dimanche 29 mars 2009

Dans la peau d'un tatoué



Il devient rare de rencontrer une personne de moins de quarante ans qui ne soit ni tatouée, ni piercée. Dans le milieu que je fréquente le plus, celui des musiciens, un tel événement mérite presque qu’on en fasse un article dans le journal. Etre musicien SANS être tatoué/piercé, c’est risquer de se voir écarté au profit d’autres, plus décoratifs, dans une sélection, c’est en moyenne une perte de revenus de 21,458% (chiffres communiqués par Paracelse) !
Entre vingt et trente ans, il semble même que chaque Français se soumette désormais à ce rite d’intégration.
Si je n’ai évidemment rien contre la liberté de faire ce qu’on veut avec sa peau, même d’en bousiller la surface avec de l’encre, je m’étonne que la question de la critique du tatouage ne soit jamais soulevée. J’ai tenté le coup discretos avec des néo tatoués de ma connaissance : black out, on refuse de répondre à mes questions faussement simples (pourquoi tu t’es fait tatouer ? Pourquoi ce motif-là ? etc.), et on abandonne même assez vite son esprit de tolérance légendaire pour me signifier de me mêler de ce qui me regarde. Un tabou de plus : OK.
Dans nos pays, le tatoué est traditionnellement quelqu’un qui ne vit pas comme tout le monde, un exclu : taulard, légionnaire, Gitan, marin, artiste de cirque, etc. Une époque qui cultive sur une si grande échelle la rebellitude pour cadres moyens et post ados en mal de combats héroïques, ne peut pas passer à côté de cette façon de vivre son conformisme autrement : elle rend donc communs et socialement licites les tatouages & piercings, immédiatement vidés de leurs significations initiales, sauf aux yeux des benêts qui s’y adonnent! Il y a quelques années, la mode des Harley Davidson a déboulé en France. Des quelques exemplaires vendus par an, on est passé à plusieurs milliers : tout le monde, d’un seul coup, est devenu un biker. Petit bandana rouge, blouson à franges peinturluré, jean serré aux fesses, bottes à la con, casque idoine, gants stylés, tatouages, bourrelets de graisse autour du bide, écusson à tête d’Indien et gonzesse sur le porte-couillon, aucun accessoire ne manquait pour que, d’un seul regard dans son rétroviseur, le moins averti des bourgeois reconnaisse qu’un rebelle de la pire espèce était en train de lui foncer dessus ! René Girard n’a pas théorisé sur le mimétisme consumériste, mais c’est tout comme : une mode n’est pas toujours superficielle : certains consommateurs sont profondément cons.
Le tatouage, c’est encore différent. S’il est permis de se moquer (gentiment) des bikers rebelles affiliés à la sécurité sociale, en revanche se foutre d’un tatoué ou regretter qu’une adolescente se perce la gueule pour y insérer un anneau quelconque, c’est presque quitter la communauté des humains, c’est quasi interdit, c’est se ranger du côté de la force obscure.
Et pourtant ! Qui dira le conformisme de ces milliers de serpents, ces dragons, ces nobles chefs Indiens, ces famapoils, ces têtes de mort, ces sorciers, trolls, ces chopes de bière, ces putains d’aigles, ces lions terribles, ces chauve-souris, ces fleurs à épines, ces fées ailées, toute cette esthétique d’heroïc fantasy, ces enfantillages déclinés sous autant de formes vues mille fois ?! Sans parler des têtes de Mickey, de l’uniforme de Spiderman, des marques de bagnoles ou de motos, des logos Nike ou Ferrari, sans parler des têtes de Marylin, du Dalaï Lama, du Che !



