samedi 17 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 8/8


La police vient de recevoir l’ordre d’enfoncer les portes !
- Michel ! Michel! tu m’entends ? Les bourriques arrivent, tiens-toi prêt... Je veux toutes les images de tout !

Après un tumulte dont les quelques vingt-cinq Michels postés aux fenêtres d’en face ne perdirent presque rien, la police engouffra par grappes les spectateurs hébétés dans des paniers à salade de circonstance. Le Ministre de l’Intérieur déclara que l’opération avait été menée par des professionnels et que l’ordre régnait de nouveau dans la République. Deux heures plus tard, il démissionna.
Tout le monde fut mis au bloc. On interrogea les plus loquaces : tous les témoignages concordaient. Les acteurs de la troupe Tralpak et Zangô Tralpak lui-même étaient morts, soit par suicide, soit par assassinat. Soir après soir, la pièce la plus tragique que l’art dramatique ait jamais produite s’était déroulée, captivant les spectateurs et s’imposant à eux jusqu’à ce qu’ils se retranchent derrière des barricades de fortune pour qu’elle pût continuer. La Loi en faisait des complices objectifs. Le problème des responsabilités se posa alors avec urgence puisqu’on ne parvenait pas à extraire une personnalité plus marquante qu’une autre, un caractère un peu charismatique dans le groupe des prisonniers. Allait-on devoir condamner des centaines de gens ? Les services techniques du Ministère de la Justice s’employaient à constituer sur dossier le profil d’un bouc émissaire satisfaisant. A la police de faire son travail ensuite.
Peu à peu, il apparut qu’un espoir demeurait, susceptible d’éviter la démission de tout le gouvernement. Le dernier acteur survivant avait disparu.
- Comment ça, disparu ? Comprends pas ça, moi, disparu ! interrogea l’inspecteur Pifoyan.
- Je vous dis ce que nous avons tous vu. Le dernier soir, l’acteur qui jouait Simon restait seul en scène. Il monologua brillamment pendant une vingtaine de minutes, dans un silence de sépulcre. Il se rendait compte trop tard de l’horreur de son geste. Il avait agit d’instinct, sans penser à ce qu’il faisait. Pour survivre, il avait tué la femme qui portait son enfant. Il en était même arrivé à la certitude qu’elle aurait mis au monde des jumeaux, et qu’ils étaient eux les Elus dont on parlait. Dieu n’aurait pas permis qu’une vieille salope entre au paradis, mais sans doute ses deux enfants, pour tout recommencer. La gloire immortelle d’être l’origine de la nouvelle humanité lui échappait donc.
- Qu’èèèèèèst-ce que c’est que ce charabia ?
- Laissez-moi finir, inspecteur. C’est ici que tout se complique.
L’inspecteur Pifoyan, qui avait tout de même eu son bac d’action commerciale du premier coup, se sentit soudain dépassé : comment pouvait-on compliquer encore une telle fable ?
- Chaque spectateur s’attendait à ce que Simon se suicide. Pris d’un incompréhensible sentiment de pitié, certains projetèrent même de l’en empêcher. Celui qui avait survécu aux épreuves que nous tous avions vécues ensemble ne devait pas mourir. Mais une grande lumière se fit dans l’arrière scène. Une lumière d’un blanc intense, comme mille néons. Pensant qu’il s’agissait d’un incendie que ce pauvre fou avait déclenché, une panique faible gagna la salle. Il faut vous dire, monsieur l’inspecteur, que nous n’avions plus la force de nous affoler... Puis quand les plus vifs d’entre nous se décidèrent, nous sommes tous allé voir ce qui se passait. Et bien, croyez-moi si vous voulez, il n’y avait rien, rien du tout.
- Pas de trace d’incendie ?
- Rien du tout. Le sol était propre, le plateau vide d’être vivant. Aucune trace de Simon.
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- Dites-moi, mon cher, nous allons avoir beaucoup de mal à condamner quelqu’un dans l’affaire Tralpak. En trois mois, vous n’avez pas été fichu de me trouver le moindre complice. La République est ridiculisée. Vos services, zéro.

Fin

vendredi 16 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 7/8


Retour à Paris.

- Michel Bronin-Michel est devant le théâtre depuis le début de cette dramatique affaire et il nous donne les dernières informations la concernant. A vous Michel...
- Oui, pas beaucoup de choses à dire en fait, si ce n’est qu’il semble que l’auteur de cette pièce folle, Zangô Tralpak, soit mort hier soir en se suicidant en scène. On se rappelle la haine qu’il vouait aux admirateurs de Molière; peut-être a-t-il voulu dépasser le fondateur du théâtre français pour leur signifier qu’on pouvait finir mieux si on s’en donne les moyens. En fait, les informations les plus contradictoires circulent ici au sujet du dénouement de l’Ultime spectacle de Tralpak : cessera-t-il avec la mort de son auteur ou continuera-t-il après lui ? J’avoue que personne ici n’y comprend rien.

A la reprise de la pièce, les deux femmes survivantes se lancèrent l’une contre l’autre furieusement, en un combat de primates pour le droit à la reproduction. L’une d’elle, curieusement la plus jeune, finit sa vie sous le poids d’une énorme armoire métallique que l’autre lui fit choir sur la tête. Elle mit à mourir le temps de la représentation.
Dans le public, les transformations les plus inattendues se produisaient. L’atmosphère de huis clos, le sentiment de solidarité que donnent l’enfermement et l’épreuve subie en commun, le sentiment d’assister en direct à la véritable fin de l’humanité, tout cela renversait les convenances habituelles et rapprochait les gens de leur personnalité profonde. Certains couples se formaient, d’autres copulaient en attendant la reprise de la pièce, comprenant que les réserves et les pudeurs n’avaient plus cours; des personnes d’ordinaire volontiers athées, confondant enfin théâtre et réalité, se lançaient dans des transes mystiques dignes de Saint Bernard, exhortant l’humanité à se repentir avant la fin de ce que personne n’appelait plus un spectacle. On vit une mémère sacrifier, oui sacrifier son chien peigné amoureusement chaque jour depuis douze ans, en le sciant en deux au moyen d’un parapluie aiguisé. Barbouillée du sang de son toutou, elle mourut d’une attaque cérébrale peu après dans l’indifférence générale.
Un communiqué du Ministère de l’intérieur fit beaucoup rire cette foule envoûtée :


Communiqué du Ministère de l’Intérieur
République française
Liberté. Égalité. Fraternité.
30 janvier 2000

La pièce de théâtre intitulée l’Ultime spectacle de Zangô Tralpak est déclarée hors-la-loi. Ses représentations présentes ou à venir sont interdites sur tout le territoire de la République. Toute publicité, prosélytisme ou citation à son sujet sont également interdits sous peine des amendes prévues aux articles 7 et 8 du Code Pénal. Toute personne refusant de dénoncer ces représentations ou n’intervenant pas pour les empêcher sera poursuivie par le Ministère Public. Les actrices et acteurs jouant dans cette pièce ou dans ses représentations futures encourent six mois de prison.

