samedi 12 décembre 2009

L’impudent bonheur des empaffés


Au plus fort de la tempête, il y a toujours un imbécile pour dire qu’on va s’en sortir. Quand les vagues pilonnent l’esquif, quand l’équipage est emporté au bouillon, que le capitaine lui-même ne peut plus quitter la cuvette des chiottes, quand les structures du bateau se rompent et que la musique s’arrête, on entend toujours un mauvais mourant qui veut relancer la bagarre et, laissant les mots sortir librement de sa gorge, qui parvient à redonner de l’espoir au dernier carré hébété. Et souvent, cet emmerdeur a raison. C’est toute l’histoire humaine. Mais en ce samedi 12 décembre 2009, après la vidéo des jeunes de l’UMP, personne, pas une voix ne s’élève. Chacun a compris que c’est la fin.
Qui aurait pu prévoir qu’en plein « débat » sur l’identité nationale, le parti au pouvoir déciderait de tuer la France, en peine conscience du crime, rendant ainsi dérisoire toute autre considération ? A tous ceux qui, de bonne foi ou pas, se chamaillaient pour savoir si telle ou telle option relève de l’identité française, le pouvoir a décidé de montrer comment, de l’identité française, on se torche le cul. Oyez, enculés, approchez ! Regardez comment on achève une nation malade ! Mettez vos groins à l’épreuve ! N’ayez pas peur, mesdames, laissez vos enfants jouer avec la charogne ! Elle ne ressent plus rien, on peut y aller !
Je me souviens des reportages sur les mineurs, à la fin des années 70. Des simples d’esprits, les mineurs. Des mecs de cent kilos, des mains comme des poêles à frire, des moustaches effrayantes et les voilà qui se mettent à pleurer dans le poste parce qu’ils estiment leur dignité atteinte. Ils pleuraient comme des mioches parce qu’ils ne comprenaient pas comment on pouvait les tenir pour si peu, ni comment des mecs pas capables de changer un filtre à air pouvaient décider de foutre des héros au remblai. On s’endormait, gamins, avec ces larmes, en se disant qu’on venait de découvrir en quoi ça consistait vraiment, d’être un homme. Je me souviens aussi qu’à cette époque, le plus grand des Français s’appelait encore Eric Tabarly, un travailleur sobre qui refusait de répondre aux questions idiotes. Tous les enfants le regardaient comme un père, lui dont on savait que jamais le cul ne s’ornerait d’une plume, fût-ce pour faire plaisir à l’audimat. L’identité française, en ce moyen âge lointain, c’était une certaine façon de n’être jamais ridicule, une espèce de grandeur.
Tout le monde doit s’en foutre, mais c’est décidé : je ne suis plus français. Il y aura sûrement encore un mauvais coucheur pour prétendre que tout n’est pas fini, mais il se trompe : tout est absolument fini, l’ancien monde est mort. Demain, les poules auront des dents, les arbres pousseront à l’envers et des boulevards porteront le nom de Patrick Devedjian.
Dans le monde simpliste des juristes, un Français est simplement un clampin qui possède la carte d’identité française. Qu’il ne soit même pas francophone ne change rien, qu’il ignore tout du pays n’a pas d’importance, c’est un français au même titre que Châteaubriand et Jean Moulin. Les coiffeurs voient le monde à travers les conversations qu’ils ont dans leur salon feutré ; les chauffeurs de bus en savent long sur l’homme parce qu’ils font beaucoup de kilomètres ; les juristes voient le monde à travers le Code. Mais pour les gens comme moi, néanderthaliens voués au charnier, la carte d’identité n’est rien d’autre qu’un papier délivré par un fonctionnaire qui fait ses huit heures, et qui aurait pu aussi bien vous filer un arrêté d’expulsion si un sous-ministre l’avait décidé. Etre français est une alchimie qui suppose, a minima, une aspiration à être français, une forme d’identification avec le pays, un accord général sur l’existence qu’on y mène, toutes choses qu’ils m’ont prises. On pourra dire et faire ce qu’on veut désormais à propos de cette fameuse identité, je m’en désintéresse. A quoi bon peaufiner l’argument, soupeser des pattes de mouches, à quoi bon étudier, affirmer, douter ? L’identité française, on nous l’assène, on nous le démontre, c’est avoir le courage de la vulgarité, c’est l’ignoble sans gêne des optimistes, l’infantilisme des slogans, la grossièreté de l’air des lampions, la laideur des biens portants, c’est l’indignité des bouffons, l’impudent bonheur des empaffés.


Les Etats-Unis ont depuis longtemps mélangé show business et politique. Ils ont tout mélangé, d’ailleurs, c’est là toute leur recette. Faire une carrière politique, là-bas, est aussi éprouvant que faire des claquettes. Tout doit être fun : les américains prennent les enfantillages très au sérieux. Au pays de Disney, on ne badine pas avec l’insignifiance. Rien n’est plus encadré que la nonchalance, rien n’est plus codifié que la décontraction. On passerait par les armes médiatiques un politique qui n’afficherait pas son souci de faire jeune, et d’ailleurs, on n’y conçoit plus qu’on puisse être Président sans faire de jogging. L’industrie du divertissement a si complètement infiltré le tissu social que le meilleur visa pour le pouvoir est un sourire franc, sans tâche, large et permanent. Obamisme et optimisme. La France a décidé il y a longtemps d’imiter les USA et, bien sûr, comme tous les imitateurs, elle bouffonne. Après que Ségolène Royal, avec ses bouclettes, sa tunique moulante et son parfait émail a foutu la trique au Zénith, on savait que les dès étaient jetés et que la politique française passerait, elle aussi, par ce concours de séduction si américain. L’UMP relève donc le défi en s’enfonçant délibérément dans l’abrutissement fier de lui, la variétisation assumée de la politique à coups de plamondices. S’américaniser n’est plus une technique, un penchant ni une faiblesse, c’est un impératif catégorique. Bien sûr, il ne faudrait pas croire ni espérer que les choses vont en rester là : on les aura, les socialistes faisant du hip-hop, on y aura droit à Martine Aubry en tutu, à Besancenot en Village People, on verra bientôt Benoît Hamon faire du skateboard, Villiers chanter la Traviata et la fille Le Pen tatouée lolita style. On a bien eu un président en exercice entrant en short et basket par la grande porte de l’Elysée…
Se dire Français, c’est d’une façon ou d’une autre assumer ce qui est français, assumer l’histoire et le présent. Je l’ai déjà écrit, j’assumais dans la joie les croisades, la Saint-Barthélemy, les guerres mondiales, les guillotinades, les Bérézinas, j’assumais tout, j’assumais même les yéyés ! Mais c’en est trop : en deux générations, on est passé du Chant des partisans à « Changer le monde » : je ne suis plus français !