mercredi 29 juillet 2009

L'élite des connards


Culture citoyenne, responsable et à développement indéfini.

Je reviens sur Dieudonné. En fait, son bus théâtre est resté un jour de plus à Avignon et, le dimanche soir après le spectacle, j’ai pu aller le voir et l’entendre, une première pour moi. Autant le dire tout de suite : si quelqu’un prétend que ce mec est nul, ou qu’il n’est pas un acteur, c’est qu’il ne l’a jamais vu sur scène. C’est un putain de pro. Ceci dit, et au risque de me répéter, Dieudonné ne m’intéresse pas en tant qu’individu, mais seulement pour ce qu’il révèle du reste de la société. Et l’avoir vu donner son spectacle dans son bus m’en a appris sur nous. Je m’explique.
Avignon au mois de juillet, c’est le plus grand festival de théâtre du monde, paraît-il. C’est plus de mille spectacles par jour, ce sont des rues noires de monde, des touristes et des « festivaliers », ce sont des parades de compagnies théâtrales partout dans les rues et sur les places, une incitation à entrer dans ces théâtres bien plus efficace qu’aucune publicité, fût-elle sur papier glacé, fût-elle à base de famzapoil. Les rues sont donc envahies de badauds de plusieurs sortes, du touriste, du festivalier, de l’étranger non francophone et du local, allant et venant, bayant aux corneilles de façons fort différentes. En dehors du Japonais et du Nordique, venus là exclusivement pour prendre des photos d’ambiance et qui ne sauraient prétendre aux spectacles puisqu’ils ne parlent pas la langue du coin, j’attire l’attention sur le badaud local, notamment celui qui se promène en survêtement blanc, en tee-shirt Armani (avec chaîne dorée), celui qui s’est esquinté l’année durant dans des salles de gonflette et qui vient montrer ici le résultat de son labeur (bras et/ou avant-bras tatoués, détail obligatoire et, souvent, mollet, c’est très moche). Ce badaud, principalement d’origine maghrébine, circule en petits groupes. Selon les cas, il est hilare, joueur, concentré sur sa démarche (virile) ou en mode « charme », c'est-à-dire qu’il vient pour pécho de la gisquette, et de la gisquette, il y en a ! Elles sont moulées dans des robes invraisemblables, souvent transparentes, souvent composées de voiles superposés qui soulignent leurs hanches d’une façon formidable. La gisquette locale est coiffée, maquillée, toujours, et apprêtée avec l’extravagance de certaines automobiles italiennes. La gomina ou une autre substance brillante rend sa chevelure étincelante et lui donne perpétuellement l’air humide d’une gisquette anadyomène. Cette coquetterie renforce en elle la tendance bêcheuse, probablement obligatoire si elle ne veut pas être suspectée de racolage. Comme à peu près tout ce qui est vivant ici, et comme certains bâtiments épargnés par les services municipaux de nettoyage des tags, la gisquette est tatouée, qui sur l’épaule, qui sur la cheville, qui sur le bras, qui sur le cou, etc. Une fleur, une arabesque, une guirlande d’épines, un animal mythique, comme c’est joli… Pour l’observateur un peu attentif, il est évident qu’en plus des parades des compagnies théâtrales, Avignon en juillet offre donc le spectacle des parades des beurs et beurettes du coin, parades absolument concentrées sur l’axe gare – rue de la république – place de l’Horloge – place du Palais des papes. Or, et c’est là où je voulais arriver, on ne voit jamais un seul de ces beurs dans un théâtre. Dans ce festival fondé historiquement sur l’ambition de rendre le théâtre « populaire », des milliers de gens restent dans la rue et passent devant les théâtres pourtant accueillants comme devant des Mac Do fermés. Ce sont des gens du coin. Ils ont les moyens financiers d’aller voir quelques pièces mais ils passent là, au milieu d’un événement ostensible qui fait venir des foules du diable vauvert, et ils font tapisserie. Pire : il est rarissime que les artistes qui paradent leur donnent même un tract. Et pourtant, je témoigne qu’ils n’ont pas l’air particulièrement agressif, non, ils passent, ils circulent, ils font semblant de participer au truc, mais ils ne comptent pour rien. Comme si les acteurs de ce festival, une fois qu’ils ont parlé de l’intégration autour d’une bière, une fois qu’ils ont critiqué Sarkozy et ses méchants ministres, une fois qu’ils ont écouté de la musique de là-bas, qu’ils ont évoqué le thé à la menthe et les falafels et qu’ils ont daubé sur les lois régulant l’immigration en France retrouvent les réflexes typiquement bourgeois qui consistent à ne pas se mélanger. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a des coupables et des victimes dans cette affaire, mais je ne peux m’empêcher de constater que la barrière culturelle et sociale est bien solide, qu’elle se confond d’ailleurs presque avec une barrière ethnique, que personne ne paraît en mesure d’y changer quoi que ce soit et surtout, que personne ne semble enclin à en parler. Tous ces artistes Citoyens, Engagés et Concernés (artistes CEC, modèle déposé français) grenouillent entre eux dans la plus parfaite indifférence. Ayant lancé le débat deux ou trois fois au milieu de mes collègues gauchisant, la chose la plus élevée qu’on m’ait dite est : « qu’est-ce que tu veux faire, les théâtres sont ouverts, ça ne les intéresse pas. » Et ils continuent de prétendre, poing levé, que la Culture, c’est essentiel.
Quel rapport avec Dieudonné ? Celui-ci : dans son bus théâtre ambulant, le soir que j’y étais, plus de la moitié des 45 places étaient prises par des zivas. Et on les a entendus, avant que le show ne commence, apostropher Dieudo absent en criant « remboursez ! » pour rire, en s’envoyant des vannes entre eux, en draguant les nanas présentes avec la finesse habituelle des mecs en groupe. Ça m’a rappelé l’ambiance des films italiens des grandes années, les séances de cinéma où les gens pouvaient encore fumer et où l’on critiquait le film à haute voix, comme si les acteurs pouvaient entendre… Il ne s’agissait pas d’Arabes très éduqués, étudiants ou docteurs en droit, mais bien de ces beaufs de nulle part qui composent une bonne partie de la classe popu jeune d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit heureux ou triste, Dieudo leur parle et ils l’écoutent. Et les théâtreux, musiciens ou artistes dont je fais partie, non.

