vendredi 22 janvier 2010

Un festival de violence.


Lyon organise chaque année un festival du polar. C’est aussi inintéressant qu’un festival de littérature normale, mais là, on s’emmerde avec des polars. Rien de bien méchant. Après tout, il existe des festivals d’à peu près n’importe quoi en France, pourquoi pas un festival chiant du polar. Cette année, pour la promo du festival, les organisateurs ont prévu un jeu de rôle en pleine ville, intelligemment nommé « Streetwars ». Un nom anglais, ça fait classe, non ? Il s’agit de jouer au pistolet à eau dans les rues de Lyon et de se dégommer les uns les autres. Oui, je sais, le concept est simple… mais après tout, d’autres jeux sont simples et pourtant si charmants : le rami, la bataille navale, le colin-maillard…
Tu te demandes sûrement, lecteur débordé par un boulot passionnant, et qui prend sur ton temps de pause pour mater ce blog en douce, tu te demandes sûrement pourquoi je t’emmerde avec de telles conneries. Patience, les plus belles arrivent.

Conseil municipal de Lyon (France), 18 janvier 2010 – 10h17 (GMT + 1)

Guylaine Breby, responsable des subventions culturelles, soumet le dossier du festival Quai du polar au vote. Il s’agit d’une petite subvention : 160 000 euros. Une misère.
Les choses semblent rouler comme d’habitude : on entendrait voler une mouche, et d’ailleurs on en entend une (les locaux sont surchauffés, les mouches n’y craignent pas l’hiver).
Patrick Huguet, conseiller municipal UMP et ardent défenseur de la morale, se lève. Une grosse miette de croissant est restée collée à l’une de ses incisives. Ça fait marrer tout le monde, mais il ne s’en rend pas compte. Il croit simplement que les gens sont heureux de le voir. Il tique, le Patrick. Il tique.

- Monsieur Huguet, tonne Gérard Collomb, que pouvons-nous faire pour v (la fin de phrase est inaudible – faux contact dans le réseau des micros)
- Je vois, mesdames et messieurs les conseillers (sans oublier les demoiselles, les bi trans gay et lesbien et sans-papiers qui ont droit à notre respect), que le festival propose cette année encore ce jeu de pistolet à eau à ses participants. Je trouve scandaleux que la ville subventionne une opération où l’on incite à commettre des « meurtres virtuels », même avec des armes à eau. Je trouve que ce n’est pas convenable.

D’habitude, la plupart des conseillers n’écoutent pas les orateurs. Cette fois-ci, pareil. Le Patron, en revanche, ne laisse pas passer l’occase de sortir une vanne. Hélas, le micro déconnant de plus en plus, l’Histoire n’enregistrera pas la saillie, qui fit pourtant rire aux larmes son auteur pendant une bonne minute.


Voilà. Philippe Muray nous a assez démontré que la France est devenue un terrain de jeu. De grands gosses y jouent à aller écouter du jazz, de la dub, du rock, de la bonne vieille merde festive ou n’importe quoi d’autre, mais en groupe, en nombre, en masse. On peut même y voir des adultes, bravant le ridicule, se flinguant à coup de pistolet à eau en pleine rue. D’un autre côté, pour faire comme si tout ça était encore sérieux, un tartuffe s’offusque (spécialité française) du mauvais exemple donné à une jeunesse déboussolée. Va-t-il faire remarquer qu'on dépense bien du pognon pour des enfantillages? Non! il trouve ça encore trop dangereux! « Simuler des meurtres » ? vous n’y pensez pas ! Le principe de précaution est entré si profondément dans nos fesses qu’il nous empêche tout mouvement, toute fantaisie, même les plus idiotes. Patrick Huguet n’ose imaginer qu’on puisse jouer à se tuer pour de faux, même avec des pistolets à eau. Quand on pense qu’il y a moins de dix ans, par le service militaire, on permettait à des centaines de milliers de petits gars de s’amuser à tirer réellement des vraies balles qui font des trous, à lancer des grenades, et qu’aujourd’hui, on craint publiquement de les exposer au spectacle atroce de quelques trentenaires bedonnant se tirant dessus avec des pompes à eau… On craint que ça leur donne des idées…
Le plus joli, dans cette pantalonnade, c’est que la majorité socialiste, débordée sur le point de la bien-pensance responsable par un droitard plus puritain qu’elle, a immédiatement précisé que les mots « meurtre » et « pistolet » seraient retirés des documents présentant le jeu.
Avis à vous tous : du 9 au 11 avril prochain, Lyon invente le polar sans meurtre et sans pistolet. On est loin d’Ellroy…

mardi 19 janvier 2010

Air France : les gros moyens.