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La vieille
Tu vois, il ne reste plus que nous.

Simon
Crois-tu que ça m’enchante ? La seule femme que je puisse contempler à des rides plein la figure et les seins affalés !

La vieille (devenant dure)
Ecoute-moi, imbécile ! Tu te crois peut-être à la plage, dans une boîte de nuit ? Tu crois que tu peux tranquillement faire ton choix parmi les jouvencelles qui n’attendent que d’être choisies ? C’est fini tout ça, il ne reste plus que toi et moi, et l’un de nous doit survivre.

Simon
Je t’étrangle et on n’en parle plus...

La vieille (brandissant le révolver perdu de l’Etranger)
Tu n’étrangles personne, insecte ! Tu vas faire gentiment ton devoir, c’est-à-dire me baiser. Je serai la mère du monde à venir. Tu seras le père, mais tu ne seras plus là pour voir ça. Ha ! ha ! ha !

Simon veut s’enfuir mais se cogne aux décors du plateau, et la vieille lui barre enfin la route. Il est apeuré et comme rendu fou par la menaçante voix de la vieille. Ses yeux sont exorbités comme ceux des biches à l’hallali.

La vieille
Allez, tu auras au moins la satisfaction de finir ta vie dans une explosion de plaisir. Envoies-toi en l’air ! Ah ! C’est drôle ça : envoies-toi en l’air !

Simon et la vieille se lancent alors dans une scène d’amour incroyable, l’amour qui enfantera la mort. Pressant le canon du flingue sur l’oeil de Simon, la vieille l’exhorte à plus de vigueur, écartant impudiquement ses jambes rouillées. Le public, qui a déjà vu bien des choses pourtant, ne peut retenir des mouvements de frisson. Pendant tout le coït, la vieille ne se départit pas d’un rire ignoble où s’exprime, dominant tout, le sentiment vil du triomphe. Simon besogne dans les larmes. Mais au moment où il éjacule, moment qui doit signifier pour lui l’arrêt de toute chose, la vieille est prise de convulsions inattendues : elle jouit. Son vieux corps abandonné se remet à fonctionner. Relâchant sa surveillance et baissant son arme, elle permet à Simon de s’extraire de son étreinte et de lui arracher l’arme. La voilà toute con.

La vieille
Tu vas me tuer, c’est ça ? Tu vas tuer l’espoir que je porte en moi, ton propre fruit ?

Simon
Arrête tes conneries vieille peau, tu ne portes rien du tout. Tu n’es qu’un sac percé dans lequel je vais faire de nouveaux trous. Crève donc !

Simon appuie sur la détente, plusieurs fois, inondant la salle d’une fureur bestiale. Maintenant qu’il a tué la vieille qui le menaçait, il semble libéré, serein. Son visage crispé par l’angoisse se détend et fait apparaître non de la beauté, mais une apparence de plénitude, l’image humaine de la satisfaction. On dirait qu’il ne joue plus. Il marche, un peu désorienté, sur le plateau silencieux. A sa mine, on comprend qu’il découvre son univers, comme au sortir d’un très long rêve. Il est le dernier survivant de l’Ultime spectacle de Zangô Tralpak. Demain, il entrera en Paradis. Lentement, il ôte ses vêtements, un à un.

A suivre

jeudi 15 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 6/8


Nous sommes au bout du monde, dans un village moribond. En cachette de leurs parents, Ürg et Alyse se rejoignent chaque soir à la fontaine. Ils sont cousins germains et ils s’aiment. Ils ne se l’avouèrent pas tout de suite, craignant de souiller la pureté de leur amour d’un mot trop usité par ceux qu’ils détestent. Comme ils se sont toujours connus, ils n’imaginent pas pouvoir être séparés. Ils ne forment aucun projet puisque leur amour est évident comme le ciel, la terre et le vent. Ils sont les familiers de l’éternité, le savent et n’en tirent aucune gloire. A qui vanteraient-ils leurs mérites dans ces régions de labeur ?

Dans le courant de la source
Se mire le soleil.
Il sème sur les plis de l’eau
Des éclairs si vifs.
Voulant m’en saisir
J’ai été la risée de mon âne.
Comme je voudrais le contempler toujours
Ce feu de vie qui te ressemble.

Alyse rit. Elle rit chaque fois qu’Ürg improvise un de ses poèmes qu’elle ne comprend pas toujours. Il n’est semblable à personne, lui qui ne sait pas parler sans chanter. Parfois, elle voudrait qu’il lui dise des choses simples et bêtes, comme le font tous les garçons de leur âge, qu’il s’exprime avec la facile rudesse des parents. Elle craint qu’il ne puisse jamais être comme tout le monde, aller aux champs, faire paître les chevaux et vendre des fromages. Comment les gens pourront-ils le comprendre s’il n’apprend pas leur langue ? La vie n’est pas un poème quand il faut la gagner.
« Ils se moqueront de nous. »
Mais ce soir, comme tous les soirs, elle ne pense à rien. Elle regarde son amour simplement, avec la douceur des chattes. Elle ne saurait dire ce qui lui plaît en lui tellement il fait partie d’elle. Son œil est intelligent, ses mains petites et fortes, il marche d’une façon très curieuse, en posant le pied si souplement qu’il semble vouloir se cacher. Surtout, il est silencieux. Il ne parle presque pas, il n’a pas ces continuels bavardages des hommes quand ils veulent être vus des filles. C’est ce qui lui plairait le plus si elle pouvait réfléchir à lui.
Comme il comprend qu’elle se demande si son père autorisera leur union, il improvise un chant.

La faim guidait mes pas
Me menant par les chemins
A travers le pays.
Nulle part je ne pouvais
Poser ma tête en paix.
Je faisais avec le loup
Une course de bête
En soufflant comme une âme
Qu’on poursuit.
Les arbres m’ont appris
A me moquer du vent
Et à chanter comme eux
Quand il est déchaîné.

Elle a fermé les yeux, sentant la mélopée la prendre doucement. Bouche fermée, elle prolonge la musique avec la grâce des filles qui chantent. Elle est toute entière dans cet air frêle, fredonné par un ange au bout du monde. Elle se rend compte soudain qu’un petit souffle de vent lui caresse les cheveux, un petit vent froid mais délicieux qu’elle n’avait pas remarqué. Ce picotement lui rappelle qu’elle existe et réveille en elle la conscience endormie de son corps. Elle se lève alors et va se placer entre les bras d’Ürg, appuyant sa tête brune sur son cœur. C’est la première fois qu’ils s’enlacent et chacun d’eux y pense en secret.
- On restera toujours ensemble, n’est-ce pas? demande-t-elle doucement.
- Toujours, répond-il sans poème, comme le ferait n’importe qui, nous resterons toujours tous les deux.

