dimanche 26 décembre 2010

L'ange des trous du cul


Quand on entend une Christine Lagarde soutenir la « liberté d’expression » de Julian Assange, il est recommandé de se méfier. D’abord, parce que c’est Lagarde qui parle, mais aussi parce qu’on a du mal à comprendre pourquoi lier ensemble Wikileaks et liberté d’expression. Une des spécialités des gens qui nous gouvernent est désormais de dire n’importe quoi à n’importe quel sujet, et de ne jamais renoncer à une parole démagogique de plus. Or, la position d’Assange est si manifestement celle de Robin des bois qu’il faudrait être une sorte d’ogre pour tenter de l’enfoncer. Lagarde s’en garde donc.

Pourtant, ce que fait Julian Assange n’a pas grand rapport avec la liberté d’expression. Il veut plutôt interdire aux divers pouvoirs la liberté de ne pas s’exprimer et celle d’agir en dehors du champ médiatique. Pour lui, s’exprimer est non plus un droit, mais un devoir sans riposte. Le monde gouverné par les Julian Assange de tout poil consisterait à tenir une conférence de presse chaque fois qu’on termine un entretien avec quelqu’un, et à balancer sur son compte ce qu’on en pense vraiment. Pas de place pour la dissimulation, la tactique, la feinte, le mensonge, la décence, la délicatesse, la retenue, Assange veut qu’on y aille à fond ! Droit non seulement dans ses bottes, mais aussi dans celles des autres ! Comme tout bon militant qui se respecte.
Présentée comme la vertu moderne devant être appliquée de force aux mœurs politiques et au monde de l’économie, cette Transparence est censée protéger le citoyen. Si un imbécile veut croire qu’un principe inquisiteur sera un jour appliqué avec rigueur aux puissants tout en laissant les faibles tranquilles, qu’il ne s’en prive pas. Mais, par pitié, qu’il n’essaye pas de se faire passer pour autre chose qu’un terrible idiot.

Contraints de « tout dire », les dirigeants seraient donc enfin dans la position de devoir rendre des comptes au peuple et, par la grâce du Net, presque en temps réel. Les démocraties parlementaires avaient inventé le principe de la responsabilité politique des gouvernants ; en voici la version Internet. Bientôt, Wikileaks proposera de recomposer les gouvernements d’un simple clic : le ministre n’a pas été transparent, il est viré ! C’est le vieux rêve de la souveraineté populaire qui renaît, avec l’infaillibilité du peuple et le mandat impératif. On va rire.
Bien sûr, personne n’essaie de nous expliquer comment mener une négociation internationale sans prendre en compte les intérêts des parties, les rapports de forces, sans chercher le compromis, sans mener des tractations secrètes, sans abandonner une position pour en conserver une autre, etc. Dans le monde des Yaka Faukon, l’intérêt général est unanimement identifié, reconnu, et tout le monde déferle en sa direction comme un seul homme : la paix, la concorde, la fin des haricots. On mène une négo avec la ligne bleue des Vosges en ligne de mire, et l’horizon radieux de l’humanité comme coucher de soleil. Formidable ! Seulement voilà, dans la réalité, il n'est pas impossible que la paix soit la continuation de la guerre en mode mineur, et l’intérêt des nations, des peuples, des blocs économiques, ça existe. Assange voudrait que tout cela s’efface devant l’impératif ultra moral de dire la vérité, et rien qu’elle. Et, l’ayant dite, il en attend le nirvana, au bas mot, la fin des maux. Comment peut-on être aussi bouché ? Comment être à ce point dépourvu de psychologie ? Mystère.


Par son faciès comme par son attitude, ce branque me rappelle Tintin, que déjà gosse je prenais pour un dangereux maniaque : aucune souplesse. Pour lui, la supposée vérité a un statut monolithique imparable devant se suffire à lui-même. Or, un étudiant en journalisme de première année sait déjà que la vérité est une construction qui n’a rien de pur (ce qui ne signifie pas qu’elle soit l’égale du mensonge, ou de l’erreur). La vérité, comme le « fait historique », c’est une proposition ayant suffisamment de références pour tenir le rôle de vérité, jusqu’au prochain épisode, jusqu’à la prochaine critique. Et surtout, vérité et mensonge sont des notions dynamiques qu’il faut jauger en prenant en compte le temps. On ne demanderait pas à un joueur de poker d’annoncer en permanence et en toute transparence les cartes qu’il a en main… D’ailleurs, la meilleure preuve que le mensonge et la dissimulation sont utiles, c’est la structure et la façon d’agir de Wikileaks elle-même ! Essayez de savoir précisément qui dirige la boîte, comment elle procède et combien d’argent elle brasse, pour voir… Wikileaks utilise le secret et le cryptage pour promouvoir la Transparence. Pour éviter le sophisme, on dira que ce sont les circonstances qui la poussent à agir ainsi, et on aura quand même démontré que les circonstances, ça compte. Si ça compte pour Assange, ça peut compter pour les diplomaties du monde, non ?

