mardi 26 juillet 2011

Contre la discrimination, discriminons.



A certains égards, l’affaire DSK est une répétition de ce que deviendra la France d’ici vingt ans, si les partisans du communautarisme l’emportent sur les républicains pur sucre.
Au départ, il s’agit d’une plainte d’une femme de chambre contre le patron du FMI. Curieusement, toutes les voix, en France, qui dénoncent à longueur d’année « l’essentialisation » consistant à traiter les gens par catégories (LES Arabes, LES Juifs, LES Noirs) ne se sont pas gênées pour essentialiser LES femmes de chambres, LES mères célibataires, LES Noires, LES hommes, LES puissants. Oui, soudain, la parole s’est libérée, comme on dit, laissant voir les donneurs de leçons tels qu’ils sont : de parfaits hypocrites. Soudain, les hommes devinrent des violeurs, des batteurs d’épouses, les femmes noires devinrent des victimes, les procureurs américains devinrent des héros, ou des salauds (selon les opinions), les femmes du monde entier devinrent des biches pourchassées et les féministes devinrent des exemples de courage. On a essentialisé à tour de bras, on s’est vautré dans l’essentialisation comme des pourceaux. Les mêmes qui expliquent qu’on ne peut pas parler des gens selon la couleur de leur peau ni selon leur origine s’en sont donné à cœur joie dans la réduction de ces mêmes personnes à ces deux catégories. Mais, attention : pour la bonne cause !
A un moment, le français fut épaté de ce qu’aux Etats-Unis, au moins, la Justice ne plaisante pas avec le sexe. Et chacun de se dire que « c’est pas en France qu’on aurait vu ça » ! Qu’un homme puissant soit amené à répondre de tentative de viol, vraiment, le Français, ça l’a scié… Puis, les mêmes qui ne juraient que par l’indépendance et la rigueur de la Justice made in New York se sont mis à faire l’inverse : le procureur qui révèle les mensonges de la plaignante, ça ne pouvait être qu’une histoire d’intérêt, de lobby, de pression. Bref, autant le dire tout de suite : si on veut conserver un peu de l’humanisme qui est en nous et continuer d'aimer son prochain, il faut éviter de discuter de cette affaire avec qui que ce soit. Trop d’imbéciles.

Comme je l’ai déjà dit, un procès n’est jamais qu’un cas unique. On juge un individu pour des actes et, si l’on veut éviter la grandiloquence autant que l’erreur judiciaire, on se gardera bien de juger quiconque « pour l’exemple » ou pour racheter des injustices par ailleurs impunies. Ainsi, les simplettes d’esprit qui tentèrent de faire passer les femmes comme victimes par essence, ne se gênaient pas pour en tirer les conclusions logiques : elle n’a pas pu mentir, il faut respecter sa « présomption de véracité », donc DSK est coupable. Heureusement, depuis les derniers développements de l’affaire, Osons le féminisme semble s’être transformé en Osons-fermer-notre-grande-gueule. C’est toujours ça de pris.
Mais la France, décidément, n’est pas encore tout à fait américaine. Oui, malgré les vacheries que j’ai eu l’audace de lancer sur mes compatriotes en introduction, je suis bien obligé de convenir que la foire aux conneries s’est un peu calmée, en France, depuis que DSK est redevenu un être humain presque comme tout le monde. Même Gisèle Halimi s’est tue ! Aux Etats-Unis, en revanche, la rage justicière ne s’arrête pas à un détail aussi mince que l’innocence de l’accusé. Non, il faut encore que l’accusé soit innocent de la couleur de sa peau.
Comme toute maladie, le communautarisme produit ses effets sans état d’âme : les Noirs « défendent » donc les intérêts des Noirs, et les Blancs, ceux des Blancs. Il ne s’agit plus, dès lors, de savoir où se trouve la justice ni l’intérêt général, il s’agit de se serrer les coudes entre soi. C’est ainsi qu’on voit se former des manifestations de Noirs pour exiger que le procès de DSK ait lieu. Bill Perkins, sénateur noir, endosse même le rôle de défenseur de la communauté noire, ce qu’il est d’ailleurs très exactement ! Ils exigent le procès non en raison de leur goût pour la justice, mais parce qu’ils pensent qu’un procès sera favorable à une femme noire. Si madame Diallo avait accusé de viol un homme noir, croyez-vous que le sénateur Perkins serait venu froncer le sourcil devant les caméras de télévision ? Et si madame Diallo était une femme blanche, les belles âmes de Harlem, soudain devenues féministes, se seraient-elles manifestées ? Non. Si des manifestations ont lieu et si l’on se démène pour Diallo, c’est pour une raison d’ordre tribal : elle fait partie de la famille.
Le communautarisme et le racialisme sont tellement vivaces, là-bas, que personne n’est plus choqué quand un groupe de Noirs, sénateur en tête, demande et exige. Que l’on veuille qu’un procès ait lieu, pourquoi pas, mais que ce soit des Noirs qui le demandent, et uniquement des Noirs, ça donne aperçu de ce que devient la justice quand les individus sont intrinsèquement rattachés à une communauté ethno-raciale, qu’ils le veuillent ou pas.



