les hommes et les femmes vient de ce que celles-ci n’ont pas la même « horloge sexuelle » que ceux-là. Une femme se plaindra souvent de la brièveté de l’acte d’amour, tandis que, s’il ne s’occupe que de son propre plaisir, le mec peut n’y consacrer qu’une minute ou deux. Frustrazione !

Au Pays-bas, au début de ce mois, des voyageurs ont été les témoins d’une gaffe énorme : la conductrice n’avait pas bien raccroché son micro, et fut surprise en pleine séance de masturbation ferroviaire. On se marre.

Je ne peux m’empêcher de faire remarquer que la vidéo ne dure qu’une minute trente, et que la dame donne bien l’impression d’avoir « fini ». Alors ? on arrête de nous faire chier, ouais ?

jeudi 29 mai 2008

La ruée vers l'art

La ruée vers l'art

Comment dégoûter les gens des musées ? C’est sans doute avec ce secret objectif que le ministère de la culture organise l’inévitable « Nuit des musées » depuis près de 10 ans. Le problème de ce genre de manifestation (comme la Fête du cinéma, par exemple), c’est que leur succès est automatiquement assuré (voyez plutôt) . On ne sait au juste pourquoi, mais quand un chargé de mission quelconque pond une « idée » de ce style-là (Nuit des musées, Week-end du casse-croûte, Mardi des divorcés, Quart d’heure de l’intelligence conceptuelle, Fiesteuf de la post-adolescence rebelle, Nocturne du bon sens, Biennale du fist fucking, Jubilée de la pizza, etc.), le public s’y rue en masse, comme s’il n’attendait que ce genre d’occasion pour sortir le nez de devant sa télévision. Quel que soit le sujet de ces agapes institutionnalisées, il semble bien qu’on y trouve un public, et qu’on le compte par paquet de cent mille sans coup férir, sous l’œil stupéfait des casse-couilles dans mon genre.

Qu’est-ce qui peut bien pousser des milliers d’êtres humains doués de raison à aller se faire chier dans des salles de cinéma sur bondées, au risque de se retrouver au premier rang (rang appelé Ophtalmie & Torticolis par les professionnels), au risque automatique de devoir faire la queue avant, sans compter l’état des toilettes quand la fréquentation des salles est à son maximum ? (ben oui, m’étonnerait qu’ils embauchent du personnel exprès…) Si un citoyen de ce pays libre veut aller au cinoche, bordel de merde, pourquoi choisirait-il justement le jour où des millions de clampins sont censés s’y trouver aussi ? Pourquoi choisir la cohue quand on peut avoir le calme, la place qu’on souhaite, le silence exempt de bruits de paquets de chips ? Hé ben non : c’est un succès ! Le prix des places, me direz-vous ? Si le prix des places est l’Explication à ce mystère moderne, alors, il est dit qu’on peut faire faire n’importe quoi au genre humain pour l’équivalent de 6 euros...

Un franc succès!

Si le cinéma suppose un minimum de confort, que devrait-on dire des musées ? Imagine-t-on un couple de bipèdes obligés de jouer des coudes pour arriver à moins de cinq mètres d’une toile, par exemple, poussés dans le dos par d’autres malheureux pendant la contemplation d’un chef d’œuvre d’art domestique flamand, bousculés par des gangs de néo visiteurs, menacés d’expulsion au bout de trente minutes pour cause de « sur fréquentation des salles au regard des consignes de sécurité » (authentique !) après qu’un mariole leur aura fait les poches ? Qu’il abrite des toiles de maîtres ou des machines à vapeur, un musée est censé offrir, en plus des pièces proprement dites, un temps particulier au visiteur, un temps lent, tranquille, propice à l’observation, à l’examen, à la contemplation muette ou non, enfin il doit s’efforcer d’être un havre de tranquillité. A part la mission de conserver les œuvres, c’est ce qu’on lui demande en priorité. Alors bien sûr, dès qu’il s’agit d’une Nuit des musées et surtout dès qu’on y mesure le succès au nombre d’entrées enregistrées… Notons d’ailleurs que ceux qui critiquent si bravement la manie sarkozyste du chiffre (dans les commissariats, dans les hôpitaux ou les sandwicheries) n’hésitent pas à dégainer leurs chiffres mirifiques dès qu’il s’agit de culture, et qu’ils en attendent des vivas.