A suivre

mardi 13 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 5/8


- Le problème, mon cher, c’est que tout a été prévu. Chacun des acteurs a rédigé devant huissier une sorte de lettre-testament qui explique le pourquoi d’une telle folie, qui en précise les responsabilités et exonère a priori Tralpak de la moindre parcelle de celles-ci. Nous sommes devant un phénomène tout à fait nouveau.
- On ne va quand même pas tolérer qu’on nous assassine nos acteurs sous prétexte de « tuer le théâtre », comme ils disent ? Les excentricités de ces soi-disant artistes dépassent les bornes. La police, bon Dieu !
Le premier est Hugues Laroche-Pussy, Garde des Sceaux; le second Jean-Marcel Foin, Ministre de l’Intérieur. Ils sont dans la limousine qui les emmène au rendez-vous qu’ils ont avec le Premier Ministre : cellule de crise.
- Et puis on ne va pas chasser du théâtre les spectateurs qui y sont barricadés ?

La presse du monde entier se bouscule aux marches du théâtre. Tous les présentateurs-vedettes s’y montrent, feignant une mine horrifiée, angoissée, blasée, voire professionnelle. Il y a tellement de monde que la police n’a pas pu prendre totalement possession des lieux. Les ordres, d’ailleurs, sont flous.
- Michel, prends dix mille balles et va acheter une place à la fenêtre d’un des immeubles en face. Si les flics donnent l’assaut, s’il y a des explosions ou s’ils se balancent dans le vide, je veux avoir les images!
Quand la nouvelle de ce qui se passait vraiment dans cette pièce fut connue, un mouvement de panique s’empara du pays. Des foules comme en procession montèrent à la capitale, remplaçant ceux que la vue de l’immontrable avait fait fuir. Le marché noir avait presque honte du prix des places. Comme la rumeur d’une intervention policière se faisait insistante, un véritable état de siège fut instauré au théâtre, les plus fanatiques défenseurs de la liberté d’expression murant au parpaing les principaux accès. Toujours dans les bons coups, Daniel Mémette, journaliste iconoclaste à la radio officielle, réussit à se faire enfermer avec la foule et permit à sa station de diffuser une interview exclusive (le mot est faible) de Zangô Tralpak, qu’il appelait familièrement Zangô.
- En exclusivité pour Ici y’a personne, l’émission qui ne cache rien, Zangô Tralpak nous explique sa démarche. Alors, Zangô, une troupe théâtrale ou une secte ?
- Il est temps d’en finir avec les anathèmes. Ceux qui ne font rien n’ont plus le droit de parler, qu’ils crèvent! Les profiteurs, les m’as-tu vus de la culture et du show business, les conservateurs de patrimoine en décomposition sont conviés à leurs propres funérailles. Les gens vont enfin comprendre ce qu’est l’art véritable: un jeu perdu avec la mort, une course-poursuite du néant. Tout, sauf ces paluchages de quéquettes qui ne font de mal à personne. Faire du théâtre en faisant semblant de jouer la vie est comme si l’on faisait semblant de manger pendant la famine. Personne ne peut avoir raison contre moi parce que moi, je mets ma peau sur la table. Qui s’aligne ? Je veux que le théâtre crève, et il va crever, croyez-moi.

Le temps que les ministres se réunissent et qu’ils décident des actions à entreprendre, la pièce avait recommencé. Par instinct morbide et par goût de la frayeur, l’essentiel des spectateurs n’étaient plus là que pour voir mourir le prochain acteur. Comment se finira la pièce, le sens qu’elle donnera à la vie de chacun d’eux une fois terminée, ils s’en fichaient bien. La mort, voire la Mort sur scène ! Ce que Tralpak ignorait, c’est que sa pièce, toute ultime qu’elle soit, ne dissuaderait pas les gens d’aller voir d’autres spectacles après. En fait de tuer le théâtre, il ne tuerait que le sien.
Tralpak tenait le rôle de l’aveugle dans la pièce, bien qu’il n’eût en réalité qu’un oeil de crevé. Certains spécialistes annonçaient qu’il serait le seul à sortir vivant de la folie qu’il avait déclenchée, se réservant le rôle de celui qui sera sauvé par Dieu. « Un bon moyen de finir ses jours en taule ». Certains spécialistes se trompaient. Dans la pièce, le personnage qu’il incarnait, aveugle, fut supposé doué de pouvoirs de divination, par ce paradoxe très répandu qui prête une grande profondeur aux gens réservés, un amour infini aux timides et un solide sens de l’organisation à ceux qui ont le menton en galoche. Les survivants le consultèrent donc pour qu’il leur prédise l’avenir, ce qu’il fit, croyant lui-même vraies les facultés qu’on lui reconnaissait. La scène se déroulait dans une quasi pénombre, sous les assauts d’une musique dodécaphonique ponctuée de scratch made in U.S.A. Il déclama des phrases absconses pendant que les trois autres acteurs pleuraient. Il était plongé dans une baignoire que le sang de ses veines rougissait très lentement, aussi lentement que s’effaça le son de sa voix. Sous l’oeil atterré du public, Zangô Tralpak fit mentir les prévisions et dérogea à la règle qui veut que le créateur d’une oeuvre en tire toute la gloire. Il se suicida dans une eau délicieusement tiède, le regard fixé en direction des spectateurs, les surprenant encore plus qu’il ne l’avait jamais fait. Sa pièce devait continuer jusqu’au bout sans lui, sans le guide qu’il avait été, continuant sous l’impulsion qu’il lui avait donnée comme des ronds dans l’eau s’écartent de leur point d’origine, pour finir par se fondre dans l’informe. Des sept acteurs de cette aventure, deux femmes et un homme restaient. Trois.