Tous ceux qui ont déjà pris l’avion savent que les passagers y sont traités comme de la merde. A moins de voyager en première classe ou, plus encore, en business class, les clampins sont assis sur des sièges étroits, installés aussi près que possible les uns des autres. Quand un type devant toi se met en tête d’incliner son dossier pour piquer un somme ou pour faire un putain de sudoku, il ne reste généralement que quelques centimètres entre l’arrière de son dossier et ton pif. Il ne s’agit plus d’avoir envie d’éternuer, ou c’est l’incident.
Air France a choisi de franchir une étape supplémentaire dans la déshumanisation totale de ces connards de touristes : désormais, les gros payeront deux places. La manœuvre est simple : on généralise des sièges étroits, sans espace entre eux ; puis ont décrète que les gens ne pouvant pas y insérer leurs fesses devront en louer deux. C’est arithmétique, c’est simple, ça rapporte.

Messieurs les terroristes ont beaucoup œuvré pour que les contrôles d’accès aux avions deviennent de plus en plus inquisitoriaux. De la fouille des bagages aux mains baladeuses, du portique anti-ferraille au scanner corporel, les mesures prises pour éviter leurs conneries explosives se sont progressivement rapprochées de celles réservées d’ordinaire au bétail. Mais, me diras-tu, lecteur globe-trotteur, c’est pour une raison de sécurité collective. Oui, c’est vrai. En revanche, l’idée de faire payer le voyage au poids, elle, n’a rien à voir avec la sécurité, quoi qu’en disent ces faux derches d’Air France. Il y a deux ans, d'ailleurs, l’avide compagnie aérienne avait dû lâcher de l’oseille à un passager qui avait le tort de peser 160 kilos, et qui avait dû acheter deux places pour y poser son prose encombrant. Les juges avaient condamné Air France à des broutilles.

Le métro parisien a été construit à une époque où les gens étaient petits. Bon. Les rames sont étroites, elles vont et viennent dans des tunnels étroits, et les sièges sont ridicules. On comprend qu’on a du mal à percer partout des tunnels plus larges pour le confort de nos popotins : OK. Mais les métros qui se construisent depuis, ailleurs qu’à Paris, pardon ! C’est du large. On ne lésine pas pour trois centimètres, on prévoit maousse. On fait, en somme, ce qui est normal dans une société civilisée : on adapte la machine à l’homme, et non l’inverse.

Jusqu’à ces dernières semaines, il était à peu près convenu à la surface de la Terre que la dignité d’homme (et de femme, je cause ici pour toute l’humanité !) était attribuée à chaque individu, ni plus ni moins. Un homme = un vote, par exemple, est l’application de ce principe. Air France voit les choses autrement : un individu ? Combien de kilos ? Comme un viandard compte le bœuf à la tonne, la compagnie française discrimine à tout va en fonction de ton tour de cul ! Si on y réfléchit un peu, l’idée est opportune : il paraît que la population grossit, et que le pire est à venir. Les difficultés financières d’Air France sont peut-être en passe de s’alléger, à mesure que le poids moyen du passager s’accroît. Et, comme les individus grandissent aussi, si Air France trouvait le moyen de réduire encore la distance séparant les rangées de sièges, d’ici vingt ans, elle pourra exiger que les grands achètent deux places : l’une devant, l’autre derrière ! Mieux : pour rationaliser encore plus le stockage des voyageurs, l’idée ultime serait de supprimer complètement les sièges pour ne garder que les accoudoirs : les passagers seraient clipsés directement dessus, avec consigne de ne pas desserrer les fesses avant l’arrêt total en bout de piste !
Jusqu’à présent, l’idée de vendre un billet pour le prix de deux était cantonnée aux comédies burlesques ou aux blagues pied-noires : qu’on se le dise, Air France ne rigole plus.