Pendant ce temps, chez nous, des activistes font campagne pour l’adoption de statistiques ethniques. Dans un article qui ne le montre pas à son avantage, un certain Kamel Hamza, président d’une « association nationale des élus locaux de la diversité », nous raconte son récent voyage aux Etats-Unis où, affirme-t-il, le meilleur des mondes est déjà bien établi... La langue de bois n’ayant aucun secret pour lui, il débite une quantité d’insanités malhabiles, propres à le faire entrer rapidement dans le Top 10 des Très Grands Comiques, chouchou des médias. Ce type a au moins le mérite d’être décomplexé, ce qui est toujours un avantage pour ses adversaires. Il affirme qu’aux Etats-Unis, des élus issus de la diversité « ont porté plainte pour que le redécoupage électoral soit plus représentatif des minorités ethniques. Ils ont réussi à sensibiliser la population sur l’idée de «voter pour quelqu’un qui vous ressemble». Ce qui n’est pas le cas en France. » Ce qu’Hamza souhaite, il le dit, il le proclame sans ambages, c’est qu’on lui réserve un corps électoral à lui, ethniquement pur, pour simplifier ses réélections futures ! Que les Blancs votent pour des Blancs, que les Noirs élisent des Noirs, et que les Arabes restent entre eux : immense progrès, auquel on doit reconnaître que la République Française n’avait pas pensé.

