lundi 28 mars 2011

Voyage au bout de la merde.


Pour bien marquer son mépris des toubibs, et surtout pour se venger de celui où les braves gens tiennent les poètes, Léon Bloy ne manquait jamais de rappeler que, tous comptes faits, un médecin est quelqu’un qui passe quarante ans de sa vie à renifler des pots de chambre. Le médecin, prince des bourgeois, jouit d’une estime générale qui trouve pourtant son origine dans l’étude des fèces et les analyses de glaviots, il est bon de s’en souvenir. La journée d’un médecin ? Quand il a bien tâté des viandes flasques, qu’il a curé trente litres de pus et mis son pif dans plusieurs entrejambes, le médecin sort de chez lui, ganté de cuir, il prend place dans son 4X4 Audi noir et rentre chez lui en homme respecté. Le dentiste, quant à lui, dont la situation est un autre sujet d’envie générale, aura passé huit à dix heures avec ses mains fourrées dans la bouche de parfaits inconnus.
Lyon, ville bourgeoise s’il en fut, tient à marquer son enthousiasme pour ces utiles professions. Lyon tient également à être de son temps, c'est-à-dire à sacrifier au culte ludique dans l’orthodoxie la plus impeccable. Une association quelconque va en effet installer un côlon de 20 mètres de long sur la place de la République, il fallait bien ça. Un côlon de vingt mètres, un côlon rose gonflable dans lequel les Lyonnais et les badauds du monde entier sont invités à pénétrer ! Samedi 2 avril, en plein centre de la capitale des Gaules, le promeneur aventureux pourra faire un tour au tréfonds d’un cul géant et prendre des photos, si le cœur lui en dit. Après avoir supporté des trouduc’ durant toute la semaine, il s’agira pour le promeneur anonyme de prendre conscience du danger qui se tient tapi en son propre fondement et, dans un geste décidé, d’aller se faire ausculter le boudin chez le médecin de son choix. Car, en effet, nous sommes menacés. Qui, d’ailleurs, l’ignore encore ? Nous sommes menacés par l’air ambiant, les radiations japonaises, l’islam radical, les pesticides dans les boîtes de thon, le Front national, les accidents de bagnoles, la cigarette, la graisse saturée dans les Pepito, la crise du vivre-ensemble, la déforestation, le vieillissement européen, les Roms, la mort, l’américanisation, les traders et, depuis peu, le cancer du côlon. La menace nous mord le cul, oui ! et pour bien se la figurer, rien de tel qu’un petit tour dans un côlon de plastoc, faute de mieux. Et en famille, s’il vous plait ! Car, si la menace est bien là, sournoise, il convient de garder le sourire et surtout, de ne pas se prendre au sérieux. Enfants bienvenus ! Si Jonas fit un tour dans le ventre de la baleine pour renaître trois jours plus tard, le petit Kevin n’aura d’autre choix que de disparaître un instant dans un intestin maousse pour entrevoir in situ le sens de la vie qui l’attend.
Après tout, l’époque est ainsi : directe. On nous enjoint partout d’être nous-mêmes, de ne pas mentir, d’être vrai, d’exprimer sans ambages ce qu’on a à dire, de renoncer à la honte. Il faut appeler un chat un chat, pas vrai ? Alors, allons-y pour le côlon géant, place de la République ! On frémit quand même à l’idée qu’une autre association humaniste puisse un jour organiser une expo ludique sur le thème de la prévention des hémorroïdes. Serons-nous obligés de passer en colonne par deux, au son de la Marseillaise, dans l’anus géant érigé sous l’Arc de triomphe ?

Le XXième siècle sera colorectal, ou il ne sera pas !