samedi 9 janvier 2010

Le paradis des toubibs


Chaque lecteur un peu assidu de ce blog et des articles que j’y commets, sait tout le mal que je pense de l’Information. En ayant bien conscience de ne rien dire de nouveau, mais en continuant tout de même à affirmer une chose démontrée, je prétends que l’information est un piège à cons, sauf à se méfier d’elle comme de la peste, et de ceux qui la propagent . Je tombe sur un article du Figaro relatant des troubles en Malaisie : là-bas, des musulmans incendient des églises parce qu’ils refusent que les chrétiens utilisent le nom d’Allah. J’avoue être intéressé par chaque information qui me confirme que, contrairement à l’étymologie, les religions sont des entreprises à diviser les gens. Non pas que ça m’amuse beaucoup (enfin, celle-ci est assez croquignole, ne boudons pas notre satisfaction), mais enfin, les religieux ont tellement prétendu en savoir un rayon sur la paix, la tolérance, la sagesse et la sainteté qu’il est toujours bon de rappeler qu’ils excellent aussi dans le meurtre et la bouffonnerie.
Je ne connais aucun Malais ni aucune Malaise, je ne sais même pas où se trouve la Malaisie sur une carte. D’ailleurs, avant cet article, j’ignorais qu’un pays puisse avoir un nom aussi prédestiné : j’imagine un endroit couvert d’hôpitaux, quelque chose comme ça. Le paradis des toubibs. Evidemment, on comprend que les habitants de la Malaisie ne se sentent pas bien, mais de là à déconner aussi manifestement, et en aussi grand nombre, il y a de la marge.
On est souvent étonné de la disproportion entre les raisons d’une crise et ses conséquences, et les affaires contenant un élément d’ordre religieux battent tous les records en la matière. J’ai déjà évoqué l’histoire pathétique du Brésil français, où la superstition la plus éclatante, la sottise la plus sûre d’elle avait eu raison d’un projet considérable, comme dans les meilleurs films des frères Marx. Le fait divers malais en est un autre : des gens sont assez cons pour prétendre à la fois adorer un dieu unique, putament unique même puisqu’ils le clament cent fois par jour et sur tous les toits depuis un millénaire et demi, mais ils interdisent en même temps que d’autres utilisent le mot arabe pour le désigner (Allah), lui préférant un autre nom (je ne sais pas comment on dit « Dieu » en malais : mettons « Jean-Pierre ») ! Chacun son dieu, mais il est unique ! Aux Malais musulmans seuls le droit de dire « Allah est unique » ; les malais chrétiens devant se contenter de « Jean- Pierre est grandiose » ! On rigole, mais c’est quand même grave… On est en 2010, le monde entier sait depuis longtemps que Dieu est unique, ça ne fait plus débat nulle part, surtout depuis sa mort, mais certains ne l’ont pas encore compris. Ils continuent à s’étriper pour une chose dont on se fout royalement. Encore, s’ils s’affrontaient sur la question de la vie quotidienne, sur la compatibilité de tel ou tel truc avec les commandements du Boss, je comprendrais. Mais se jeter des bombes à la face parce qu’on prétend que son dieu est plus unique que celui du voisin, je dois avoir un truc en moins, mais je ne saisis pas. Et puis, pour dire le mot « Dieu » en arabe, on dit bien « Allah », je ne vois pas comment faire autrement ! Un chrétien arabophone doit forcément dire Allah pour désigner Dieu, puisque il est unique ! C’est à y perdre son latin.


