samedi 2 mai 2009

La critique pour les nuls



En ces temps de Zemmour /Nauleau, il n’est plus possible de parler de la critique à table sans tomber sur un fâcheux pour qui les choses ne sont pas claires. Tantôt, on a droit à une réaction offusquée de ce que les « critiques » se croient tout permis, qu’ils osent dire qu’un film est une grosse merde alors que, paraît-il, nous devons juste nous autoriser un pudique « je n’aime pas », ou un « cela ne me semble pas très opportun ». Tantôt, nous tombons sur un authentique rebelle pour qui les artistes « se prennent pour des chais pas quoi », pour qui Mozart est un homme comme un autre, et qui soutient qu’on devrait arrêter de penser qu’un artiste mérite plus de considération qu’un fabricant de casseroles. J’ai récemment été pris à partie (courtoisement) par un copain qui déteste le couple Zemmour / Naulleau, et qui me reprochait de cautionner les privautés qu’ils prennent avec des gens qui « ne font que leur boulot ». Oui, ce sincère croit que Francis Lalanne ne fait que son boulot, et qu’à ce titre, on doit le respecter… Evidemment, j’ai le plus grand mépris pour la notion de respect, du moins l’acception maffieuse qui est ici en jeu.
Ainsi, on devrait respecter une connasse parce que son émission est regardée par cent millions de personnes, comme on respecte un parrain qui peut te foutre cinquante contrats au cul. Question de puissance, pouah ! Ou nous devrions être respectueux par esprit égalitariste forcené, ou relativisme absolu : Cali et Bartok sont tout aussi respectables l’un que l’autre puisqu’il font leur truc sincèrement, entend-on dire parfois, incrédules, abattus et inconsolables. Le relativisme est un poison qui a parfaite apparence de sirop : cet avatar du déconstructivisme pose que tout se vaut, Hervé Vilar ou Michel Ange, pourvu qu’il y ait des gens pour s’y intéresser. Or, les "gens" sont tous égaux entre eux, donc... Si l’on suivait logiquement cette pente fatale, on pourrait sans doute conclure qu’Hitler et Saint François d’Assise « se valent », et ne sont séparés que par des nuances d’appréciations toutes personnelles…
Mais passons aux choses sérieuses. Le monde est ainsi fait que des individus cultivés et exigeants sont amenés à débattre avec des rustres pensant que le grand Journal de Canal + est un sommet d’insolence. Evidemment, quand on ignore jusqu’à l’existence de Léon Bloy, par exemple, un animateur télé qui dit merde peut passer pour un fieffé rebelle. Quand on n’a jamais vu un film des Marx Brothers, on peut se régaler des Ch’tis… Pour toute personne normale, il est inconcevable d’affirmer que Madame Bovary est un roman à l’eau de rose, que la Joconde est un barbouillis enfantin ou que le Taj Mahal déshonorerait un périph’. Pour un gros con, pour un barbare, c’est très exactement l’inverse ! Or, les barbares ont aujourd’hui la parole, ils ne la monopolisent pas encore totalement mais, étant conçus pour l’outrance et le gueulement, ce sont eux qui sont le plus entendus. Ainsi, le désordre des choses se met progressivement en place.
Pourtant, les choses ne se valent pas. L’égalité n’est qu’une valeur morale, sans rapport avec le réel. Qu’un journaliste asticote un chanteur pour adolescentes est une bonne chose, le signe que ce type de chanteurs n’est pas encore tout-puissant en France. Mais qu’un autre compare le Château d’Argol à une marque de dentifrice serait une pure barbarie. Oui, d’un côté, on peut s’amuser d’un chantouilleur mineur qui gagne des millions en se prenant pour un as, de l’autre, on doit ménager un authentique artiste, dont on peut ne pas apprécier l’œuvre, mais qui impose naturellement le respect par l’ampleur, la nouveauté et la valeur de son travail. Les choses de l’art n’ont aucun rapport avec les positions idéologiques, et dans une époque qui tend (heureusement) à assurer une certaine égalité entre les hommes, il faut quand même se résoudre à considérer l’œuvre de Chaplin supérieure à celle d’Eric et Ramzy, à tous points de vue. On n'a jamais autant parlé de culture qu'en cette époque soumise entièrement aux ignorants. C'est parce qu'on confond culture et sous-culture, voire sous-sous culture, voire sous-sous-sous culture. Si l'on osait un brin de sincérité, un soupçon de lucidité, on avouerait que ce qui est proposé au plus grand nombre appartient à cette dernière catégorie, et c'est marre! Qu'on utilise le même mot "d'artiste" pour désigner Haendel, Palladio et Olivia Ruiz m'a toujours paru extrêmement significatif de cette grande lâcheté moderne...
Pour conclure, cette vidéo, magnifique exemple de ce que peut être un artiste : pas cool, cassant, injuste, blessé, hautain, désespéré et sublime. Aucun rapport avec Francis Lalanne.