Finalement, c’est un paradoxe qui me semble la plus belle source de comique. Paradoxe entre des gens qui veulent afficher leur individualité à la face du monde, renforcée par un tatouage qui se veut « unique », comme ponctuation visible de leur personnalité tout aussi remarquablement unique, mais qui utilisent sempiternellement les mêmes codes essoufflés, les mêmes icônes en solde. Tous différents, mais de la même façon ! Et puis, comme on le pratique sur les animaux, le tatouage est aussi une façon de marquer, d’apposer un signe d’identification sur un cheptel… Revendiquer la liberté à tout bout de champ et se comporter un peu comme un bétail, ça fait désordre.
Les rudiments de psychologie qu’on peut développer en fréquentant des êtres humains nous enseignent qu’en règle générale, les gens sont poussés à dire le contraire de ce qu’ils font (mécanisme de la double pensée, très bien analysé par J-C Michéa). Les irremplaçables brèves de comptoir répondent d’ailleurs à ce principe. C’est probablement aussi ce qui explique qu’un tueur en série ou un terroriste infiltré est, la plupart du temps, décrit par ses voisins comme un type normal, sans histoire, gentil avec la boulangère. Gentil en apparence, terrible dans les faits. La réciproque vaut également : les gens d’apparence rebelle, les montreurs de révolte à fleur de peau sont très exceptionnellement d’authentiques révoltés. Ils se bricolent une attitude de choqueur de bourgeois avec des bouts de révoltes estampillées historiquement, ennoblies par des luttes anciennes, et se les barbouillent sur la peau pour en tirer un bénéfice d’estime à leur propre yeux, et à ceux de leurs semblables. Comme des enfants se déguisent en cowboys terribles, avant de se précipiter sur des paquets de Pepito préparés par maman pour le quatre heures.
Sur la peau de son torse bombé, on fait écrire « Ni dieu, ni maître » à l’encre indélébile, pour mieux cacher son âme d’esclave et ses tendances grégaires. On est tellement peu sûr de ses valeurs formidables qu’on veut, en se les tatouant jusqu’au fond du cul, se les graver dans le corps, comme on condamne le héros de la Colonie disciplinaire à se faire graver la loi dans la peau, pour qu’il ne risque plus de l’oublier.
Alors, il reste ceux pour qui le tatouage n’est qu’un ornement, ceux pour qui ça fait joli. Là s’arrête toute critique, là commence tout arbitraire. Une splendide gazelle de vingt ans trouve joli de se faire tatouer un cep de vigne depuis le creux des reins jusqu’au cou : hommage à la filière viticole française ! ça ne se discute pas !

samedi 28 mars 2009

Up your asses !