Au delà de cette limite, la Culture est à vous

Bien entendu, il est très facile de ne pas se rendre dans un musée pendant la fameuse Nuit qui leur est dédiée. C’est même très exactement ce que je conseille à tous. Et j’imagine que les pondeurs de cette géniale idée prétendent plutôt « y faire venir ceux qui ne les fréquentent pas en temps ordinaire ». Mais qu’est-ce qu’il leur faut de plus : il est très facile d’entrer gratuitement dans un musée en France. Les musées nationaux de Paris sont gratuits un dimanche chaque mois, par exemple, et la province n’est pas en reste. Alors qu’en pénétrant dans un magasin de fringues, on est sûr de ressortir avec les poches vides. Qu’offre-t-on donc à ces fameux pékins qui n’entrent-jamais-dans-un-musée, en somme ? Une cohue de plus. Le mec sort de là en pensant sans doute que c’est le lot habituel, il s’est fait marcher sur les pieds, il a plus ou moins aperçu des trucs par-dessus les épaules des autres visiteurs, il a manqué étouffer dans des pièces bondées après s’être gelé les couilles dans la file d’attente : pas de doute, il n’y remettra plus jamais les pieds !

Je ne sais plus qui a dit qu’une toile accrochée dans un musée est la chose qui entend le plus de sottises en un jour. C’est probablement vrai, mais c’est incomplet. Je pense qu’une toile est aussi l’objet devant lequel défilent le plus de gens sans aucune raison, dans un mouvement incompréhensible et dans le plus complet des malentendus. Celui qui n’a jamais pris vingt minutes pour observer non pas les œuvres exposées dans un musée, mais le ballet des visiteurs, ne peut pas savoir à quel point je suis dans le vrai.

(à suivre)

mercredi 28 mai 2008

Cimetière-à-ciel-ouvert Park

Un bien beau geste technique,
qu'on aimerait voir plus souvent!


Une expo d’authentiques cadavres humains débute aujourd’hui même à la Sucrière, à Lyon. Il s’agit de corps traficotés au silicone, devenus en quelque sorte plastifiés, donc exploitables (retenez bien ce mot) car incorruptibles. L’expo a déjà été réalisée ailleurs dans le monde et y a évidemment cartonné, ce qui n’est une excuse que pour les imbéciles. Quelques explications ICI.

Après tout, on tripote du macchabée depuis pas mal de temps, les académies de médecine en sont remplies et les peintres ont déjà représenté des séances de charcutage savant, Rembrandt notamment, avec les exploits du docteur Tulp. Grâce à ces coups de bistouri, la médecine occidentale a réalisé les progrès qui permettent aujourd’hui aux vieux cons de profiter des joies du trekking sur les pentes de l’Himalaya, entre deux parties de cul. Si on ne sait toujours pas rester jeune, on demeure vieux plus longtemps, c’est déjà ça.

Mais il doit être écrit quelque part que ce qui est bon pour le progrès général du genre humain DOIT AUSSI finir par rapporter du pognon à quelques uns. Il ne s’agit donc plus d’utiliser des corps humains à des fins de connaissance médicale, mais de les exposer dans des postures grotesques contre un billet d’entrée, entre un distributeur automatique d’argent et un baraque à frites. Car, tout le monde le comprendra, la « connaissance de notre corps », prétexte gentillet à cette pantalonnade (nommée Our Body), n’est pas l’objectif profond de l’opération. On y verra des cadavres écorchés faisant du football, des squelettes à vélo, des basketteurs tous muscles et tendons dehors, c'est-à-dire de gentils morts, des fantômes sympas qui bougent leur mort, des cadavres actifs ! On s’étonne presque qu’une association de trembleurs n’ait pas encore clamé sa frayeur de voir exposer, devant des enfants ( !), le mauvais exemple de squelettes à vélo sans casque

Un bien mauvais exemple...