Je ne fais pas partie de ces gens qui tombent sur la Transparence à bras raccourcis. Le principe d’utiliser les fonds publics à bon escient, par exemple, et de permettre un contrôle de l’emploi qui en est fait, il me semble difficile de s’y opposer. Mais il y a loin entre la surveillance des finances publiques et le marquage des politiques « à la culotte » que Wikileaks prétend faire au nom du peuple qui, bien sûr, ne lui a rien demandé. Quand on en est à balancer sur la place publique des notes diplomatiques, ou des documents relevant du secret de l’instruction (affaire Dutroux), on change de catégorie, on arrive à un système généralisé d’inquisition permanente visant à rendre impossible toute action en dehors du champ public. Le monde doit être médiatique, nous dit-il en substance, ou cesser. Il me fait penser aux délateurs « pour-la-bonne-cause » qui menacèrent de révéler l’homosexualité de personnalités publiques ayant jusque là estimé meilleur de la cacher. Pour ces enculés hier comme pour Assange aujourd’hui, rien ne mérite d’échapper à la médiatisation, tout le monde doit tout savoir sur tout, et sur tous.

Si Assange est connu, ce n’est sûrement pas parce qu’il est le premier à révéler des choses cachées au public. C’est plutôt la méthode massive qu’il emploie et la chambre d’écho mondial que représente Internet qui font la nouveauté de Wikileaks. Depuis l’émergence du Net, on nourrit le fantasme de l’information en direct, c'est-à-dire pouvant se passer de médiateurs (les journalistes, en gros). La position de Wikileaks ressemble beaucoup à l’avènement de ce fantasme et c’est probablement une des raisons du mouvement de sympathie qu’elle recueille. Et quand on vit en France, on est bien forcé de reconnaître que la perspective de voir les journalistes pointer en masse au chômage a de quoi enthousiasmer ! Si les fumiers qui nous servent la messe quotidiennement pouvaient fermer leurs gueules une fois pour toutes, on se sentirait déjà mieux ! Un problème demeure, cependant : les journalistes nous ont tellement menti que même en faisant le contraire, même en les exilant sur Mars, on n’est pas sûr de s’approcher de la vérité ! Et puis, l’information n’est pas qu’un piège à cons, c’est aussi la colonne vertébrale de la société mondialisée, c’est le plus fort élément de pouvoir actuel. Autant dire que le fantasme d’une info que les individus traiteraient « en direct », voire « manipuleraient », (voire « comprendraient »), en un mot : d'une information démocratique, c’est de la grosse blague pour enfant de chœur, Wikileaks ou pas.
Enfin, on aime aussi Assange d’une façon bassement poujadiste : on est content que Wikileaks « balance » des trucs sur les puissants, sans égards pour les enjeux, les conséquences, les circonstances, les arrières pensées, etc. Etant désespéré par le spectacle du monde, on applaudit au fouteur de merde, même si cette dernière a toutes les chances de nous retomber sur la gueule. Un néo nihilisme de plus. C’est l’option « pirate-friendly », qui remplace pour une jeunesse désœuvrée les aventures outre-mer des nos arrières grands-parents. C’est l’activisme « hacker » qui agit pour le Bien avec les armes de l’ennemi, bigre ! C’est le saint qui assassine les méchants pour en dénoncer la violence ! C’est le bobo geek qui accède à la propriété en rêvant table rase !
Assange ne pouvait tomber mieux, et son nom ressemble à un programme de séduction : c’est bel et bien l’ange des trous du cul.

mercredi 22 décembre 2010

Le cinéma à coups de marteau


Ainsi, un acteur noir va jouer le rôle d’un dieu nordique dans un film à la con ? L’acteur britannique Idris Alba va en effet tenir le rôle de Heimdall (dont le nom signifie… dieu blanc) dans le film Thor, à paraître bientôt. On se doute bien que les producteurs du film n’ont pas trouvé mieux pour qu’on parle de leur chef d’œuvre dans un gros beuze. De ce point de vue, ils ont réussi leur coup, comme on peut le dire quand un détrousseur de vieille dame parvient à s’enfuir.

Je n’ai évidemment rien contre les acteurs noirs, pas plus que contre les dieux nordiques à grosse matraque. J’ai même une nette préférence envers les premiers, je l’avoue. Mais, au-delà de l’effet polémique recherché, on arrive quand même ici à une forme d’absurdité du plus gras comique. Au nom de l’indifférenciation de rigueur, fera-t-on jouer le rôle de Michel Petrucciani à Depardieu ? Dans la prochaine bio de Marie Curie, appellera-t-on Sébastien Chabal pour incarner la savante ? Et ce con de Clint Eastwood, pourquoi diable est-il allé chercher Morgan Freeman pour représenter Mandela ? Pourquoi ne lui a-t-il pas préféré Danny deVito ?

On connaissait les pseudos historiens qui tentent de faire passer les pharaons d’Egypte pour des Noirs africains (malgré Néfertiti, entre autres, dont le buste polychrome très blanc peut être admiré à Berlin). On va désormais se farcir une autre forme de révisionnisme, certes moins dangereux mais tout aussi pervers : celui qui consiste à imposer des fantasmes contemporains sur des mythologies anciennes, et bientôt sur l’Histoire. Je suis sûr de moi : on aura droit à un Charlemagne métis, à une Jeanne d’Arc asiatique, à un Gengis Khan Breton. Mieux : on verra Churchill incarné par Madonna, résistant de tout son britannique entêtement à un Will Smith déguisé en Hitler, tandis que dans sa furie de tout mélanger, le néo-cinéma moderne tournera la prise de Constantinople par les Mexicains et la découverte de l’Amérique par l’armée de Bourbaki.
On dit que les jeunes n’aiment plus l’histoire parce qu’ils la trouvent compliquée ? Ils vont se régaler.