Je me souviens d’une réplique de Robert de Niro, dans Brazil. A quelqu’un qui a peur des terroristes (parce que les médias en font leur sujet continu), il demande : « mais toi, un terroriste, tu en as déjà vu ? ».
Les statistiques ethniques, c’est la même chose. Leurs partisans posent comme base de la discussion que les discriminations existent, qu’elles sont « d’ordre ethnique » (lire : racisme) et qu’elles sont les seules explications possibles au fait qu’il n’y a pas dix pour cent de députés d’origine arabe au Parlement, par exemple. Tout est fait pour qu’on ne discute même pas de ces axiomes pourtant bien branlants. Et, bien sûr, si ces discriminations existent, il faut des stats ethniques pour en prendre la mesure. Faisons comme Robert de Niro, demandons-nous si ce qu’on nous dit est vrai.
Basons-nous, par exemple, sur le rapport du CREST (Centre de Recherche en Economie et Statistique) de mars 2011, portant sur l’évaluation de l’impact du CV anonyme (CV qui ne comporte aucune mention du nom, du prénom, de l’adresse ni de la date de naissance du candidat). Ce rapport établit clairement que les recruteurs recrutent par « homophilie », c'est-à-dire qu’un homme recrute plutôt des hommes, une femme fait de même avec les femmes, un jeune avec les jeunes, etc. Dans cette perspective, il est probable qu’un Blanc a tendance à recruter des blancs, et un Noir des noirs. Or, si la grande majorité des recruteurs est composée de Blancs, il est mécaniquement probable qu’ils recruteront « plutôt » des blancs. Il s’agirait alors non pas de racisme, mais d’un effet mécanique dû au grand nombre des acteurs en présence.
Cette « homophilie » est quantifiée, et devient très instructive : « Lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont une chance sur 27 d’être reçues en entretien et les hommes une chance sur cinq ». Cela revient à dire que dans ces circonstances, les femmes ont 3% de chances d’être recrutées, et les hommes 20%. Bigre ! Le clou du spectacle arrive quand on aborde les différences ethniques : « Avec des CV nominatifs, les candidats issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, tandis que le reste de la population a 1 chance sur 8 ». C'est-à-dire 12% pour les « de souche » et 10% pour les autres. Vous avez bien lu : la différence de traitement selon l’ethnie est insignifiante, tandis que celle entre les hommes et les femmes est gigantesque ! La différence de traitement selon l’ethnie est donc hors de proportion avec ce qu’on raconte dans les médias, avec le discours dominant, avec les accusations de racisme endémique qui gangrènerait la France, et les jérémiades des victimes professionnelles qui vont avec.
Mais ce spectacle a un second clou, encore plus formidable, que voici : quand le CV est anonyme, cette fois : une chance sur 6 pour les femmes, une chance sur 13 pour les hommes. La première tendance (homophile) est donc inversée. Mais pour les candidats « issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS », on passe de 10% de chance d’obtenir un entretien à…4% ! SCANDALE ! C’est donc quand les recruteurs connaissent le nom et l’origine de Mohamed qu’il a le plus de chance de trouver un boulot ! Mais alors, où est passé le racisme congénital des Français ? Si on leur file un CV anonyme, s’ils jugent donc « sur pièces » et non en fonction de leurs épouvantables préjugés, ils divisent par deux et demie les chances du candidat ! Il y a de quoi se les mordre, non ?
On peut trouver quelques explications à ce phénomène, mais ce n’est pas mon propos. On est en revanche obligé d’admettre qu’il n’y a pas de discrimination à l’embauche basée sur l’origine ethnique en France. On est obligé de l’admettre, sauf à nier les conclusions de cette étude. T’en as déjà vu, toi, des terroristes ?



Mais, chacun l’aura remarqué, ce que j’avance est paradoxal : je m’oppose aux statistiques « ethniques » MAIS je me base sur les conclusions d’une étude « ethnique » pour démontrer qu’elles n’ont pas d’objet ! C’est une absurdité circulaire, c’est la politique de la France livrée aux Marx Brothers, c’est l’Eternel retour de la galéjade !
En fait, l’enjeu des « statistiques ethniques » ne se situe pas là. Il ne s’agit pas de quantifier les discriminations ethniques dans un domaine ou dans un autre. Ça, au fond, tout le monde s’en fout. Et d’ailleurs, comme le montre l’étude du CREST, on peut bien prouver qu’il n’y a pas de discrimination, ça ne diminue en rien le zèle des militants antiracistes amateurs de stats raciales. L’objectif final, c’est la partition d’une nation en groupes, en communautés, en tribus. C’est aussi, bien sûr, la nouvelle donne politique qui irait avec (collèges électoraux séparés, ou découpage électoral racial – qu’on appellerait autrement, tu parles !). C’est, si l’on regarde loin en délaissant les détails qui ne font qu’obscurcir le tableau, une véritable passion racialiste qui s’exprime, un désir profond de régression tribale fondée sur un entre soi primitif, c’est une profonde haine symétrique de l’autre et de soi (honte d’être victime et ressentiment d’un côté ; honte d’être raciste et militantisme xénolâtre de l’autre). Quand la mondialisation des échanges laissait les peuples dans leurs contrées d’origine, quand les migrations n’étaient pas très massives et surtout quand elles n’avaient pas encore produit leur effet de cumul, il était « facile » de détester les étrangers. C’était une tradition sans conséquence. Les étrangers, c’était ceux qui habitent de l’autre côté de la frontière, de la mer, de l’autre côté du monde, ces ploucs, ces couillons ! Maintenant que la mondialisation s’emballe et que les peuples s’interpénètrent comme jamais, l’étranger habite la maison d’à côté, on ne peut plus le considérer comme une abstraction. Lui-même, cet étranger, venu ici pour gagner sa vie, s’aperçoit bientôt qu’il doit abandonner une grande part de ses habitudes, de sa « culture d’origine ». D’où les revendications particulières, d’où les lieux de culte, d’où la viande halal, d’où le voile, d’où un jour la charia, c’est mécaniquement prévisible. Contrairement à ce qu’on entend souvent, la mondialisation et les migrations ne produisent pas la peur et le repli uniquement chez les populations d’accueil. Les déplacés aussi aspirent au communautarisme parce qu’ils sont déboussolés par la perte de leurs repères, par l’obsolescence soudaine de leur mode de vie, de leurs façons de penser, de leur vision de l’avenir, du rôle des parents dans l’éducation. Comment, sinon, expliquerait-on que leurs enfants deviennent soudain massivement délinquants ?
Dans son excellent « Les yeux grands fermés », Michèle Tribalat défend et réclame des statistiques ethniques. Ses arguments semblent frappés au coin du bon sens, et par certains côtés, ils le sont. Mais Tribalat néglige les conséquences de ce changement, y compris les conséquences psychologiques. Déjà bien assez vivace, le communautarisme serait renforcé par une lecture systématiquement racialisée des problèmes sociaux, que les statistiques ethniques permettraient. Comment en serait-il autrement ? Autoriser des stats ethniques, c’est renforcer la conscience de groupe et faire la promotion des origines, ces boulets. Tout cela au détriment du sentiment d’appartenance nationale.