Ces pantins plastifiés, qui furent pourtant des pères de famille, des fils, des filles, mais qui furent assez cons pour léguer leur corps à la science, sont là pour nous montrer sans doute le bon côté de la mort, ils nous prouvent que par delà le décès, et pour autant qu’on se remue un peu, on peut encore faire plein de choses ! « Avant, semblent-ils nous dire, la mort, c’était la galère ! Aujourd’hui, on peut continuer d’avoir des activités physiques, on voyage et on fait des rencontres ! » La mort, c’est ringard, a même lâché un pré ado à la sortie de l’expo, immédiatement giflé par une mémé passant par là.


ça suffisait pas, ça?

mercredi 14 mai 2008

La dernière combine de Rauschenberg

Effacement de l'image de Rauschenberg. Beboper. 2008.

« Le coup le plus grave porté au Pop Art a sans doute été l’admiration ». Tom Wesselmann.

vendredi 9 mai 2008

Va t'faire exclure ailleurs!

"La voie est étroite, mais sécurisée". Devise montréalaise.

Montréal est une ville moderne qui a la chance d’avoir aussi une municipalité moderne. L’équipe élue considère que pour la collectivité, l’information doit être comme le sang d’un être vivant : faut que ça circule ! A la suite du sommet de Montréal en 2002, la mairie s’était donc engagée à mettre en pratique le principe dit « d’accessibilité universelle ». En gros, il s’agit de ça : « Nous nous sommes basés sur les règles et directives proposées dans le guide « Le savoir simplifier » produit par le ILSMH Association Européenne. Les auteurs de ce guide proposent, entre autres, de toujours utiliser un langage simple et sans détour, de présenter une seule idée maîtresse par phrase, de ne pas se servir d'abréviation et d'avoir une structure claire et logique. En suivant ces règles, nous combattons l'exclusion à l'information. Il ne faut pas oublier que plus de 30 % de la population montréalaise éprouve, pour toutes sortes de raisons, de la difficulté à lire. »

Puisqu’il est établi que la vie moderne consiste décidément à combattre, combattons donc « l’exclusion à l’information ». Telle qu’elle est expliquée ci-dessus, la méthode (une seule idée maîtresse par phrase, etc.) ressemble fort au langage des politiciens contemporains. On croirait entendre parler un conseiller en communication du Pèzident ! Mais elle diverge sur un point important : elle s’adresse à des débiles ! Des vrais, des techniques, des gens « souffrant d’incapacité intellectuelle », pour parler correk. La ville de Montréal a donc deux versions de son portail Internet, l’une pour les gens comme vous et moi, l’autre pour les gens ayant « des déficiences ou des limitations, qu'elles soient visuelles, auditives, intellectuelles ou autres ». Louable intention.

Pour traduire ces intentions dans les faits, on utilise « l’ortograf altêrnativ », un bricolage qui suit plus ou moins la phonétique, une langue qui s’adresse à des déficients intellectuels sans chercher à remplacer le français authentique, le seul, l’unique, le précieux joyau hérité du fond des âges ! « L'ortograf altêrnativ utilise seulement 35 correspondances graphèmes/phonèmes alors que l'orthographe conventionnelle en compte plus de 4000. »

Présentée dans un style inimitable qu’il serait épuisant d’analyser (« L'ortograf altêrnativ s'adresse à une fraction de la population qui a été la plus négligée quant aux moyens visant l'accessibilité universelle, soit les personnes qui ont des incapacités intellectuelles ») cette novlangue fait irrémédiablement penser au langage SMS de nos chers trous du cul adolescents. Visez donc le topo : ICI

Même si ça ressemble à une blague (« Se sit s'adrês o pêrsone ki on dê z’inkapasité intélêktuêl »), le truc est bel et bien sérieux. On s’adresse au « sitouayin », alors merde, cessez de rigoler !