En début de semaine, on apprenait que le préfet du Rhône se scandalisait par écrit que l’aéroport de Lyon (Aéroport Lyon- Saint Exupéry) soit renommé « Lyon Airports ». Je ne me suis jamais senti aussi partisan du corps préfectoral qu’à ce moment !
Au départ, en 1975, l’aéroport de Lyon s’appelle « aéroport de Satolas, du nom de la petite commune iséroise où il se trouve, à trois ou quatre kilomètres d’une autre qu’on aurait pu choisir comme éponyme, et qui s’appelle Montcul (authentique)... En 2000, pensant que Satolas n’était pas assez prestigieux, on lui change son nom, et on l’appelle « aéroport Lyon –Saint Exupéry », du nom d’un écrivain mineur que le hasard a faire naître place Bellecour. Presque dix ans plus tard, chaque lyonnais qui se respecte continue de dire qu’il va attendre sa mère à Satolas, et c’est très bien ainsi.
Une bande de gros nazes gras et épais, au premier rang desquels Guuy Mathiolon, président de la chambre de commerce et d’industrie de Lyon et président du conseil de surveillance ( ?) de Lyon Airports, ont résolu de faire vraiment beaucoup de fric grâce à cet aéroport. Avec d’autres ambitieux, ils veulent que Lyon deviennent une plaque tournante du commerce, une Babel des contrats en or, une Silicone Valley du dîner d’affaires, une Babylone de l’attaché-case. Ils veulent qu’à terme, New York et la City de Londres prennent exemple sur Lyon pour finir leurs fins de mois, et que les Princes d’Arabie viennent y quémander des crédits pour finir leurs palais. Le pognon, les affaires, ça, c’est de l’ambition, ça, c’est de la vision du monde ! Evidemment, ce genre de rêve ne saurait reculer devant aucun moyen, à commencer par les plus ringards. Ces incultes ont donc mandaté plus grotesque qu’eux pour pondre un concept-communication à la hauteur de leur bassesse : l’agence Brainstorming, dirigée par Jean-François Bourrec, ancien cancre de fond de classe reconverti dans les idées originales.
Devant les 200 000 euros de budget dévolus à l’opération de débaptisation de ce pauvre aéroport, ce mec s’est dit qu’il ne fallait pas y aller avec le dos de la cuillère. Pour un prix pareil, l’honnêteté et la conscience professionnelle commandent de se sortir les doigts du cul et de trouver une idée que les siècles futurs reconnaîtront comme une des dates de lancement du vingt-et-unième siècle, bordel. Illico, il a mis au travail son équipe de mousquetaires (consigne : « je veux du jamais vu » !) et, moins d’un quart d’heure plus tard (délai secret jamais révélé au public, mais que je livre en primeur sur ce blog), ils avaient pondu l’œuf : un nom anglais ! Il fallait y penser.
Au départ, la vérité est que le bon Bourrec s’est trouvé un peu effrayé par l’audace du concept : les commanditaires ne vont-ils pas reculer ? ne seront-ils pas trop déboussolés ? Ont-ils seulement entendu prononcer un mot en anglais avant ce jour ? Mais galvanisé par le souvenir de Baudelaire, de Van Gogh et de Galilée, qui surent eux aussi être en avance sur leur temps, le hardi tint bon et c’est le front haut qu’il proposa sa trouvaille à la CCI ivre d’enthousiasme et de petits-fours.
Le 24 février dernier, le nom de Lyon Airports est donc balancé au public dans un café lyonnais (le Gotha, ça ne s’invente pas) par les nullards réunis pour l’occasion, Mathiolon en tête, devant la presse locale endormie. On annonce également qu’un « consumer mag » va bientôt être lancé, trimestriel à destination des passagers qui n’en demandent pas tant. Il aura fallu un mois pour que le préfet, Jacques Guérault, écrive à la société Lyon Airports pour lui rappeler que l’Etat, actionnaire à 60% de la boîte, considère encore que la langue officielle de la république est le français, et qu’il faut changer ce putain de nom angliche et fissa (mot arabe signifiant « magnez-vous le train ») ! On note avec satisfaction qu’un Etat fort et centralisé est ce que l’homme a inventé de mieux pour cintrer les potentats locaux prompts à vendre leur langue maternelle contre un plat de pudding.

A part pour les quelques tocards responsables de cette pantalonnade, personne en France n’est assez dégénéré pour trouver normal qu’un aéroport (donc des panneaux indicateurs implantés sur les routes environnantes, etc.) porte un nom anglais. Quand les premiers yéyés sont apparus, au début des années 60, leurs noms à consonance américaine faisaient déjà pisser de rires nos parents, sans même parler de leur musique. A l’époque, qui aurait pu imaginer que cinquante ans après les Dick Rivers, les Johnny Halliday, les Richard Anthony, les Sheila & Ringo et les Stone & Charden, des individus doués de raison puissent utiliser la même ficelle, l’anglais, pour « faire rêver », ou donner une « dimension internationale » de la mort à un joli petit aéroport de province (et qui vous emmerde) ? Qui aurait pu prévoir qu’on tomberait aussi bas dans le mépris de soi ?
Pour l’instant, l’histoire se termine bien. Les ânes sont renvoyés près du radiateur, et les élèves normaux continuent de parler français en France. Qu’on laisse faire les chefs d’entreprise et les pubards de toutes sortes, et on verra bientôt des villes changer de noms pour rafler des marchés à l’export ! Lisez les arguments du Mathiolon, ils sont limpides et instructifs (le fichier PDF vaut son pesant de gifles, un résumé ICI). Ce faux-cul est capable de soutenir, dans une syntaxe à crever de rire, que les inventeurs de Lyon Airports sont des gens fiers : « Toute entreprise a une nationalité et en est fière. La nôtre est française. Elle est affichée à travers le nom de sa ville ». Ben oui, il faut reconnaître qu’ils n’ont pas changé le nom de la ville, et c’est bien dommage. Les Anglais disent Lyons, ça serait quand même moins franchouillard que Lyon. Une ville bi millénaire en a vu d’autre, elle pourrait faire cet effort-là !

mardi 17 mars 2009

Bashung parle.