Pour en revenir au début de mon sujet, je m’étonne de ne trouver cette info que sur les sites du Figaro et de La croix. Même avec leurs moteurs de recherche internes, les sites de Libé, du Monde, de Marianne, de rue 89 ne disent rien de l’affaire. Je soumets donc cette question à ta sagacité, lecteur : pourquoi diable des journaux aussi tournés vers le monde extérieur que ces fleurons-là, ne relaient-ils pas une affaire où des musulmans incendient des églises ? A ton avis ? Bien sûr, on peut se dire que cette info redonde, qu’elle fait double usage avec d’autres où les musulmans n’ont pas le beau rôle (enfin, le rôle des gentils), et qu’il faut ménager un peu la susceptibilité de cette partie de l’humanité et éviter de la présenter comme agressive ou prise de violence. Mais d’un autre côté, je ne vois pas au nom de quoi on cacherait une information, aussi déplaisante soit-elle. Si on se plaint qu’un journal monte en épingle un fait pour des raisons d’idéologie, on peut aussi se plaindre qu’il le cache, et pour les mêmes motifs. On a entendu beaucoup de musulmans protester et se plaindre du pape suite à son discours de Ratisbonne : il avait fait allusion à un vieux débat du XIVème siècle où l'empereur byzantin Manuel II Paléologue refusait l'idée de guerre sainte et de violence en matière de religion... Les entendra-t-on condamner les incendies de Malaisie ? Leur donnera-t-on tribune dans Le Monde ? Partant de là, peux-tu me dire, lecteur, en quoi l’information en général (et celle-ci aujourd’hui) est-elle autre chose qu’un sempiternel piège à cocus ?

Précaution imprudente


Le principe de précaution est l’image la plus visible, la plus connue aussi de la nouvelle ère où nous sommes entrés : le matriarcat. Je ne sais pas si c’est la nature qui a prévu ça, ou si c’est la répartition des rôles que les sociétés humaines ont établies, mais les femmes ont ceci de différent d’avec leurs mecs : elles sont pleines de précaution. Je le sais : j’ai une mère ! Après tout, pourquoi ne pas prendre ça au sérieux : s’occuper quotidiennement des petits rend forcément prévenant, précautionneux, et l'on sait que les femmes, malgré leur "libération" et la vie moderne, s’occupent beaucoup plus des enfants que les hommes. Avoir la responsabilité de morveux toujours prompts à sauter dans le fossé, toujours à l’affût d’une connerie à faire, de préférence de celles qui font saigner, vivre en permanence avec le souci d’épargner des bobos à cette bande de sauvages, est-ce que ça ne rendrait pas précautionneux le plus flegmatique des amorphes ? Oh, je sais bien que ce que j’affirme n’a rien de scientifique, mais une simple observation quotidienne et un minimum d’expérience nous amènent à penser que les femmes sont plus prudentes que les hommes (d’ailleurs, j’ai les statistiques pour moi). Le principe de précaution tel qu’on le connaît aujourd’hui, pour aller vite et ne pas y passer vingt chapitres, peut donc être regardé comme l’extension à la société entière d’une façon typiquement féminine d’envisager l’existence. Pourquoi pas ?
Evidemment, dès qu’on parle de prudence, les casse-cous se pointent, on en arrive même à découvrir que les précautions défrisent une bonne partie de la société, et pas seulement des mecs. Plus précisément, la société travaillée au corps par le principe de précaution est portée à crier casse-cou ! dès qu’une critique s’élève. Il y a, comme ça, quelques expressions parfaitement artificielles, c'est-à-dire créées de toutes pièces par les médias, qui servent de sésame aux ahuris et qui les dispensent d’argumenter : quand un clampin affirme, par exemple, que « c’est une question de santé publique », le silence se fait immédiatement et on est prié d’opiner. Pareil pour « la justice de mon pays », dont, paraît-il, les décisions ne se « commentent » pas et en laquelle on a forcément « confiance ». Nous avons depuis peu, mais son avenir est assuré, l’étrange « violence faite aux femmes », qu’on devrait peut-être orthographier violenzfètofam tant il crépite comme une salve. Nous admirons plus rarement, mais toujours avec autant d’incrédulité, les « forces vives de la Nation », dont on ne sait si ce sont elles qui sont gonflées de peps ou si le reste du corps social paraît flapi en comparaison, enfin, nous sommes assez régulièrement bombardés de sentences ridicules, fausses et vidées de sens, mais qu’on emploie à tour de langues. Le principe de précaution en fait partie mais il a un avantage qui sème la jalousie partout : il est inscrit désormais dans la Constitution, et ça, ça se respecte !
Loin de moi l’idée de vouloir démontrer la sottise d’un principe, fût-il de précaution, fût-il inscrit dans le marbre de la hiérarchie des normes, non, d’autres s’en sont déjà chargés, avec plus ou moins de brio. En revanche, je ne résiste pas à l’envie de montrer ce qu’une application quotidienne de ce fameux principe peut avoir de burlesque, et de coûteux.
Avant d’exposer mon exemple tout chaud devant la blogosphére qui n’en reviendra pas, je précise que les militants du principe de précaution sont des militants comme les autres, c'est-à-dire aussi faux culs. Après avoir réussi à faire inscrire le principe de précaution dans la Constitution, certains précautionautes s’étonnent qu’un gouvernement ait dépensé un milliard d’euros pour acheter des vaccins contre la grippe A et qu’il se trouve aujourd’hui réduit à en brader la moitié sur Ebay. Un principe de précaution, en plus de faire bien dans la conversation et de vous permettre de poser au responsable sérieux, ça coûte de la thune.