dimanche 11 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 4/8


STUPEFACTION !! C’est du jamais vu... Un traumatisme dont on ne se relèvera pas. Il avait prévenu... la révolution... c’est pire! C’est une monstruosité, une monstruosité!
Le deuxième volet vient de se terminer avec le deuxième soir. Tout le monde maintenant a compris. Tralpak est devenu fou, et fous aussi ses acteurs, ses admirateurs, ses exégètes, ses sujets! Le thème de sa pièce est désormais connu, il a fallu deux soirées pour ça, et tant d’autres choses : les personnages sont bien les derniers survivants de notre race, comme on le subodorait. Les hommes ont poussé à leurs extrémités la bêtise et l’attrait de la mort, au point qu’ils ne restent que sept. Mais Dieu leur dit que l’un d’entre eux serait sauvé et qu’il atteindrait à la vie éternelle. C’est le mythe de la chute du paradis terrestre à l’envers. Dieu ne chasse pas sa créature du Jardin par sévérité, il y recueille le dernier descendant après que tous ses parents sont morts, avec la compassion infinie dont il est seul capable. Ou peut-être Dieu élit-il l’un d’entre nous pour se convaincre que son expérience n’était pas vouée à l’échec, qu’il ne s’est pas trompé ! A travers cet humain sauvé, veut-il garder un souvenir de sa plus grande foirade ?
Les hommes ainsi fixés sur leur sort deviendront-ils enfin sages ? Les derniers spécimens d’une espèce élue vont-ils enfin se conduire dignement, effacer la noirceur et la bassesse de leurs sentiments ? Non : affligés, on comprend qu’arrivés au seuil de la révélation finale, ils ne s’y résolvent pas. Ils continuent ce qu’ils ont trop appris à faire : se battre. Hier, l’étranger a abattu le chef du clan, pensant qu’un chef avait plus de chance d’être l’Elu que les simples hommes. Ce meurtre, plutôt la représentation qui en était donnée, avait déjà marqué les esprits et douloureusement impressionné son monde. Mais qui aurait pu soupçonner qu’il s’agissait vraiment d’un meurtre ? Car aujourd’hui tout le monde sait l’incroyable vérité : l’acteur qui « jouait » le chef du clan est vraiment mort ! Il a été tué en public, d’un coup de feu que chacun a entendu, en scène. L’hémoglobine n’était pas factice.
Le deuxième volet de la pièce a confirmé le ton paroxysmique des scènes, le lyrisme morbide et la volonté de toucher juste de l’auteur. Le public a compris l’incompréhensible à l’extrême fin de la représentation, quand l’étranger, devenu chef, réalise sa méprise : puisqu’il a pu tuer le chef du clan, c’est que la fonction de chef ne préserve pas de la mort. Etre le premier ne lui donnera pas l’éternité, en tous cas pas forcément. Pendant les premières scènes il reste convaincu d’avoir déchiffré le message divin, il fait comme s’il était déjà au Paradis, puis l’incertitude s’installe en lui. Sans être sûr de son erreur, il ne peut supporter le poids du doute, ce couperet hésitant. L’idée qu’il puisse y avoir un immortel parmi le petit groupe d’abrutis qui compose son royaume le rend fou. Il pense un instant les tuer tous, mettant ainsi Dieu dans l’obligation de le choisir, lui: immortel par défaut. Mais il perd l’arme qui lui aurait permis de le faire. Il réussit toutefois à étrangler de ses mains l’adolescent anémié qui lui sert de page, dans une scène qui dure bien trois minutes. A ce moment bien sûr, les spectateurs ne peuvent pas savoir encore qu’il tue vraiment ce gosse, ils croient simplement assister à la plus réaliste scène de strangulation jamais imaginée. Mais l’étranger, comprenant qu’il ne pourra pas supprimer les autres, ceux qui déjà cognent à la porte de son ridicule bunker pour l’écharper, se pend sur le bord du plateau, face au public.
Il monte sur un tabouret, attache une corde sale à un crochet, se la passe au cou et se lance sans hésitation dans le vide. Les mouvements grotesques qu’il fait, les grimaces inouïes qui lui sortent du visage, les postillons dont il asperge le premier rang, le bleu de sa trogne bouffie et le renflement de son pantalon à l’entrejambe font tomber un silence de pyramide dans la salle. Il perd peu à peu de ses forces, après qu’il n’arrive plus à râler, il lance de petits coups de pied dans le vide et cramponne sa gorge ensanglantée. Avec la lenteur d’un jour qui meurt tombe le rideau sur la scène, mais derrière lui, laissant les spectateurs en tête-à-tête avec ce type en train de mourir. Un petit spot éclaire le suicidé par dessus. N’ayant plus aucune force pour se débattre, le corps de l’étranger pendouille dans un imperceptible mouvement pendulaire devant le rideau cramoisi dont les plis forment une herse rougie. Pas un seul des spectateurs ne peut détourner son regard. Pas un bruit, pas un mouchoir, l’hypnose.
Gisèle Tremblay-Ramirez, éducatrice spécialisée dans une maison de quartier et qui apprécie vraiment le théâtre, demande craintivement à son compagnon immobile : « Tu... tu crois qu’il est mort pour de vrai ? »
Puis c’est un hurlement explosif qui réveille le chef de la sécurité. Il entend claquer les portes à battants, des femmes dans l’hystérie, des bruits de corps qu’on foule, met sa casquette et se précipite vers l’entrée en avalant les escaliers quatre à quatre.

A suivre

samedi 10 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 3/8


Il passe dans cette pièce comme un vent de folie. Les personnages semblent avoir été drogués et se comportent avec l’incohérence des très graves fous. L’hyperréalisme des scènes de meurtres écœure encore moins que la nullité des dialogues et la sombre suffisance de la mise en scène. Zangô Tralpak espère tuer le théâtre en tant qu’art : il n’assassine que la patience des spectateurs.
Relisant rapidement les dernières lignes de son article, Pierre André Ragault-Vignard ne put retenir un sentiment d’impatiente satisfaction. Après avoir été insulté et frappé en public par des défenseurs de Tralpak (ils l’avaient entendu à la télévision traiter le Maestro de mégalomane totalitaire tendance Grand Guignol), il ressentait une véritable jubilation à la pensée que son article les rendrait ivres de colère. Il saurait bien se tenir sur ses gardes pour éviter les représailles...
La première de l’Ultime spectacle avait attiré une foule considérable, avec ce pouvoir de fascination qu’ont les accidents de la route quand on les suppose meurtriers. Les spectateurs des deux premiers rangs avaient peut-être entendu clairement les dialogues et suivi toutes les scènes, mais pour les gens placés plus loin ç’avait été un véritable cauchemar. Certainement pour démontrer l’inanité de toute représentation, Tralpak s’était ingénié à bâtir des obstacles entre les acteurs et le public, des recoins, des palissades, des tas d’ordures, et faisait jouer ses gens avec le même naturel que s’il n’y avait pas de spectateurs. Ils ne forçaient jamais leur voix, comme cela se fait si souvent, fussent-ils situés au fond du plateau et derrière un amoncellement bordélique considérable.

« C’est un scandale! On a payé, merde! » déclarèrent les lésés à la fin du spectacle.

