samedi 7 juin 2008

Euthanasie : le bien mourir

Euthanasie : des solutions existent...

L’euthanasie n’est pas encore légale. On en parle, on en discute, on se crêpe le chignon à son sujet, on se traite de con, on est plein d’admiration pour ceux qui la réclament a priori, et paradoxalement, on l’est moins pour ceux qui préfèrent affronter la mort face à face : c’est comme ça. La question est délicate car autant on comprend qu’un individu ait envie d’en finir, autant on peut craindre que l’Etat, avec ses grosses lois, s’en mêle.

Les sondages semblent indiquer qu’une majorité de Français en pince pour le droit à l’euthanasie, mais ça ne saurait constituer un argument bien solide : c’est bien une majorité de Français qui a élu Sarkozy, après Chirac, et Bienvenue chez les Ch’tis a été vu par 32 fois plus de monde, en France, que There will be blood… Il n’y a pas de raison pour que dans ce domaine, la « majorité » ait plus raison que la minorité, sauf, bien sûr, si on organisait une sorte de référendum sur le sujet. Nous n’en sommes pas là.

Il semble bien que le train de la modernité soit en marche et les imprudents qui ne respectent pas les passages à niveau risquent fort de le sentir passer. On a eu l’affaire Humbert l’an dernier, on a eu l’affaire Debaine cette année (acquittement pour avoir tué sa fille handicapée), on aura d’autres affaires et les juges, selon la loterie que constitue un jugement, appliqueront la loi ou l’interpréteront selon leur conscience. On est un peu dans la situation bizarre où le pouvoir judiciaire prend des initiatives par rapport au législatif…

Comme d’hab, le Pèzident a décidé de trancher dans le vif, si on me permet cette expression. Pour lui, en bon libéral, il est normal que les désirs des clients soient satisfaits. Dans le cadre européen mais néanmoins concurrentiel des pays modernes, une société de services comme la France peut-elle sérieusement se passer d’un tel article ? Il envisageait un truc assez simple : une procédure chiadée, avec des consultations multiples, des demandes faites devant notaire, et tout le bordel. Mais voilà, il a eu l’idée saugrenue de consulter les médecins, et ils ne sont pas d’accord. Si la société est arrivée au point où elle ne supporte plus l’éventualité de la souffrance naturaliste, si elle organise les moyens légaux d’autoriser et d’encadrer l’euthanasie, les médecins refusent catégoriquement de changer de rôle. Ils sont là pour soigner, pour d’abord ne pas nuire, ils n’ont pas vocation à buter du citoyen, même en phase terminale. On n’avait pas pensé à ça, et c’est symptomatique. Dans notre enthousiasme à pondre des mesures sous tendues par le Bien, on avait oublié que l’euphémisme ne masque que les mots : qu’on dise euthanasie et fin de vie à la place de mort, il s’agit toujours, in fine, de tuer une personne. Buter, effacer, crever. Et les toubibs, on peut le comprendre, ne sont pas chauds pour tenir ce rôle social là.

Il fallait donc envisager une autre solution. On a tout de suite pensé à la formation professionnelle : les familles de vieux débris pourraient suivre une formation (gratuite !) où les règles du bien tuer leur seraient apprises, déchargeant ainsi les médecins de cette traumatisante routine. Le problème, évidemment, c’est qu’on aurait rapidement une population de killers parfaitement capables de supprimer du collègue de bureau pour prendre sa place, et sans douleur ! Sans compter que les élèves satisfaits de la formation pourraient rapidement monter des boîtes de formation à leur tour, dispensant dans le pays (et sur Internet !) un savoir-faire toujours sympa à partager. Le projet était soutenu par Jean-Pierre Raffarin, éternellement prompt à donner des conseils en vertu de son incomparable expérience d’homme de terrain. Il développa l’argument économique selon lequel cette initiative pourrait permettre de créer « cent vingt mille emplois de formateurs d’ici cinq ans », argument balayé d’un revers de gabardine par la ministre de la santé, qui compte n’agir qu’en fonction des intérêts des patients, sous vos applaudissements. Une dispute s’engagea ensuite entre les deux poids lourds, et les témoins rapportent que Raffarin refusa même à la Bachelot le droit d’intervenir en tant que ministre de la santé « puisqu’on parle d’euthanasie, c'est-à-dire de plus de santé du tout ! ». Les deux figures sortirent de l’Elysée entourés de leurs gardes du corps respectifs…

Cent vingt mille emplois en cinq ans...

