samedi 15 mai 2010

La bouche pleine contre l'intégrisme.


Dans sa théorie de la guerre, Clausewitz utilise le concept de « montée aux extrêmes », c'est-à-dire la progressive aggravation des actes qui rendent irrémédiable un conflit, l’agressivité des uns se nourrissant de l’agressivité de leurs adversaires. La France de 2010 est probablement entrée sans s’en rendre compte dans une phase de montée aux extrêmes, évidemment adaptée aux drames sans gloire que son splendide développement post moderne engendre.
Après avoir choqué treize nonagénaires qui sortaient de la messe à notre-Dame de Paris, et deux touristes Belges revenant du marché avec leurs fillettes, la Lesbian & Gay Pride de Lyon et les Commandos du Patin Public ont décidé d’une action lyonnaise. Comme ils savent pouvoir compter sur la collaboration zélée de la presse, et sur une armée de reporters ignorant qu’il se passe des choses importantes ailleurs que dans les centre villes historiques embourgeoisés, les homos démonstratifs auraient bien tort de se priver de ces happenings dérisoires où pourtant, selon, eux, se joue le sort de la liberté.
Toujours prompts à démontrer qu’ils singent en tout ce qui vient des Etats-Unis, ils nomment donc leur action d’éclat Kiss-in, locution étrange qu’on aurait bien du mal à traduire en bon français, sinon peut-être par galochade manifestante. Les étudiants des années 60 luttaient contre une guerre meurtrière en pratiquant le sit-in : les rebelles d’aujourd’hui manifestent contre le vide que notre époque indifférente leur renvoie, par un kiss-in. Bien trouvé ! Il ne s’agit plus seulement de s’asseoir pour montrer qu’on n’est pas content, il faut s’embrasser pour faire comprendre qu’on est prêt à tout.



Je me suis rendu aujourd’hui dans le quartier du kiss-in, pour voir si les choses avançaient un peu (et accessoirement pour tenter d'assister au spectacle de trente lesbiennes se roulant des pelles maousses). Hélas, la préfecture du Rhône a interdit les baisers à pleine bouche devant le parvis de la cathédrale Saint-Jean de Lyon, sans toutefois être bien sévère : il suffit que les organisateurs refassent leur demande en respectant les délais habituels. Un détail. Le kiss-in aura donc bien lieu, la semaine prochaine. Les langues cependant ne sont pas rangées sous leur palais respectifs, elles continuent de se délier pour accuser les "intégristes catholiques" lyonnais d'avoir fait pression sur la préfecture. Il s'agit donc d'un immonde travail de lobbying !!! Ciel! comment les catholiques lyonnais peuvent-ils se rendre coupables d'un si abominable forfait? Les Lesbian & Gay citizens-against-the-Catholic-crusade-for-the-rerurn-of-the-middle-age sont décidés: ils vont voir de quel velours ils se vêtent!
Mais déjà, les riverains s’inquiètent. Dans le quartier Saint Jean, on parle de provocation, de bastonnade, de contre kiss-in (qui serait organisé par un groupuscule radical qui, via Twitter, rassemble en un lieu public ses éléments pour se faire publiquement la gueule. Nommé Nut-in, cette parade hostile veut défendre le droit de chacun de faire la gueule à ses concitoyens et celui de n’être pas joyeux ensemble). Pour leur faire pièce, on parle même de l’arrivée possible d’un commando pratiquant le Fuck-in, baptisé les Enculés pour la tolérance ! Très nettement en conflit avec leurs collègues des Kiss-in, jugés trop mous, ces Enculés pour la tolérance ne reculent devant rien pour faire avancer le progrès. J’ai rencontré Kevin Pepper, leur leader charismatique, venu sur les lieux en repérage, et qui parle à leur propos de « collabos » !
« Les forces de la réaction sont au pouvoir dans cette société patriarcale qui enferme des enfants en raison de leur couleur de peau et de leur religion. Tant que la peine de mort ne sera pas abolie, que l’école ne sera pas obligatoire ET gratuite, pour tous, et que le droit de vote sera refusé au femmes, même hétéro, nous continuerons notre lutte ! Contre le fachisme d’Etat, il ne s’agit plus de s’embrasser en restant immobile, il faut s’enculer en mouvement ! C’est en débaroulant emmanchés les uns dans les autres à travers les rues étroites du quartier Saint-Jean que nous bousculerons non seulement les consciences, mais aussi les traditions et les bigotes ! Fini de rire, nous ne sommes pas de gentils homos qui se lèchent le museau entre deux éclats de rire, nous sommes de fiers enculés qui réclamons immédiatement l’ouverture d’un Grenelle du cul ! Un Grenelle pour nos rondelles ! Et fuck l’Eglise ! Et fuck le Pape ! Et fuck le maréchal Pétain ! »
Jusqu’où la montée aux extrêmes nous entraînera-t-elle ?