J’habite à cinquante kilomètres au sud de Lyon. Jeudi soir, les conversations n’avaient qu’un seul sujet : la neige. On annonçait de fortes chutes de neige pour la nuit (car la neige, l’as-tu remarqué, lecteur distrait, tombe souvent la nuit, comme pour faire la surprise aux enfants quand ils se réveillent), et on s’échangeait le chiffre de 35 centimètres. Pour un lyonnais, trente cinq centimètres de neige, c’est une sorte de record (en 1990, il y en a eu un peu moins de trente en une fois, et ça fait donc vingt piges, et on s’en souvient). Pour un québécois, en dessous d’un mètre de neige, ce n’est pas vraiment de la neige, mais pour un lyonnais, c’est un coup à rester à la maison. C’est en effet ce qui s’est globalement passé : des milliers de personnes sont resté chez elles, attendant en vain ces 35 cm de neige précédant de peu l’Apocalypse. D’ailleurs, principe de précaution, les transports scolaires ont été annulés, les bus des TCL aussi, les camions de plus de 7,5t interdits de bouger tandis que la SNCF annulait certains trains. L’aéroport de Lyon, principe de précaution, décidait de ne plus faire voler les avions et fermait même carrément. Mieux : les stations de Velov (vélos en libre service) elles-mêmes ne distribuaient plus de biclous ! Pour être complet, la préfecture conseillait enfin aux gens « d’éviter de prendre leur véhicule ». Dans un tel contexte, et à moins d’habiter à 300 mètres de son boulot, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ne se sont pas rendues au taf ce vendredi, pour rien. Oui, j’oubliai un détail : à Lyon, il y a eu moins de 10 cm de neige ce vendredi.
On aurait tort de sous-estimer les conséquences immédiates d’un tel affolement : la propagande sécuritaire fait des dégâts, du genre qu’on ne voit pas d’emblée. Je n’ai aucun moyen de savoir ce que coûte cette chiasse climatophobe qui a fait serrer les miches à la moitié du département, mais je pense aux postes non pourvus, aux commandes non livrées, aux restaurants désertés, je pense aux réservations de toutes sortes annulées, aux rendez-vous non honorés, aux nounous renvoyées chez elles, enfin je me dis que tout ça a un impact économique réel, et que l’exemple lyonnais n’est qu’un exemple parmi d’autres. Encore s’il y avait eu le demi mètre annoncé, on pourrait se dire que l’activité est soumise aux caprices du temps. Mais là, et ce n’est pas la première fois qu’on l’observe, ce sont les caprices de la préfecture, du plan vigilance de mes deux, de météo France et de la Direction du Trouillomètre qui nous pourrissent l’existence, avec la complicité intéressée des médias, qui sont prêts à tout pour vendre du papier. Au sens propre, on nous prend pour des gosses. J’entends déjà le « oui, mais SI il y avait eu 35 cm de neige ? ». Eh bien, qu’on nous laisse nous empêtrer dans les embouteillages s’il doit y en avoir, qu’on nous laisse perdre quatre heures de nos existences au cul des camions, mais qu’on ne fabrique pas de la peur pour qu’au final, on perde des journées entières à glander devant les bulletins météo comme Drogo face aux tartares. Car le paradoxe de cette pantomime, c’est que le péquin affolé reste chez lui, ne prend pas sa voiture, ne va pas bosser, les routes sont dégagées par les chasse-neige mais les camions ne roulent pas, les bus ne roulent pas, les vélos ne roulent pas, les chars à bœufs ne roulent pas et nous avons le spectacle ahurissant d’un réseau routier intact, propre, accueillant, désert et inutile : personne !


