jeudi 29 mai 2008

La ruée vers l'art

La ruée vers l'art

Comment dégoûter les gens des musées ? C’est sans doute avec ce secret objectif que le ministère de la culture organise l’inévitable « Nuit des musées » depuis près de 10 ans. Le problème de ce genre de manifestation (comme la Fête du cinéma, par exemple), c’est que leur succès est automatiquement assuré (voyez plutôt) . On ne sait au juste pourquoi, mais quand un chargé de mission quelconque pond une « idée » de ce style-là (Nuit des musées, Week-end du casse-croûte, Mardi des divorcés, Quart d’heure de l’intelligence conceptuelle, Fiesteuf de la post-adolescence rebelle, Nocturne du bon sens, Biennale du fist fucking, Jubilée de la pizza, etc.), le public s’y rue en masse, comme s’il n’attendait que ce genre d’occasion pour sortir le nez de devant sa télévision. Quel que soit le sujet de ces agapes institutionnalisées, il semble bien qu’on y trouve un public, et qu’on le compte par paquet de cent mille sans coup férir, sous l’œil stupéfait des casse-couilles dans mon genre.

Qu’est-ce qui peut bien pousser des milliers d’êtres humains doués de raison à aller se faire chier dans des salles de cinéma sur bondées, au risque de se retrouver au premier rang (rang appelé Ophtalmie & Torticolis par les professionnels), au risque automatique de devoir faire la queue avant, sans compter l’état des toilettes quand la fréquentation des salles est à son maximum ? (ben oui, m’étonnerait qu’ils embauchent du personnel exprès…) Si un citoyen de ce pays libre veut aller au cinoche, bordel de merde, pourquoi choisirait-il justement le jour où des millions de clampins sont censés s’y trouver aussi ? Pourquoi choisir la cohue quand on peut avoir le calme, la place qu’on souhaite, le silence exempt de bruits de paquets de chips ? Hé ben non : c’est un succès ! Le prix des places, me direz-vous ? Si le prix des places est l’Explication à ce mystère moderne, alors, il est dit qu’on peut faire faire n’importe quoi au genre humain pour l’équivalent de 6 euros...

Un franc succès!

Si le cinéma suppose un minimum de confort, que devrait-on dire des musées ? Imagine-t-on un couple de bipèdes obligés de jouer des coudes pour arriver à moins de cinq mètres d’une toile, par exemple, poussés dans le dos par d’autres malheureux pendant la contemplation d’un chef d’œuvre d’art domestique flamand, bousculés par des gangs de néo visiteurs, menacés d’expulsion au bout de trente minutes pour cause de « sur fréquentation des salles au regard des consignes de sécurité » (authentique !) après qu’un mariole leur aura fait les poches ? Qu’il abrite des toiles de maîtres ou des machines à vapeur, un musée est censé offrir, en plus des pièces proprement dites, un temps particulier au visiteur, un temps lent, tranquille, propice à l’observation, à l’examen, à la contemplation muette ou non, enfin il doit s’efforcer d’être un havre de tranquillité. A part la mission de conserver les œuvres, c’est ce qu’on lui demande en priorité. Alors bien sûr, dès qu’il s’agit d’une Nuit des musées et surtout dès qu’on y mesure le succès au nombre d’entrées enregistrées… Notons d’ailleurs que ceux qui critiquent si bravement la manie sarkozyste du chiffre (dans les commissariats, dans les hôpitaux ou les sandwicheries) n’hésitent pas à dégainer leurs chiffres mirifiques dès qu’il s’agit de culture, et qu’ils en attendent des vivas.

Au delà de cette limite, la Culture est à vous

Bien entendu, il est très facile de ne pas se rendre dans un musée pendant la fameuse Nuit qui leur est dédiée. C’est même très exactement ce que je conseille à tous. Et j’imagine que les pondeurs de cette géniale idée prétendent plutôt « y faire venir ceux qui ne les fréquentent pas en temps ordinaire ». Mais qu’est-ce qu’il leur faut de plus : il est très facile d’entrer gratuitement dans un musée en France. Les musées nationaux de Paris sont gratuits un dimanche chaque mois, par exemple, et la province n’est pas en reste. Alors qu’en pénétrant dans un magasin de fringues, on est sûr de ressortir avec les poches vides. Qu’offre-t-on donc à ces fameux pékins qui n’entrent-jamais-dans-un-musée, en somme ? Une cohue de plus. Le mec sort de là en pensant sans doute que c’est le lot habituel, il s’est fait marcher sur les pieds, il a plus ou moins aperçu des trucs par-dessus les épaules des autres visiteurs, il a manqué étouffer dans des pièces bondées après s’être gelé les couilles dans la file d’attente : pas de doute, il n’y remettra plus jamais les pieds !

Je ne sais plus qui a dit qu’une toile accrochée dans un musée est la chose qui entend le plus de sottises en un jour. C’est probablement vrai, mais c’est incomplet. Je pense qu’une toile est aussi l’objet devant lequel défilent le plus de gens sans aucune raison, dans un mouvement incompréhensible et dans le plus complet des malentendus. Celui qui n’a jamais pris vingt minutes pour observer non pas les œuvres exposées dans un musée, mais le ballet des visiteurs, ne peut pas savoir à quel point je suis dans le vrai.

(à suivre)