Je signale aux amateurs que France Culture retransmet en ce moment une série de cinq entretiens réalisés avec Alain Bashung en 2002. C’est à 20 heures, de lundi 16 mars à vendredi 20. Ça peut se télécharger ou se ré écouter ici-même.
En revanche, ceux qui n’ont pas eu l’occasion, ou qui n’ont pas cru bon d’aller voir Bashung sur scène au moins une fois, on ne peut plus rien pour eux…

mercredi 4 mars 2009

L'Europe propre


Quand tu descends de ta tour d’ivoire, lecteur élitiste, et que tu arpentes les rues fréquentées par le peuple, tu cours un certain nombre de risques, dont celui, trivial, de mettre ton pied dans une crotte de chien. C’est la rançon du modernisme. De par le monde, certains vivent sous la menace de marcher sur une mine antipersonnel, et de se bousiller un pied ; nous autres, nous craignons pour nos godasses.
Les plus philosophes d’entre nous diront que ce n’est pas très grave. D’autres pesteront comme des poux parce que chaque jour de leur vie, ils rencontrent ces témoins mous de l’amitié canine, s’y ridiculisent, y glissent, et parfois s’y étalent dessus. On les comprend, mais chacun sa merde ! On ne va quand même pas en faire des victimes, eux aussi… On nous présente quotidiennement tant de grandes causes à défendre qu’on ne sait plus où donner du porte-voix. On n’en peut plus, on s’épuise. On se bat pour l’égalité, pour la justice, pour défendre la Palestine, pour sauver les Haïtiens, pour le droit des femmes à se comporter en hommes, on lutte contre la violence des jeunes, contre l’alcoolisme autoroutier, contre la perte de l’orthographe, on se défonce pour le Québec, on participe à l’effort anti tsunami, on est modernes contre la mafia et contre Ben Laden, on gueule pour améliorer les repas dans les cantines scolaires, on est contre le porno soft, on s’indigne du sort des vieux dans les maisons de retraite, l’avortement nous prend tous nos mercredis, la défense de la planète tous nos week end, on mange bio, on se méfie du sel, on reboise pour la paix, on donne pour l’éducation, on s’intéresse au bouddhisme, on se laisse pousser la barbe pour protester contre la pub à la télé, on déforeste les champs d’OGM, on déteste l’homophobie, on est citoyen 24 heures sur 24… faut-il, en plus de tout ça, partir en croisade contre la défèque attitude des clébards ?
Un con, Peter Stein, député chrétien-démocrate teuton, pense que oui. Pour lui, toutes les causes sont à empoigner, et fissa (de préférence avec des gants, pour le cas qui l’occupe). Ce visionnaire propose en effet de traquer le chieur urbain à quatre pattes grâce à l’ADN de ses étrons ! Son idée, fliqueuse à souhait, est d’une simplicité biblique : on fiche les trous de balle de tous les clebs d’Allemagne (puis bientôt, de l’Europe, puis du mooooonde, Deutschland über alles !) et on pratique un test de dépistage chaque fois qu’une crotte illicite est découverte sur un trottoir (uniquement dans les quartiers rupins, je suppose). Une analyse et, illico, le Fichier Central des Cacas te file les coordonnées du maître de la bête, qu’une patrouille spéciale est aussitôt chargée d’interpeller, de verbaliser, d’embastiller en cas de récidive. On a les combats qu’on peut.
Les sécurocrates rêvent du chien qui ne mord pas. Chaque fait divers mettant en scène un molosse et un enfant mordu les fait gagner du terrain. Pour que leur triomphe soit accompli, la science permettra peut-être bientôt de fabriquer un chien de synthèse sans dents, sans instinct, et qui ne chie plus.