J’ai déjà entendu justifier ce type de propagande alarmiste au prétexte qu’il faudrait en dire beaucoup pour que les gens, ces gros cons, se mettent à bouger un peu. On force donc le trait pour la bonne cause, on annonce une grippe aviaire dévastatrice, une grippe A phénoménale, des vagues d’attentats atroces, des canicules en veux-tu en voilà, des réchauffements climatiques époustouflants, on met la pression à son maximum parce que, en fin d’épisode, les populations soufflant de soulagement ne se souviennent plus des énormités annoncées. Mais si on se mettait à douter de la réalité factuelle des Bérézinas à venir, si, instruits par le genre d’expérience ci-dessus, les populations (ces gros cons) se mettaient à ne plus vraiment avaler les montées des eaux, les effondrements de banquise ni les disparitions des forêts, on serait bien emmerdés, soudain…

jeudi 7 janvier 2010

Minaret aux arrêts.


Je signale aux lecteurs de ce blog un article de l’excellent Abdelwahab Meddeb au sujet de « l’affaire des minarets »
Il reprend quelques éléments d’histoire propres à éclairer les raisons de la défiance diffuse contre les mosquées en Europe et, au-delà des bâtiments, de la réticence avec laquelle l’islam en général est perçu. Plutôt que d’accuser les européens dits « de souche » d’être la réincarnation de la bête immonde, il avance quelques faits qui, plaisants ou non, sont à l’origine de ce que nous sommes, de ce que nous pensons et de notre façon, certes imparfaite, de voir le monde. Meddeb est un des rares à envisager sereinement que dans un domaine aussi complexe, les « torts » ne sont pas uniquement d’un côté, et que les musulmans doivent s’interroger aussi sur ce qui, chez eux, dans leurs fondements civilisationnels, dans leur attitude, dans leurs comportements au niveau mondial autant que dans l’Histoire, peut générer méfiance, rejet ou hostilité. Il est bien sûr plus simple de désigner une partie de la population comme méchante, soumise au mal : raciste. Du reste, les imbéciles et les fumiers ne s’en privent pas. Comme cette partie de la population est aussi ce qu’on nomme simplettement « le peuple », il est ensuite assez commode d’envisager de se passer purement de lui et de ne le consulter qu’avec parcimonie, et tant qu’on n’a pas trouvé d’autres moyens de faire. On y travaille, d’ailleurs.
Au risque d’être le seul pays dans cette situation, il est désormais connu que la France n’a pas d’identité nationale. Des gens bien plus calés que moi le décrètent cent fois par jour, et signent même des pétitions pour que personne ne s’avise de l’oublier. Cependant, n’en déplaise aux modernistes, les peuples ne sont pas nés d’hier, et ils possèdent encore en propre ce qu’on pourrait appeler une personnalité. Comme toute personnalité, la rationalité et le sens de la mesure n’y ont qu’un rôle mineur, contrairement à l’Histoire et ses blessures, aux idées et fantasmes qu’elle a fait naître. C’est probablement la raison pour laquelle certains cherchent à réduire la place de l’enseignement de l’Histoire, après en avoir gommé toute référence jusque sur les billets de banque et les pièces de monnaie… Un peuple sans histoire, avatar libéral de la tabula rasa. Or, c’est peut-être à cette « personnalité » qu’ Abdelwahab Meddeb se rapporte pour essayer de comprendre, non de juger, les raisons de la coince. Etant musulman lui-même, et des plus cultivés, il est plutôt bien placé pour juger du travail qui reste à faire dans les populations musulmanes pour la grande réforme propre à rendre compatible cette religion-monde avec un monde qui a évolué et changé sans elle, parfois contre elle, en tous cas un monde dans lequel sa transcendance et sa Révélation n’ont pas plus de sens que n’importe quelle autre. Car s’il est évident que les nations accueillantes sont appelées à changer, et profondément, au contact des populations migrantes, il est également indiscutable que ces dernières ne peuvent espérer recréer sur tous les continents ce qui faisait l’identité séculaire de leurs si mignons villages d’origine. Après tout, si la foire au boudin de Saint-Hilaire-Cusson-La-Valmitte n’est pas totalement adaptée à la mondialisation qui vient, les fêtes à you-you ne le sont pas plus.
La première fois que je suis allé en Égypte, j’ai été intrigué par la promiscuité entre les églises et les mosquées. J’ai pris ça pour un exemple de tolérance, ou au moins d’un sens de la cohabitation dont nous aurions pu, nous autres Français, nous inspirer. J’avais oublié une chose importante : les chrétiens sont en Égypte depuis longtemps, depuis plus longtemps que les musulmans. C’est le rapport des forces et surtout le temps qui a permis aux différentes composantes de la société de vivre ensemble. Les égyptiens ont mis des siècles à composer une société (qui n’est certes pas un modèle) qui accepte de grandes entités plus ou moins rivales sur un mode assez pacifique. En Égypte, dit-on, entre 8 et 10% de la population est chrétienne. Seul un parfait imbécile pourrait faire une comparaison arithmétique entre ce chiffre-là et celui du nombre de musulmans en France, car ce serait justement ignorer ce qui fait la différence entre un principe, édicté dans un livre, et une réalité, née de l’Histoire. Autant il serait invraisemblable que l'Égypte musulmane, après vingt siècles de christianisme, ne compte pas d’églises ; autant il est assez cohérent que la France laïque ne soit pas encore, en moins de cent ans, couverte de mosquées.


