dimanche 21 novembre 2010

La fête malgré tout


Une très sérieuse étude espagnole vient de mettre en lumière un fait statistique étonnant : on ne marche jamais deux fois dans la même merde de chien. Selon les résultats de cette enquête (10000 merdes de chiens répertoriées et observées sur les trottoirs madrilènes, barcelonais et valenciens dans les six premiers mois de 2010), une merde de chien est rendue quasi inoffensive dès qu’un pied l’a écrasée. C'est à dire qu'on ne remarche presque jamais dessus. « On estime qu’une déjection de canidé moyenne réduit son POEM (potentiel d’emmerdement) de 86% dans la minute qui suit son étalement par une chaussure. Ce POEM est même réduit de 91% trente minutes après le drame. On a toutes les raisons de penser que ces chiffres augmentent encore en cas de pluie, mais les études sont encore incomplètes sur ce point », confie Luis Cordoba, chargé de la sécurité citoyenne des quartiers centraux de Barcelone.


Parmi d’autres traits, la présence de merdes de chiens sur les trottoirs des villes peut être considérée comme un caractère typiquement européen qui, à l’instar de la circulation des idées, du christianisme où des familles royales, a fait l’Europe telle que nous la connaissons bien avant Jean Monet et sa clique de technocrates vendus au grand capital mais je m’égare. Oui, autant que puisse en juger un voyageur attentif (ou distrait, mais je me comprends), sur le rapport de la coprophilie canine, les villes européennes sont des cousines, des sœurs, des jumelles. Sur ces terres de liberté, l’homme libre fait bien de regarder où il pose son pied libre. Ayant jadis conquis le monde, les peuples d’Europe sont obligés d’en rabattre sur le point de l’orgueil, et de marcher désormais tête basse, scrutant non plus les horizons en quête d’avenir, mais le bitume à la recherche des bronzes. En l’espèce, et comme du temps de Descartes, le parisien est la quintessence de l’européen moderne, le modèle, le patron d’où l’on tire les mesures.
Ceci n’a pas échappé à la mairie de Paris puisque désormais, rien de ce qui fait la vie privée des gens n’échappe à la mairie de Paris. On ne l’a pas encore dit, mais l’opération qui consiste à embaucher des clowns pour sécuriser les rues de la capitale la nuit comporte aussi un volet citoyen qui se fixe pour objectif de sécuriser la démarche des fêtards. Comme son cousin de la movida, le fêtard parisien court à la fois le risque de réveiller les riverains en gueulant comme un veau, il risque de recevoir un bassine d’eau de vaisselle sur la gueule pour la même raison, d’être l’objet d’une plainte parce que ses rires dérangent ceux qui s’amusent plus discrètement, il court aussi le risque de casser sa grande gueule en glissant sur une merde de chien où le pied de l’homme n’aurait pas encore mis son empreinte. C’est la raison pour laquelle Ernest Ringeard, le conseiller Vivrensemble de Delanoë a embauché dix-huit jeunes chômeurs pour remplir la mission de la dernière chance : désamorcer ces bouses en marchant dedans les premiers. Sur le coup des 18 heures, disposés en binômes par les rues des cinquième et onzième arrondissements, les brigades d’écraseurs de fèces vont donc traquer le colombin intact pour, en l’écrasant, le réduire au rang de risque statistique mineur, et laisser libre champ à la fête. L’équipement de pied de ces éclaireurs est assuré par un atelier de chausseurs associatif qui a permis à une équipe de dix savetiers roumains d’obtenir un contrat de travail de six mois en toute légalité. « Le partenariat, c’est l’axe majeur de notre politique solidaire », rappelle Bertrand Delanoë. De son côté, Ernest Ringeard rappelle que « le droit à la sécurité et le droit à la fête ne sont pas incompatibles. C’est ce que veut démontrer l’équipe municipale et, bien sûr, il nous faut refuser toute tentation de laisser-faire libéral en la matière. Puisqu’on n’a pas réussi à apprendre aux chiens à se retenir vraiment, la diminution du risque lié aux déjections fait désormais partie des engagements forts de la mairie de Paris. Evidemment, nous regrettons que les propriétaires de chiens ne soient pas plus sensibles aux règles élémentaires du vivrensemble, et nous continuerons nos démarches pédagogiques pour les y amener. En attendant, il aurait été irresponsable de ne pas prendre toutes les mesures pour que les nuits parisiennes ne soient plus le théâtre d’événements qu’on a trop vus par le passé, et pour que toutes et tous puissent exprimer dans la fête et les réjouissances responsables le talent convivial qui fait la réputation des habitants de Paris depuis toujours ».