Kolêkt dê déchê

Il est évident que tout ça part de bonnes intentions, et qu’une société qui se respecte doit aider les handicapés. On peut toutefois remarquer qu’en proposant les moyens (utopiques) de l’autonomie aux personnes qui ont le plus besoin d’être assistées, la mairie de Montréal se range un peu quand même du côté des opposants à l’horrible vice partout vomi : l’assistanat. En forçant à peine, on pourrait y lire une intention de considérer les handicapés mentaux comme « normaux », c'est-à-dire capables de s’informer seuls (grâce à l'ortograf altêrnativ), capables de choisir seuls, de s’orienter seuls, de se démerder seuls en fait. Le sitouayin moderne doit être et sera informé, normal, adulte, concerné et responsable. Partant de là, l’assistance dont les handicapés auront toujours besoin, celle qui a le tort de coûter du pognon, on pourrait être amenés à la suspecter d’inutilité…

Quant au public visé par cette initiative, on se prend à douter : on évoque « 30% de la population montréalaise » : soit la proportion de déficients mentaux est la plus forte du monde dans ces régions, soit ces déficients, moins nombreux, ne sont que les paravents incontestables derrière lesquels on planque les cancres du fond de la classe, les étrangers non alphabétisés et les journalistes sportifs ! On a beau dire que l’orthographe simplifiée n’est pas une nouvelle façon d’écrire le français, à 30% de clients qui « ont de la difficulté à lire », ça devient quand même une tendance majeure, non ?

L’icône « Bibliothèque de Montréal » peut surprendre sur une page s’adressant à des déficients intellectuels, mais elle traduit le volontarisme optimiste qui est à la base du projet d’ensemble, l’idée moderne que personne ne doit être exclu de rien, que les culs-de-jatte ont droit aux pistes de ski, que les aveugles ont droit au permis moto, que les déficients intellectuels ont droit au savoir livresque. Un des metteurs au point de l’ortograf altêrnativ est d’ailleurs en train de fignoler un logiciel de traduction qui permettra « de mettre à la portée de toutes et de tous les œuvres majeures du patrimoine humain, de Kant à Stephen King, de Socrate à Jean Daniel ».

jeudi 8 mai 2008

Les dents de l'Amérique

En feuilletant un magazine sur l’immobilier dans la région de Phoenix (Arizona) [ouais, et alors ?!], on fait des découvertes. La plus stupéfiante est peut-être la fréquence des publicités pour les dentistes. Ce genre de pub est également très fréquent à la télévision, ainsi que les pubs pour à peu près n’importe quoi, de la canne à pêche Fisherman’s junk au fusil automatique Killmatic. Visiblement, pour les Ricains, avoir de bonnes dents n’est pas un objectif suffisant : il faut les montrer. Comme un écran plat ou une nouvelle voiture, l’essentiel est que tout le monde sache que ça brille, que c’est neuf et que c’est de la bonne came. 

Le cinéma nous a déjà habitués à ce canon de beauté inter sexes, et on ne compte plus les stars au sourire éclatant, autant dans les nanars de seizième zone que dans les plus authentiques chefs-d’œuvre. Un acteur US avec une dentition moyenne, ça n’existe pas ! Le plus curieux peut-être, c’est que la fonction première des dents, qui est de couper/mâcher, est techniquement reléguée au rang d’archaïsme dans ce pays où la bouffe est, au-delà de son goût, de ses qualités nutritives ou de son originalité, une chose systématiquement molle. Comme ces mecs bodybuildés qui ne foutent rigoureusement jamais rien des muscles qu’ils s’acharnent à gonfler, l’Américain des magazines possède des dents à peu près inutiles, alors il les exhibe. 

Une petite visite dans l’Amérique de tous les jours vous montrera ce qu’aucun frenchy ne pourrait deviner : beaucoup de gens, énormément de gens ont de fausses dents aux Etats-Unis. Et pas que les vioques ! Il est très fréquent de rencontrer un quadra qui s’est fait ôter toute la salle à manger et qui a préféré avoir de fausses dents, tout simplement parce que les soins dentaires coûtent la peau du cul. La maison moyenne d’un dentiste, là-bas, c’est un truc à 6 millions de dollars… Le business rapporte. Plutôt que d’aller chez le dentiste régulièrement, le pragmatique citoyen de la première puissance mondiale se gâte les dents en bouffant trop sucré, puis les abandonne au profit d’un dentier plus pratique à entretenir, plus spectaculaire à montrer, plus facile à changer et incontestablement beaucoup plus design. Et toujours avec cette désarmante candeur du gars pour qui un parquet en plastoc mélaminé façon bois est plus pratique à nettoyer qu’un bon vieux parquet en chêne… Un coup d’éponge, et c’est propre ! Mentalité de femme de ménage.