Ce qui me plait le plus, peut-être, dans l’article de Meddeb, c’est qu’il instille une dimension esthétique à sa critique d’un phénomène que tout le monde traite sur le seul plan politique. Les minarets sont moches, voilà l’affaire. J’entends d’ici les grandes têtes responsables crier à la fadaise, hurler à la dictature du goût ! Qu’ils le fassent, rien n’y fera : les minarets resteront moches. Qui n’a pas souffert à la vue de ces petites églises néo néo néo gothiques qui pullulent sur le sol des Etats-Unis ? Qui ne souhaiterait un tremblement de terre localisé pour foutre à bas ces épouvantables églises en béton que les années 50 nous ont léguées ? C’est pareil pour ces mosquées nouvelles : elles sont laides et en ça, pas de doute, elles s’inscrivent dans une certaine modernité… Et sur la pratique de l’appel à la prière amplifié à coups de hauts parleurs, comment ne pas lui donner raison ? Pour les spécialistes auto proclamés des questions de société, soulever ici des problèmes d’ordre esthétique est une sorte d’enfantillage, le signe évident qu’on n’est pas sérieux. Je prétends, au contraire, que vouloir construire des minarets sur le modèle mal imité de la Koutoubia en miniature, revisitée par Castorama et par des architectes à lotissements, c’est une forme de sottise qui sera ressentie par les peuples autochtones comme une insulte, une forme de colonialisme. Quand une architecture s’implante telle quelle dans des pays de cultures et de climats différents, c’est qu’elle ne tient compte que d’elle-même et qu’elle se présente comme une entité étrangère que rien ne saurait changer. On s’en passera.