samedi 25 juillet 2009

Dieudonné en spectacle


Pendant que tu glandes, lecteur estival, autour de piscines javellisées écrasées de soleil, je joue un spectacle au festival Off d’Avignon. Oui, tu le sais peut-être déjà, en plus de commettre des articles sur ce blog, je suis un musicien, ou, pour être plus imprécis encore, un artiste. Tout le mois de juillet sera donc exclusivement consacré à ce travail quotidien, explication de mon mutisme ici. Mais j’ai quelques minutes à moi en cet après midi, et je voudrais parler de Dieudonné. Pourquoi ? parce que le bonhomme a eu l’idée de débarouler au festival d’Avignon, justement, avec son propre bus aménagé pour pouvoir y jouer son dernier spectacle : Sandrine. Il s’est installé à côté de la gare, et on a pu voir quelques potes à lui distribuer des tracts dans les rues de la ville, regardés comme des extra-terrestres par les centaines d’autres « tracteurs ». Autant te le dire tout de suite : je n’ai pas pu voir son spectacle. J’aurais voulu le faire, mais nos horaires étaient incompatibles. La question de son spectacle n’est d’ailleurs pas celle qui m’importe.
L’occasion était trop belle pour ne pas être tenté : j’ai innocemment posé la question de Dieudonné à divers « collègues » théâtreux, musiciens, adeptes comme lui du one man show. Il faut le savoir, d’une manière générale, l’artiste modèle du festival est un ami de la liberté. Il clame tout haut son amour de la liberté d’expression, vomit la censure, les idées sectaires, il abomine l’exclusion et prétend qu’il ne faut pas juger les gens. Surtout, d’une manière quasi obsessionnelle, il revendique le droit de tout dire, merde. Pourtant, je n’ai pas trouvé un seul, je répète : un seul) de ces Che Guevara pour trouver paradoxal que Dieudonné soit contraint d’affréter un bus pour jouer dans une ville où, durant juillet, environ mille spectacles (1000) se jouent quotidiennement !
Dans les années 80, la machine médiatique est partie en croisade. Son ennemi : l’intolérance. Il fut clamé et répété qu’il fallait « accepter la différence », selon une expression hélas inoubliable. L’idée était que devant l’afflux de personnes immigrées de moins en moins « semblables » au français courant, il fallait travailler le peuple pour éviter qu’il se laisse aller à de mauvaises pensées. Idée louable. Evidemment, en ces temps reculés, seuls les moins humains de nos compatriotes se risquèrent à chanter les louanges du droit à la ressemblance de préférence au droit à la différence. On les oublia bien vite.
Le paradoxe apparut quand certaines parties de la population immigrées osèrent le « chiche » ! Ha vous chantez le droit à la différence ? OK, allons-y, je mets mon tchador, j’excise ma fillette, je réclame des espaces publics non mixtes et je dégaine ma burqua ! C’est de la différence, ça, pas vrai ? ça doit vous plaire ? Dans un mouvement de valse dont l’habitude remonte très loin, les apôtres de la différence s’insurgèrent immédiatement : la différence, c’est valable si tu penses et vis comme moi, hé banane ! Jospin balança même sa loi contre le voile scolaire, soutenu par l’armée des anciens toléreurs et respecteurs de différence. Finalement, respecter uniquement ce qui ne change rien à ses habitudes, ses principes ou ses idées, c’est un peu pratiquer comme les intolérants, non ? Problème et limite de l’universalisme : comment jouer le rôle du gentil avec les méchants, sans perdre ? Impossible. On doit nous aussi se montrer méchant, et l’assumer.