Un autre sujet de scandale, celui-ci encore plus dramatique pour le budget des amateurs de théâtre : Tralpak avait annoncé qu’il n’y aurait pas sept représentations, mais que sa pièce, représentation unique, se jouerait en sept volets! Ceux qui voudraient en suivre l’intégralité n’aurait qu’à payer sept fois leur place! Amance du Saint-Jury, critique redoutée à l’hebdomadaire Vieillesse et Citoyenneté, était sortie de la salle pour faire (comme d’habitude, dirent certains de ses ennemis) un article assassin sur cette pièce qu’elle n’avait pas suivie. Son papier, intitulé sarcastiquement la création du monde, réclamait dans une verve poujado-mystico-parisienne l’arrestation de Tralpak et l’interdiction de la pièce au nom de la défense des droits du... consommateur. Une pièce à épisodes! Etait-ce là la trouvaille immortelle ? Evidemment, les doutes furent dissipés quand la pièce débuta.
Sept personnages, deux femmes cinq hommes, présentant tous la particularité d’être amputés. A chacun il manque quelque chose, un œil, un bras, une main, un pied. On croit comprendre que ces sept-là sont les derniers hommes du monde, qu’un cataclysme ou un autre n’a épargné que ces tarés, bien que ce ne soit pas clairement dit. Connaissant la haine de Tralpak pour l’espèce humaine, on ne s’étonne pas qu’il ait choisi de sauver des épaves plutôt que des saints. Plus représentatifs, dirait-il... Un jeu se joue entre eux, dont on ignore l’origine. Ils se trouvent placés dans une sorte de compétition vitale qui les désarme au début, mais qui progressivement déclenche une véritable hystérie comportementale qu’on a du mal à suivre puisqu’on en ignore l’enjeu. Cela découragerait les plus curieux s’il n’y avait dans la mise en scène et dans l’art des acteurs cette force de vérité incroyable qui emporte tout. Il semble qu’ils jouent leur vie pour de vrai. Le réalisme est allé si loin que des spectateurs ont quitté la salle, vite remplacés par d’autres, impatients de voir ce qui n’a jamais été montré. Parce qu’elles ne sont pas exécutées par des cascadeurs, parce qu’elles ne sont pas esthétisées à l’américaine, les scènes de lutte sont insoutenables. Même les disputes font naître l’effroi. Si tout cela n’était pas parfaitement organisé, on jurerait que les acteurs sont hors de tout contrôle et improvisent. Dans la scène finale, le personnage de l’étranger abat le chef du clan d’un coup de revolver en plein cœur. La détonation, si brutale, emplit la salle comme une locomotive qui pénètre dans un tunnel. Le chef du clan semblait tellement vrai, l’impact de la balle lui faisant faire cette si curieuse figure de gymnastique, que des cris suraigus s’élevèrent partout. On se leva pour fuir, se ravisant au dernier moment, conscients tout de même qu’il ne s’agissait que de théâtre. Le chef de la sécurité, interviewé par la télévision après la représentation, avoua qu’il avait eu très peur, notamment pour quelques personnes qu’on avait eu du mal à ranimer.
- C’est assez spécial comme spectacle, il faut bien le dire. Et puis le théâtre intéresse surtout des personnes âgées, enfin c’est pas ce que j’veux dire, hein ? Mais il y a quand même beaucoup de vieux dans la salle, au moins cette fois-ci. Moi... On a eu des évanouissements passagers et aussi des cas plus graves...
Des hospitalisations ? Oui! Cinq!

A suivre

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 2/8



La chambre démesurée d’un loft, éclatant de blancheur. Le sol est entièrement couvert de tessons de bouteilles, agglomérés dans une gangue de colle qui les fixe. Leurs couleurs s’insultent entre elles infiniment. Comme aucun balai ne peut pénétrer leur forêt de griffes, les tessons accumulent depuis des années une poussière ignoble. Tout petit objet qui tombe au sol est généralement perdu à jamais. Ici ou là, on aperçoit les traces sanglantes de quelques tentatives de récupération.
Un pan de mur entier manque, ouvrant la chambre sur une ancienne cour d’usine qui semble avoir été bombardée. C’est un inouï cimetière de merdes abandonnées défiant l’inventaire. Des autos, des frigos, des pinces monseigneur, des cages de fer, des plafonds de stuc, des bonsaï tronçonnés, des mannequins de supermarchés, des piles de batteries, des ronds de papier-chiottes, des fers à repasser, des kilos de patates, un ours empaillé, des portraits du Che, des télévisions, des revues pornographiques, des colliers en plastique, des coquilles d’huîtres, des paquets de clopes, des coussins souillés, des parapluies pleins de baleines, une Louis XIII peinte à la chaux, des disques de jazz, le cadavre d’un chien de cirque. Une pluie oblique applique des flaques dans le loft. Le vent qui l’accompagne entre dans la chambre comme dans un cor de chasse. Au sol, mais en dehors de la zone arrosée, un grand lit sans couverture où Zangô Tralpak est couché, les mains derrière la nuque, seulement vêtu d’une chemise. La maigreur de ses jambes ferait frémir un héron affamé.
Tout ce que l’architecture et les arts décoratifs ont enseigné aux hommes, il l’a détruit ici. Tout ce qui évoque le confort, le chez soi, le solide, le durable, le bien fait, le luxe! est anéanti. Les règles qui semblent le plus communes aux êtres humains sont transgressées. L’autoroute qui enjambe ce lieu en un pont terrifiant laisse tomber sur lui en permanence une pluie de poussière et de bruits de moteurs, à la plus grande satisfaction de Tralpak. Pour souiller encore plus l’idée d’intimité, il marie également au ramdam autoroutier un époustouflant sampling d’Albert Ayler et d’Anthony Braxton superposés cacophoniquement et diffusé en boucle à tue-tête. Il est le seul homme au monde à pouvoir vivre ici, dans le froid de l’hiver, dans la crasse, le bruit, la furie organisés. Cette certitude renforce en lui un sentiment d’orgueil qu’il songera un jour peut-être à tuer aussi. Tuer les sentiments : l’aboutissement définitif de toute démarche artistique.
Mais aujourd’hui, il pense à sa pièce. Les acteurs tiendront-ils jusqu’au bout ? Il craint en particulier les réactions de Philomène Aplose-Foury, cette fausse égérie dont il n’a pas réussi à éradiquer totalement les anciennes tares bourgeoises de gauche. Il s’en méfie depuis sa gaffe de l’autre soir : elle a avoué être allée dans un musée. Peut-on vraiment tenter de tuer le théâtre avec de tels pleutres ?
Certes, ils composent autour de lui une cour exaltée de fanatiques absolus, un aréopage de disciples ascétiques convaincus de toucher grâce au Maître les limites humaines de la conscience et de la vie. Certes, certes...
(Au dessus du lit, une reproduction agrandie de la toile de Malevitch absorbe son regard comme le fond d’un gouffre. C’est là qu’il puise chaque jour la lumière qui manque au monde).
« Certes, certes... mais tiendront-ils, tous les six ? »

A suivre

vendredi 9 octobre 2009

Harcèlement expresse.


