lundi 14 septembre 2009

Dors avec les bâtards.



Depuis quelque temps, une mode fait des ravages, celle consistant à trouver que Tarantino « n’apporte rien » au cinéma, ou qu’il est un recycleur médiocre, ou qu’il pond de « mauvais films ». Après avoir été admiratif et trouvé son travail épatant, il est devenu courant de le considérer comme nul, ce qui place évidemment le critique dans une position de supériorité bien agréable. Il faut dire aussi que le personnage de Tarantino, nerveux, arrogant, sûr de lui, viril, grossier, est appelé à déplaire, pour toutes les raisons qui font de Vincent Delerm le chouchou de l’époque. De là à devenir injuste avec Tarantino, il n’y a qu’un pas, celui de la danse habituelle des myopes.
Malgré ce lapidaire avant-propos, et quoi qu’on pense de son réalisateur, il va être très difficile de dire du bien d’Inglorious basterds. En effet, c’est une merde.
La période de la seconde guerre mondiale semble n’avoir existé que pour donner un sujet inépuisable au cinéma, au roman ou à la Fiction avec un grand F. Dans le rôle des méchants, de vrais méchants, bien laids, bien repérables, et dans le rôle des gentils, des concentrés de gentillesse que c’en est une merveille. Les victimes et les bourreaux sont deux catégories distinctes, les héros héroïsent, les lâches lâchent, les traîtres trahissent et les résistants pullulent. Parfait. Nous avons tous les ingrédients pour produire du divertissement pendant un siècle au moins. La guerre au cinéma, ça sert la plupart du temps à ça, soyons honnête : se divertir. On se souvient tous avec amusement de la polémique qui salua la sortie du lamentable « La vie est belle », de Roberto Benigni, et des bonnes âmes qui hurlaient qu’on ne pouvait pas faire rire avec certaines choses… Ces tartuffes auraient bien vu une loi interdisant de faire rire avec le malheur, la souffrance et la mort : ça viendra. Mais le projet de Tarantino semble bien loin du divertissement : il n’avait visiblement pas l’ambition de nous faire rigoler mais bien de nous ENDORMIR avec la seconde guerre mondiale. A conflit mondial, sieste gigantesque ! On peut penser ce qu’on voudra du projet, mais pas qu’il a échoué.
Les spectateurs conviés à cette nouveauté pourront témoigner que les deux heures et demie que dure le film sont intégralement orientées vers le repos du citoyen. Lecteur incrédule, imagine l’instant : tu t’installes dans les sièges un chouia défoncés du dernier cinéma de la ville qui diffuse encore de la VO sous-titrée. Tu te dis que tu vas voir ce que tu vas voir, que Tarantino n’a pas fait les choses à moitié ; tu revois l’affiche du film, celle qui fut placardée partout depuis des mois, une campagne de pub inouïe. Tu te frottes les mains. Le film commence (la musique est affreuse, mais tu as l’habitude avec Tarante !), un paysage campagnard… ça se passe en France en 1941… tout y est… mais ? mais ?! On voit un personnage, un paysan, utiliser sa hache sur un billot, il frappe mais… il n’y a pas de bûche. Un budget de plusieurs dizaines de millions, des effets spéciaux dantesques et pas foutus de comprendre que personne, même un français, ne tape avec une hache sur un billot en oubliant d’y mettre une bûche à fendre ! Ça commence mal, mais tu te dis que tu as mal vu… puis le méchant arrive, et ça cause, et ça parle, et ça traîne… Tarante fait des allusions au cinéma de Sergio Leone, mais ça ne fonctionne pas du tout… l’angoisse ne vient pas, les effets tournent à vide, le dialogue s’embourbe… les mitraillettes défouraillent dans l’indifférence générale. Il ne suffit pas de filmer des faces en gros plan avec un grand angle, ni de s’attarder dessus pour réussir un film de guerre spaghetti… Le film continue alors, interminablement, les personnages apparaissent, aussi creux les uns que les autres. Nous ne saurons rien du personnage phare, joué par Brad Pitt, nous saurons juste qu’il a un accent bouseux à couper au couteau, ce qui doit être très drôle (un peu comme un héros, chez nous, qui aurait l’accent du sud-ouest ! Fendard !). La forte silhouette de Pitt ornait toutes les affiches mais paradoxalement, son personnage est « fictionnellement » absent du film. Pur racolage donc, bien dans la veine hollywoodienne.


Que Inglorious basterds soit une galéjade, personne n’en doutait. Le sujet l’annonçait suffisamment clairement, et Tarantino a fait de la galéjade l’ambition unique de son début de carrière, quoi qu’il puisse dire par ailleurs Mais s’il est convenu de qualifier de déjanté l’art du bonhomme, on ne savait pas qu’un film pouvait être à la fois déjanté (par son sujet) et techniquement soporifique (par son absence de rythme et la vanité absolue de la majorité de ses scènes). Cependant, il faudrait être injuste pour ne pas souligner le comique épatant introduit par les citations de Tarantino, notamment celles de Clouzot. Par deux fois, nous voyons apparaître des affiches de films de Clouzot à l’arrière plan, l’Assassin habite au 21 et le Corbeau. Comique, en effet, de voir que le cinéaste de la psychologie la plus subtile, la moins manichéenne, le cinéaste qui se confronte à la complexité du mal soit cité dans un film aussi bourrin, creux et enfantin que cette coûteuse merdicule.