samedi 2 janvier 2010

Mourir du cul d’un vigile


A moins d’être totalement naïf, de sortir de l’œuf ou d’être con comme un manche, il n’est pas permis en France d’avoir une bonne opinion de ceux qu’on appelle des « vigiles », pour la bonne raison qu’ils ne la méritent pas. Dans tout corps de métier, tout groupement, il y a forcément des abrutis. Chez les vigiles, c’est l’inverse : il y a forcément quelques types bien. La plupart du temps, les vigiles sont des brutes incapables du plus petit discernement, que seules des instructions strictes, un encadrement scrupuleux et la peur du licenciement retiennent de tabasser des femmes à poussettes pour refus d’obtempérer. Attention, ce tableau n’est pas spécifique aux vigiles en tant que tels : l’ensemble de l’humanité est majoritairement composé de brutes de cet acabit mais voilà, toutes ne sont pas vigiles. Quand un comptable chez Carrefour est un gros con, il n’emmerde que ses collègues de bureau. Quand le même con est vigile, il a potentiellement des milliers de gens à emmerder : les clients.
Oh, je sais bien que les clients sont, eux aussi, des cons, par la même logique et suivant le même constat qui me faisait débuter cet article amer. Mais voilà, encore une fois : ils ne sont pas vigiles, ils n’agissent pas en groupe, ils n’ont pas d’uniforme (avec tout ce que cela implique psychologiquement chez un abruti), ils n’ont pas de chef, pas de mission, pas de matraque et, sauf pour les plus désœuvrés d’entre eux, ils ne font pas de gonflette.
Aux tristes années où j’étais étudiant, j’ai travaillé deux ans dans une boîte de surveillance. J’ai donc fréquenté du vigile, pour en avoir été un moi-même. Je peux ainsi témoigner que je n’y ai rencontré que des brutes, des voleurs, des gens sans aucune moralité, incultes au-delà de tout espoir, parfaitement abrutis par leur nature et par les trésors de mimétisme que la vie en commun met à la disposition de chacun, des crétins de la pire espèce, de celle qui écraserait sciemment un mec parce qu’il n’a pas mis son clignotant. Ce n’est pas compliqué : même à l’Université, même chez les professeurs, je n’ai jamais vu autant de cons rassemblés.
Quand notre civilisation sera détruite et que quelques survivants faméliques voudront expliquer le monde ancien avant de crever eux-mêmes, il se serviront d’une image unique, j’en suis sûr, pour résumer tout ce que nous avons inventé de laid, de dégueulasse, de foncièrement pervers et dégradant : il parleront du Supermarché. C’est un maelström des plus bas instincts de l’homme, comme même le sport professionnel ne donne pas d’exemple. Le supermarché est ce qui se fait de plus grandiose dans l’art d’être minable, et de rendre minable le reste du genre humain. J’ai connu un menuisier qui vivait assez peinard, qui fabriquait des volets, des escaliers, qui les posait chez de jeunes couples ou qui réparait sa porte à la mémé du coin. Il n’avait qu’un défaut : des amis. L’un d’eux l’a mis sur un coup fumant : fabriquer des présentoirs ou comptoirs pour Cabino. Ce con a eu le marché, il a commencé à gagner de l’argent (ou plutôt, son chiffre augmentait, en même temps que le nombre de ses ouvriers, que ses charges, que ses heures de taf, etc), il est vite devenu dépendant de son client, puisque celui-ci a exigé qu’il ne travaille plus que pour lui (raison invoquée : par ses fonctions de fournisseur fabricant, il connaissait des « secrets » commerciaux de Cabino !!), il est donc devenu aussi con et dictatorial que son maître/ client et, pour résumer sa chiante histoire, il a été lourdé au bout de cinq ans, après des investissements énormes, parce qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait aussi bien importer des comptoirs moins chers. Je ne vous raconterai pas comment il est mort : de toutes façons, tout le monde s’en fout.
Des vigiles d’un supermarché Carrefour lyonnais ont assassiné un pauvre type. Il avait peut-être fauché une canette de bière, ils l’ont interpellé et se sont assis sur lui, jusqu’à le faire mourir d’asphyxie. Selon les caméras de surveillance de ce supermarché de la mort, l’agonie a duré une bonne quinzaine de minutes. Et le pire, peut-être, dans cette atrocité, c’est que ces brutes ont probablement été inconscientes de ce qu’elles étaient réellement en train de faire. Mourir comme ça, sous les coups de la force et de la bêtise réunies, c’est la plus sordide des fins, c’est à vous glacer le sang. Mourir du cul d’un vigile de chez carrefour… C’est comme imaginer finir sa vie dans un accident de voiture et n’avoir, pour dernière image du monde, que le tablier maculé de tags d’un pont autoroutier plein de crasse.
Si l’analyse lucide de ce qu’est un supermarché ne suffit pas à rendre les gens définitivement allergiques, j’ose espérer qu’il se trouvera au moins un homme, en France, pour refuser désormais d’aller faire ses courses dans son Carrefour habituel, en pensant au local dégueulasse où on a tué un type pendant qu’à quelques mètres de là, d’autres trouvaient si pratiques ces nouvelles caisses automatiques sans caissières.