En France, on aime se suicider. Ce n’est pas à proprement parler une spécialité nationale, comme le fromage, les bons vins ou la pédophilophilie, mais enfin, on se défend pas mal, et depuis longtemps. D’une année sur l’autre, on compte entre 10 000 et 13 000 suicides en France, selon les estimations, pour environ 200 000 tentatives ! Chacun comprend donc qu’en ce domaine comme en tant d’autres, le taux de rendement français a de fortes marges de progression devant lui… mais je galèje.
Depuis quelque temps, on relate des cas de suicides sur le lieu de travail, ce qui indiquerait un lien de cause à effet : on me traite mal dans cette entreprise, je me suicide dans ses locaux. Ce genre d’interprétation est abondamment mis en avant par le monde syndical, qui y voit un moyen de mettre la pression sur les entreprises, et peut-être de faire changer le quotidien des salariés. Evidemment, c’est grossier, c’est malhonnête, mais si ça peut enrayer un peu la machine à aliéner le citoyen qu’on appelle fièrement Entreprise, on se dit que c’est de bonne guerre. Sans être un spécialiste du suicide, on peut quand même concevoir qu’un individu ne met pas fin à sa vie uniquement parce qu’il a été changé de service. Même chez les gens simples, même chez les frustres, même chez les brutes épaisses et même chez les syndicalistes, la vie est plus compliquée que ça ! Ça ne signifie pas que ce qu’on déguste au boulot soit indifférent, ne serait-ce que parce qu’on y passe l’essentiel de son temps (quand je pense à ça, là oui, j’ai envie de me flinguer). Mais faire un lien direct et quasi automatique entre la vie professionnelle et le suicide a tout l’air d’une fumisterie pour enfants de cinq ans.


En ce domaine comme en tant d’autres, on ne saurait trop remarquer l’action néfaste des journalistes partisans ou fainéants. L’Express est un journal célèbre, et à ce titre, il ne recule naturellement devant rien pour vendre du papier. Désormais, quand un malheureux se suicidera, il se trouvera un journaliste de l’Express pour signaler la boîte dans laquelle le suicidé travaillait, comme ça, en passant, l’air de rien. Aujourd’hui, on titre qu’un « salarié de Renault se suicide à son domicile », sous-entendant qu’il pourrait y avoir un lien entre le fait de bosser chez Renault et celui de se supprimer. Les journalistes sont toujours prompts à dégainer en paroles leur célèbre « déontologie » : c’aurait été le moment de s’en servir.
Je démontre : l’Express nous apprend que le suicidé d’aujourd’hui travaillait dans le même centre Renault qui avait connu « une vague » de suicides il y a trois ans. Bigre ! Et, bien sûr, un petit encart nous donne les liens pour consulter les articles qui, à l’époque avaient relatés ces trois suicides (dont un seul sur le lieu de travail, mais passons). On apprend qu’à l’époque, l’inspection du travail avait même porté plainte contre Renault pour harcèlement. Mais quand on veut savoir quelles suites ont été données par la justice, je vous le donne en mille : PAS DE LIEN. Mais tonton Beboper l'a trouvé pour toi, lecteur captivé, le voici :
Evidemment, on s’en doutait, la plainte a fait choufa : pour la justice, pas de lien caractérisé entre conditions de travail et suicide dans les cas observés. Mais l’Express, aujourd’hui, trouve sans doute inutile d’informer ses lecteurs d’un détail aussi peu signifiant…
On nous donne enfin un lien sur un article « de fond » intitulé « le poids des maux au travail », traitant du problème des suicides liés au boulot. Attention, cette fois-ci, ce n’est plus l’article d’un vulgaire journaliste, non, nous avons un couple de spécialistes de la chose ! Ça va barder !
Cet article est même illustré d’une photo légendée ainsi « Le technocentre Renault de Guyancourt où 5 salariés se sont donnés la mort », alors que ça n’a concerné qu’une seule personne. Remarque, lecteur, qu’on parle du centre où cinq personnes se sont données la mort, non du centre dont cinq personnes etc. Ha, la grammaire, ça sert à ça : à te niquer. Précision, déontologie, sérieux, impartialité : la devise de l’Express.


Je sais parfaitement que l’entreprise est l’exact contraire de ce qu’on a cherché à nous vendre dans les années 80, Séguéla et Tapie en tête. C’est une sorte de lieu de perdition où l’on gaspille le plus clair de son temps en conneries, où les plus bas instincts de l’homo sapiens se déchaînent et sont même méthodiquement exploités. Je sais que des milliers de personnes sont maltraitées par un petit ou un grand chef, par leurs collègues, leurs subordonnés, comme c’est aussi le cas à l’école ou dans n’importe quel lieu où des personnes se trouvent durablement ensemble. Quand une personne est « faible » ou ne sait pas se défendre, c’est tout pour sa gueule. C’est qu’on est comme ça, nous autres humains, on a des grands mots plein la bouche (comme les journalistes), on est théoriquement civilisés, éduqués, domestiqués, mais dans la vie réelle, dans le concret, c’est presque toujours le moins bon de nous-mêmes que nous donnons. Ça signifie exactement qu’il faut un arsenal juridique pour défendre nos victimes. Je suis absolument pour. Mais ça ne justifie pas qu’un journal malhonnête essaie de nous couillonner.
L’information, piège à cons, l'Express en est champion!

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 1/8


« ... Page culturelle maintenant avec ce soir la première d’une pièce dont tout le monde parle : l’Ultime spectacle, de Zangô Tralpak. Zangô Tralpak, vous vous en souvenez tous, est ce pluriartiste hors normes qui travaille depuis presque vingt ans à dynamiter ce qui reste encore debout dans notre société, que ce soit l’art, la morale ou la philosophie, la culture, le sport, enfin en règle générale tout ce qui compose le monde où nous vivons. Il se fit connaître avec les concerts qu’il donna à partir de 1982, au cours desquels les instruments de musique étaient détruits d’une manière industrielle, leurs sons étant remplacés au cours du concert par les hurlements des machines en train de les démolir. Son tube la Danse des copeaux fut enregistré au cours d’un de ces spectacles où seize flûtes et deux contrebasses furent passées dans des machines à bois, scie à ruban, raboteuse etc., pour être transformées en allumettes. A la fin du concert, et cela marqua les esprits, les allumettes furent utilisées comme il se doit, et les spectateurs émerveillés durent s’enfuir de la salle in extremis pour échapper aux flammes de l’incendie. Zangô Tralpak fut condamné à deux ans de prison pour mise en danger de la vie d’autrui.
On aurait pu s’attendre à ce qu’il s’acharne à détruire l’institution carcérale de l’intérieur, mais il n’en fit rien. Il surprit tout le monde en profitant de l’oisiveté forcée pour s’entraîner au tennis de table avec ses codétenus. Là encore, il fit œuvre de révolutionnaire en tenant sa raquette d’une manière incroyable : fixée entre ses jambes comme un sexe. Son jeu, fait d’invraisemblables mouvements de bassin dans toutes les directions, surprit tellement ses adversaires et se révéla si efficace qu’il devint champion du monde dès sa sortie de prison. Il expliqua sa démarche lors d’un entretien avec notre collaborateur Henri-Claude Boulay-Clapaou, trois jours avant sa libération anticipée. Je vous propose de réentendre ses paroles: »