Le Boss profita du passage de Couche-Nerfs en France pour lui demander son avis, à titre individuel et en tant que médecin. Le globe trotter, toujours aussi nature dès qu’il s’agit de vocabulaire lui expliqua qu’il n’avait lui-même jamais pensé à l’euthanasie, et encore moins à la retraite ! "Tant que j’ai la patate, tant que j’ai la trique, je suis là ! Quant à tuer des gens, crois-moi, Président, fais confiance aux militaires"… Qu’avait donc voulu dire le ministre étranger aux affaires ? C’est Devedjian qui rompit le silence kouchnérien (« le silence après Bernard Kouchner, c’est encore du Kouchner ») : il faut qu’on charge l’Armée du sale boulot ! Après tout, les militaires ne peuvent pas nier qu’ils sont formés pour é-li-mi-ner ! Les médecins, j’veux bien qu’ils renâclent, dit-il dans un tourbillon de mèches de cheveux, mais les milits, moi je connais ! Hélas, le meilleur ami du Patron dût encore déchanter : au moment où on leur annonce que la France compte se retirer d’Afrique, pas question de demander aux militaires de se charger de l’euthanasie de leurs propres concitoyens !

Finalement, selon notre discret correspondant sur l’Olympe, c’est un peu de chaque projet qui sera retenu, un dosage subtil et innovant, selon l’expression consacrée. Il y aura bien formation, il y aura bien spécialisation, mais elle ne concernera pas des militaires : on va réintroduire le bourreau en France ! Oui, puisque les médecins sont hors du coup, que les militaires sont des tapettes et que les choses importantes ne sauraient être laissées à la portée des simples citoyens, il faut donc créer un corps de fonctionnaires spécialisés et formés aux meilleures écoles. Nous aurons une décision administrative, nous explique un conseiller de Bachelot exténué, suivie par une application concrète entièrement maîtrisée par l’Etat. Difficile de faire mieux en matière de garanties ! Le gouvernement n’étant pas favorable à l’augmentation du nombre des fonctionnaires, il n’est pas impossible que soit crée un organisme privé sous contrat avec l’Etat, ayant toute latitude pour recruter son personnel (des importations de mains d’œuvre étrangère en provenance de l’Europe centrale sont déjà à l’étude), et qui oeuvrera dans la transparence sous la tutelle du ministère.

Concernant la dénomination finale de ces nouveaux bienfaiteurs, le terme "bourreau" étant trop connoté (et risquant de donner des gages aux canailles adversaires de l’euthanasie), une mission va être confiée à Martine Aubry pour faire émerger de nouvelles appellations plus en phase avec l’évolution de la société.

Des expériences sont en cours...

Pour (se) finir, un petit extrait du Meilleur des Mondes (1932)

« - Mais cela me plaît, les désagréments.

- Pas à nous, dit l’Administrateur – nous préférons faire les choses en plein confort.

- Mais je n’en veux pas, du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché.

- En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d’être malheureux.

- Hé bien, soit, dit le Sauvage d’un ton de défi, je réclame le droit d’être malheureux.

- Sans parler du droit de vieillir, de devenir laid et impotent ; d’avoir la syphilis et le cancer ; du droit d’avoir trop peu à manger ; du droit d’avoir des poux ; du droit de vivre dans l’appréhension constante de ce qui pourra se produire demain ; du droit d’attraper la typhoïde ; du droit d’être torturé par des douleurs indicibles de toutes sortes.

Il y eu un long silence.

- Je les réclame tous, dit enfin le Sauvage. »