Dieudonné, c’est un peu le même principe, avec les mêmes acteurs en présence. En parole, on déteste la dictature du pouvoir, de l’argent, de la pensée moralisante, on moque les tenants de la pensée correcte et on lutte contre le retour de l’ordre moral, mais sauf quand c’est un enculé comme Dieudonné qui s’exprime. Contre lui, les principes ne valent plus. On a le droit de l’ostraciser, de le diffamer, de le blacklister, de lui refuser ce qui est permis à tous les autres, de chercher à le ruiner. A-t-il commis un crime ? Dans l’affirmative, que fait-il en liberté ? Dans le cas contraire, pourquoi le traiter en pestiféré ? C’est le phénomène fascinant de la « double pensée », abordé par Jean-Claude Michéa de façon magistrale. Les gens semblent portés à faire le contraire de ce qu’ils disent, surtout quand leur discours est du modèle héroïque. A force d’augmenter la mise sur le sujet de la morale, des principes, du droit, de la liberté, de la tolérance, de la consciencitude et autres citoyenneté, il devient impossible à la quasi totalité du genre humain de se montrer à la hauteur de ce qui est partout vanté. Alors on continue de blablater à coups de grands mots mais, dès qu’un rouage grince, on pratique comme le Taliban de base : on décapite. Or, être tolérant n’a de valeur que si on l’est avec ce qui est réellement différent. Etre courageux n’a de sens que face au danger. Avoir l’amour de la liberté aux lèvres ne devrait pas donner le droit de condamner l’expression, fût-elle celle d’un ennemi, fût-elle fausse ou dégueulasse. Pour condamner les opinions dégueulasses, il faut avoir pris le risque de prévenir qu’on ne les accepte pas, qu’on n’est ni tolérant ni sympa, ni des saints, et qu’on vous emmerde.
La solution est simple : qu’on cesse de donner des leçons au cosmos et qu’on reconnaisse que nous ne sommes pas mieux que les empaillés d’en-face. Ni mieux ni moins biens, mais légitimes ici et maintenant. Ça réduira le confort des consciences, mais ça simplifiera la donne. Evidemment, ça suppose de renoncer au monopole occidental du droit moral sur le reste du monde, à l’universalité du Bien made in France. Difficile, je le reconnais.
La différence entre eux, les toléreurs, et nous, les gros cons, c’est que nous ne prétendons pas avoir raison ailleurs qu’ici, nous ne prétendons pas que l’excision soit une monstruosité ailleurs qu’en France, que les scarifications rituelles parfois mortelles soient intolérables en Amazonie, que la polygamie doive être éradiquée de la surface du globe, ni que l’Afghane de base doive porter le string apparent par-dessus la burqua. En gros, nous tolérons parfaitement que chacun fasse chez lui comme il l’entend et qu’il oppose à nos prétentions morales un gros merde dans sa langue fleurie. Ce qui nous permet au passage de faire de même quand il le faut, dans un rapport de réciprocité parfaitement inattaquable. Dans la Trilogie de Pagnol, César se lamente que certains peuples lointains croient à un dieu à plusieurs bras : que tous ces gens se fassent couillonner, ça lui fait de la peine. Le seul vrai dieu, évidemment, c’est le sien. Sagesse bonhomme, mais profonde. Surtout quand on sait bien, comme Pagnol, qu’il n’y a pas de dieu.
Au final, on pourrait croire que je suis en train de défendre Dieudonné, alors que ce n’est pas vraiment mon sujet. Ce que dit Dieudonné, je m’en tape. L’antisionisme et le complotisme ufophile, c’est de la connerie. Mon sujet, c’est la tartuferie de l’époque, omniprésente et tentaculaire, qui transforme les beaux mots de tolérance, de liberté, de résistance ou de courage en slogan publicitaire, portés aux nues par des pantins qui n’attendent que la victime expiatoire de circonstance pour former leurs pelotons. Et on en arriverait presque à défendre leurs ennemis, contre ses propres opinions, par dégoût de ce qu’ils sont.
Je suis d’accord avec vous sur tout, mais je suis prêt à me battre pour que vous fermiez vos gueules.