- Le sport est un des piliers de notre société compétitive. Il apprend aux enfants le machisme initial des règles de la vie en communauté, même quand ces enfants sportifs sont des filles. Les femmes sportives, les championnes sont l’image la plus accomplie du triomphe de l’homme. La rage qu’elles mettent dans l’entraînement et l’ivresse d’avoir vaincu leurs adversaires-ennemies sont la traduction moderne de la prééminence du fort sur le faible. Le sport est ce qui nous reste du fascisme, comme la poupe non-immergée d’un bateau qui repose sur le fond d’un lac. En gagnant ce championnat du monde, je viens de démontrer que l’essence du sport se situe dans la sexualité, donc dans des rapports de dominant à dominé, dans la zone primaire où les individus jouent leur survie à travers l’espèce. J’ai battu les autres en jouant avant tout avec ma bite, c’est-à-dire que ma raquette, placée comme vous l’avez vue, était le prolongement le plus direct de mon sexe, le plus court chemin possible entre lui et la balle. Je suis persuadé que j’aurais gagné encore plus facilement si j’avais pu jouer directement avec mon gland, mais il aurait bien sûr fallu pour cela que je fasse transformer par chirurgie son bombé en une surface plate pouvant renvoyer les coups de l’adversaire. Dorénavant, personne ne pourra plus jamais jouer comme on le faisait jusqu’à moi.

« Hum...revenons donc à son actualité, sa pièce, Ultime spectacle comme il l’a intitulée. Dans le but de surprendre la critique, Zangô Tralpak refuse de donner le moindre indice sur la teneur de sa pièce. Certaines indiscrétions laissent supposer que la violence y sera omniprésente, et cela ne surprendra personne. La seule chose que l’on sache, c’est qu’il n’y aura que sept représentations, seulement sept. »

A suivre...

mercredi 7 octobre 2009

La guerre sans fin


Dans la guerre de tous contre tous que le libéralisme a installé au cœur de nos sociétés, le plus épatant est qu’ayant mille raisons de la dénoncer, chacun y cède pourtant, ou tend à le faire, et avec les meilleures intentions du monde. Qui, en effet, serait candidat à l’abandon de son « bon droit » ? Qui, alléché par la possibilité de faire cracher au bassinet un quidam ou une institution, préfèrerait laisser tomber ou régler ça autrement ?
L’image traditionnelle du Far West, c’est le duel. Deux types s’opposent sur n’importe quoi, se font face et se tirent dans le lard. C’est violent mais simple, il n’y a de place que pour le vainqueur. La prolifération inédite des droits individuels et de l’esprit vindicatif qui lui est forcément associé nous font un peu revivre ces temps heureux. Certes, le duel a changé de forme, il est devenu moins directement radical, on ne « meurt » plus vraiment : ça permet de continuer de se battre, de changer d’ennemis, même quand on perd. Nous sommes désormais entrés dans l’ère des procès.
En observant un peu scrupuleusement les choses, on s’aperçoit que les gens sont souvent portés à faire le contraire de ce qu’ils disent, et inversement. Cette observation vaut aussi dans une large mesure pour la société toute entière. Après avoir découvert avec horreur les historiens dits « révisionnistes », et avoir associé ce mot à l’infamie parfaite, c’est l’ensemble du corps social qui s’est pourtant lancé dans la plus formidable opération révisionniste jamais vue : la révision permanente du passé. D’où, entre autres choses, les procès. Comme certains l’ont déjà remarqué, le passé doit désormais rendre des comptes au présent, tel des parents non mariés qui devraient justifier leur vieil amour à leur enfant soudain tombé en pudibonderie. Il n’est pas un empereur romain qui ne soit déboulonnable pour crime d’autoritarisme, pour avoir négligé les femmes dans l’exercice du pouvoir ou pour avoir construit des aqueducs sans étude d’impact préalable. Et on salira peut-être un jour la figure de Vattel parce que ses plats n’étaient pas assez riches en fibres.
Il y a deux semaines, on apprenait que des anciens mineurs des Houillères du Nord venaient d’être déboutés dans une action contre leur ancien employeur par le tribunal des prud’hommes de Nanterre. Ils demandaient réparation d’avoir été injustement licenciés… il y a plus de soixante piges ! Si l’on a entendu de grandes consciences appeler à la « prescription » dans l’affaire Roman Paupolanski, qui remonte à l’année 1975, on remarque leur silence dans ce rocambolesque cas de figure des années 40... C’est peut-être que le procès, surtout quand il vise le passé, est devenu l’arme suprême du Bien, la force de frappe du Contemporain. Car il est dit que le Bien s’imposera par la force et mènera partout une guerre sans fin.


C’est comme si les mots n’avaient plus aucun sens, comme si les fautes d’orthographe, qui paraît-il prolifèrent, avaient une application concrète dans la réalité : la vie elle aussi se met à faire des fautes d’orthographe, les mots ne disent plus ce qui se passe, mais tapent à côté. Des formules nouvelles apparaissent avec frénésie, et plus elles décrivent mal la réalité, plus leur succès est immédiat, total. Syndrome classique de la propagande des temps de guerre, les mots sont les premières victimes de l'assaut. On parle de « créer du lien social » au moment où tout acte est susceptible de vous valoir les tribunaux parce que vous avez déplu à tel ou tel procédurier. Au moment où l’on voit, sous nos yeux, le tissu social et les liens qui unissaient les gens se déliter chaque jour, où des groupes ethniques se forment dès la cour de récréation, où des quotas de minorités visibles vont être institués jusque dans les films de capes et d’épées, la grotesque expression « créer du lien social » apparaît, et court sur toutes les lippes. D’un côté, le lien social semble uniquement conçu pour nous pendre avec. De l’autre, rien n’est plus éloigné de l’idée de lien social que cette concurrence généralisée et cette guérilla que chaque connard livre au reste du monde pour défendre un droit merdique que personne ne songe même à lui discuter. Comme des fous de Coué, nous ahanons lien social ! lien social ! au milieu du pugilat.

mardi 6 octobre 2009

Exclusif : on veut chasser les Juifs de France !