Mes chers frères, mes chères sœurs, compagnons d’épreuves, j’aimerais que chacun d’entre vous prenne trente secondes pour regarder intensément la photo ci-dessous. Concentration. Cliquez dessus pour agrandir au besoin.
L’illustration choisie est censée représenter la femme mûre idéale. Visez le topo : elle joue au tennis, elle a les épaules d’un lutteur, elle a la mâchoire de Clint Eastwood, elle n’a pas un poil de graisse et possède peut-être ce qu’une photo cadrée plus large aurait montré : un splendide braquemard ! Comme si ça ne suffisait pas, le docteur Ginger Price (Gingembre Prix, tu parles d’un blaze !) lui a foutu un sourire en plastique de derrière les fagots : cette pauvre conne est défigurée ! Des incisives de trois bons centimètres ! Imaginez le bruit que doit produire chaque mot prononcé par cette bouche, imaginez qu’elle tente de susurrer un « je t’adore, baby » : filtré avec difficulté par la rangée de barreaux dentaires, l’expression devient un souffle bruyant, quelque chose entre le 44 tonnes qui passe devant ta fenêtre et le pet d’un phoque boulimique par un soir de grand vent au cap Horn !

Je n’irai pas jusqu’à faire l’apologie des chicots.
Le sourire, c’est comme la bonne santé pétaradante : passé un certain seuil d’intensité, ça fait chier tout le monde. On en arriverait presque à apprécier la fréquentation des tristos, des coincés du cul et des bigots pétris d’angoisse. L’Américain manie le sourire à grands coups d’effets spéciaux, c’est autant dans sa nature que dans ses moyens. Mais comme tout ce qui est fabriqué industriellement, ça remplace mal le naturel. L’enthousiasme, qui est la plus haute qualité d’un être humain (selon moi), devient chez eux un tic enfantin dérisoire : vous dites à un type que vous avez pris l’autobus à l’heure, il vous répond « Great ! ». Vous racontez à un autre que vous faites du vélo le dimanche, il vous balance un : « Woaw ! ». Alors, dans un pays où l’exclamation enthousiaste est aussi fréquente, où c’est même le meilleur moyen de se faire reconnaître et apprécier socialement, il n’est peut-être pas inutile de posséder un sourire de combat…

Pour atteindre une forme bizarre de perfection, on trafique donc les dents des gens en les transformant en piste de patinoire. Pour être dans le coup, il faut être parfait, sembler parfait ! On se fait refaire les dents, on se fait tirer la peau, on se remonte les pommettes, on se fait sucer la panse, détordre les tibias, recalibrer le trou de balle. L’idéal auquel il faut ressembler, c’est l’acteur de sitcom. Belle et haute ambition. Mais imaginons qu’au moment où tout le monde sera devenu parfait, lisse et brillant comme un oignon frais, 100% équipé pour un sourire sans fin (Endless smile), les gens détournent les yeux du miroir et se mettent à regarder le monde autour d’eux : pas de quoi rigoler ! Tous ces sourires devenus soudain inutiles !

Pour certaines sociétés, le sourire est une obligation sociale. On sourit chez les Thaïs comme on portait le béret chez nous autres. On appelait les Cambodgiens le peuple du sourire, avant que les Khmers rouges rendent cette expression trop cruelle. Et il faut déduire que les Américains sont sans doute portés nationalement à la galéjade. Mais on peut se demander ce qui peut bien les faire rire autant. Dans leurs existences, dans le monde, dans leur vision de l’avenir, autour de chacun d’eux, qu’est-ce qui peut donc susciter une telle envie de se marrer ?