dimanche 7 novembre 2010

La carte du Goncourt


Dans le dernier roman de Houellebecq, ce qui étonne le plus est ce qui ne s’y trouve pas. D’abord, le bon accueil de la presse.
Après avoir tout cassé sur son passage avec ses Particules élémentaires, Houellebecq s’était progressivement rendu tricard auprès des Intelligences médiatiques qui règnent ici-bas. Pourquoi ? Sans doute pour un défaut d’humanisme déclamatoire, pour une carence de citoyenneté, un restant de pessimisme qui fait honte, au pays des droidlome et du parc Eurodisney. Déjà, au moment des Particules, on avait ici ou là déploré qu’un écrivain envisage sans broncher les manipulations génétiques et les tripatouillages de la Vie comme la solution aux malheurs des hommes et notamment à celui-ci : la mort. Le ton d’évidence pris pour annoncer la fin de ce qui nous définit tous en tant qu’êtres humains avait braqué contre lui ceux qui attendent de la littérature le repos traditionnellement dévolu aux charentaises. Et surtout, crime d’entre les crimes, Houellebecq ne faisait aucune réserve sur le sujet, n’émettait aucun doute sur son caractère inéluctable et ne permettait à aucun de ses personnages de se plaindre de la disparition de « l’ancien monde », le nôtre. Qu’un écrivain ne soit pas béat d’admiration devant l’homme nouveau qui peuple nos rues, et annonce sa nécessaire amélioration biologique pour bientôt, voilà une attitude antimoderne qui ne sentait pas bon. Il n’est pas impossible que ce soient ces accents nietzschéens du roman, promettant le « dépassement » de l’Homme et l’avènement apaisé d’une race de surhommes, qui provoquèrent l’hostilité la plus durable contre l’auteur. Et son eugénisme avait un inconvénient impardonnable, presque inconcevable aujourd’hui : celui d’être assumé.
Puis vint Plateforme et le déclenchement de la polémique. Tant qu’il traitait de broutilles comme le sort de l’humanité ou l’accession à l’immortalité des corps, Houellebecq ne gênait pas réellement les médias sur leur terrain. Mais s’immiscer dans leur pré carré sociétal et aborder des questions d’actualité, c’était prétendre parler du peuple au peuple alors que les journalistes se croient seuls légitimes dans ce rôle. Avec Plateforme, il commit l’erreur d’émettre une opinion très terre à terre sur les religions, et notamment l’islamique : il n’en fallait pas plus pour que la meute se lâche contre la baitimonde. Pour Houellebecq, il ne fut plus question alors de répondre à une interview sans d’abord avoir à se justifier de sa mauvaise pensée à l’égard de l’islam. Pire : comme il avait eu la bonne idée de « prophétiser » les attentats de Bali, on substitua très vite le fait divers à la littérature dans la façon commune d’appréhender le bonhomme.
Toute la beauté de La possibilité d’une île ne suffit pas pour qu’on reparle de littérature. Désormais, Houellebecq était devenu ce fautif qu’on tient à la gorge parce qu’il a un jour obtenu le certificat implacable de salaud (C.I.S.) : il a dérapé. On pouvait alors se contenter de rappeler qu’il trouvait l’islam con au lieu de parler de son oeuvre. Autre indice d’une position solidement établie dans l’ignominie, on pouvait dorénavant dénigrer le mec sans prendre la peine de lire son livre. On lui reprocha donc d’avoir boudé la presse et d’avoir mis sur pied pour la sortie du roman, une campagne marketing qu’on présenta comme sans précédent. Crime ! Si l’on dépensait autant d’argent dans le marketing, c’est que le livre ne valait rien ! Ce genre de tautologie fut encore une bonne occasion de ne pas voir ce qui pourtant crève les yeux : le génie littéraire. Il est probablement devenu si invraisemblable qu’un français puisse avoir du génie (en dehors d’un judoka, bien sûr, ou d’un parfumeur embagouzé) et cela contrevient tant à l’acharnement auto flagellatoire qui nous a pris, qu’on utilise les prétextes les plus navrants pour pouvoir détourner le regard.
C’est peut-être parce qu’il est lassé de tant déplaire et parce qu’il veut tenter le coup parfait que Houellebecq a écrit La carte et le territoire. Et la presse, pour l’instant, semble être tombée dans le panneau, ce qui est son rôle. On a dit que le roman est un peu mou, un peu lisse, un peu soporifique : c’est donc certain, il aura le Goncourt. Être goncouré pour son livre le plus moyen, c’est non seulement un joli coup stratégique, mais c’est aussi la moindre des choses. Le livre brille par ce qu’il ne contient pas : plus aucune allusion aux questions sociales, aux problèmes mondiaux, aux sujets brûlants. Plus de cul, non plus. La seule déclaration scandaleuse qu’il contient ne ferait pas dévier une mouche : il taille un costard à Picasso, un peintre qui a un nom de voiture et dont tout le monde se branle. On ne s’étripe plus pour la peinture depuis longtemps et il y a moins de risque à dégommer un peintre colossal qu’à vouer un rappeur aux cagouinces. Non, décidemment, si les épiciers de l’académie Goncourt veulent éviter de passer encore une fois à côté d’un écrivain considérable, ils feraient bien de donner leur prix à La carte, parce qu’il n’est pas sûr que dans l’avenir, Houellebecq refasse l’effort de descendre son art à leur niveau.