Dans une France occupée par des communautés, celles-ci n’ont plus qu’à gérer les affaires courantes, la « vigilance » étant dévolue à chacun des citoyens. Une illustration de ce phénomène nous est fournie par l’histoire invraisemblable que connaît un village du Cher, Loye-sur-Arnon, digne d’un Marcel Aymé ou de Clochemerle. Ce village avait une « rue des Juifs ». Transformée en impasse, elle devient « Impasse des pèlerins » parce que son maire n’envisage pas d’accoler le mot « impasse » à celui d’une communauté… Enfin, c’est ce que j’ai compris de l’imbroglio, mais je ne jure de rien, tant la qualité rédactionnelle des journalistes se barre en couilles au pays de Chateaubriand.
Je ne résiste pas à la douleur de livrer en totalité l’article d’un tâcheron de Libé Orléans sur le sujet :
« POLEMIQUE. Loye-sur-Arnon (Cher) n’a plus de «rue des Juifs». Elle vient d’être débaptisée au profit d’une «Impasse des Pèlerins». En cause, selon Jean-Paul Joliet, le maire de cette commune de 300 habitants, un banal problème de voirie: «La rue a été transformée en impasse et je me refuse à imposer cette terminologie à une communauté, quelle qu’elle soit. Ce serait discriminatoire».
Pour Gérard Julien, l’un de ses administrés qui a saisi la Licra (ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), l’intention est plus maligne: «Je n’ai jamais soupçonné ou accusé le maire d’antisémitisme. Par contre, dans son entourage direct…». L’habitant s’appuie sur un courrier du maire qui explique que certaines personnes auraient dénoncé le «caractère significatif» du nom «Juif». «Pourquoi légiférer sur une voie étroite qui ne voit passer qu’un pèlerin (sic) par jour?».
Mercredi soir dernier, «dans un souci d’apaisement», le conseil municipal a voté à l’unanimité l’apposition d’une double plaque «Impasse des Pèlerins» et «Ancienne rue des Juifs». Mais cette mesure ne contente toujours pas Gérard Julien. «Les Juifs sont aussi des pèlerins!», s’emporte-t-il.
L’administré se réserve la possibilité d’ester en justice. «Si la mairie campe sur ses positions, j’irai devant le tribunal administratif».
Mourad Guichard »

Dans le texte ci-dessus, après le « ce serait discriminatoire », le point culminant du comique vient évidemment de «Les Juifs sont aussi des pèlerins!», dont Philippe Muray aurait sûrement fait son miel. On nage en pleine fiction, c'est-à-dire en pleine réalité moderne. Pour le reste, il faudrait un nez de pointer pour y piger quelque chose. Mais ça, c’est sans doute l’effet Libé.
L’histoire en elle-même n’a pas (encore) ce caractère de gravité qui justifierait l’intervention de l’armée, mais on sent bien que si un accusé se mettait en tête de « résister » (c’est à dire s’il ne chiait pas dans son froc derechef), le sang pourrait gicler, les avocats et procureurs se mettraient en branle, les grands mots retentiraient ici-bas et BHL se fendrait d’une diatribe sans réplique, entre un éloge de Ségolène Royal et une ode à Paupolanski. La susceptibilité publique est méchamment titillée, ou je ne m’y connais pas.
Autant le dire tout de suite, je suis par principe opposé à ce qu’on change le noms des rues, sous n’importe quel prétexte. La toponymie étant en quelque sorte la trace écrite de l’histoire, y toucher relève tout simplement de la falsification révisionniste et devrait être puni du cachot, au pain sec et à l’eau avec obligation de regarder la télévision (toutes les chaînes, y compris les séries québécoises). Mais de là à voir de l’antisémitisme dans un changement de nom de rue, qui reste une chose hélas courante, il y a de la marge. Et les sempiternelles Licra et consorts qui pointent leurs canons de flingues, comme dans le plus affreux cauchemar, prêts à bousiller le récalcitrant… L’indice que l’esprit de flicage a gagné, c’est qu’il devient impossible de faire quoi que ce soit aujourd’hui sans qu’un soupçon d’infamie ne se pointe. Il semble même que l’actualité française ne soit plus que ça, entre antisémitisme, homophobie, racisme, islamoméfiance, handicapophobie, filsdeputophobie, philatélophobie, phobophobie rampante et discrimination à l’encontre des virus asiatiques. Contre toute évidence, les vigiles sont vigilants, ils sont prêts, mais comme le lieutenant Drogo, ils manquent des Tartares qui justifieraient leur existence, ou au moins leurs énormes salaires. Jamais la tolérance envers le cosmos entier n’a été aussi forte et jamais on ne s’est autant accusés d'intolérance. Jamais la France n’a été aussi ouverte, économiquement, culturellement, et on crie au repli frileux. Jamais la vie n’a été aussi confortable et on se plaint du moindre risque. Jamais on a vécu aussi vieux et on déplore les « atteintes à la santé publique ». Jamais nous n’avons autant consommé et on prétend s’être appauvris. Jamais on ne s’est autant drapé dans les slips de la révolte et de l’anticonformisme (ils sont vastes, on peut s’en draper, oui) et on traque la moindre action, la moindre parole déviante. La France passe d’une nouveauté à l’autre en permanence et ne fait bientôt plus que ça: elle geint et elle s’offusque.
L’ordre moral règne sur une nation de dépressifs.
On est dans la merde.

L'islam t'explose le cul !


Le dernier en date des attentats suicides en Arabie restera dans les anales (c’est bon, je l’ai faite). En effet, le fumier qui s’est fait sauter dans le palais d’un responsable de la lutte antiterroriste s’était introduit une bombe dans le fion. Authentique. C’est le Figaro qui l’affirme, et au Figaro, on s’y connaît en enculés !
ANUS ISLAMIS BOUM BOUM ! c’est par ces quatre mots que le fier combattant de dieu a terminé sa bruyante carrière. Sitôt sa devise clamée, il a appuyé sur un bouton de son téléphone portable, et a répandu son caca sur les tapisseries obscènes et les tapis d’orient. Dans l’état où il a fini sa vie de merde, même si soixante-douze vierges l’attendent au paradis, il va avoir du mal à s’en faire aimer. Quant à les baiser, faut plus trop y compter.
En tournant, les derviches entrent dans une transe qui les fera réceptifs à la grâce divine, qu’ils répandront ensuite sur la terre. Les mecs d’Al-Qaida voient les choses autrement : ils s’enculent un peu de la colère de dieu sous forme d’un concentré cylindrique de belle taille et la chient sur le monde dans un grand vacarme. Moins mystique, plus spectaculaire, bien de leur époque finalement… A l’heure du speed dating, on n’a plus de temps à perdre en salamalecs.


Les traditions se perdent, même chez les plus fanatiques des conservateurs. Dans le temps, on zigouillait les salopards grâce à une invention géniale, et orientale entre toutes : le pal. Aujourd’hui, renversement de tendance et transmutation de toutes les valeurs, c’est plus le cul de ton ennemi que tu éclates, c’est le tiens que tu lui répands sur sa face de chien !
« Dans la guerre sans merci que nous livrons au monde décadent, a déclaré le chef des Guerriers de la Rosette de Dieu (groupuscule d’emmanchés affiliés à Al-Qaida), c’est le corps entier qui doit être mobilisé. Le musulman intègre possède une force au fond de lui, qu’il met au service du Très Miséricordieux. N’oubliez pas, chiens d’athées, que dieu est partout ! Partout ! Nos culs vaincront ! Le Djihad, c’est une question de tripes ! »