La difficulté de la position anti communautariste vient de ce que la communauté est un mode d’organisation « naturel » à l’homme. Il est parfaitement humain de vouloir vivre au milieu de gens qui partagent votre mode de vie, votre langage, votre histoire, vos codes sociaux, votre façon de faire la bouffe, etc. Les étrangers se regroupent en quartier (et on les y regroupe) depuis l’Antiquité. C’est à une tendance bien « naturelle » de l’homme que l’on s’oppose, quand on supporte l’idée de nation (au sens révolutionnaire français du mot). Les Etats-Unis sont une nation composée dès l’origine de populations différentes et toutes immigrées ; par la même logique, c’est le pays des communautés. Mais ce qui est logique et explicable pour les Etats-Unis ne l’est pas pour la France. Il n’y a pas, aux Etats-Unis une population ayant conscience d’être « là » depuis Jules César (que ceci soit vrai ou pas), à part les Indiens, noyés sous la masse. Ce qui a fonctionné là-bas ne pourra que faire exploser la nation ici, surtout dans une époque où la nation a honte d’elle-même, de sa nature, de son histoire, de ses principes et de ses réalisations. Quand on s’oppose au communautarisme et à ses méthodes, on s’oppose à ce risque. Le racisme n’a rien à faire là-dedans, n’en déplaise aux imbéciles et aux faux-culs.

Si on accède aux désirs des gens comme Kamel Hamza, si l’on tronçonne les populations en fonction de la couleur de la peau, il faut s’attendre à ce qu’en 2040, des processions « ethniques » viennent manifester pour soutenir la Nafissatou d’alors, coupable ou victime, qu’importe. On avait la justice de classes, on lui aura substitué, comme lors de l’affaire O.J. Simpson, la justice de races.

mardi 19 juillet 2011

Rendez-nous Mohamed


Avant même ma naissance, des musicologues et des électroniciens travaillant sur les nouveaux instruments de musique, cherchaient à rendre les machines capables d’imiter les sons acoustiques. On rêvait qu’un jour, un synthétiseur pourrait reproduire non seulement le son d’un violon mais aussi celui du frottement de l’archet et, pourquoi pas, le léger bruit que produit le doigt humide quand il quitte trop vite une corde. On s’échinait à mettre en équation le son soufflé d’une note de saxophone, celui plus grêle de la clarinette et la bonhomie du trombone à coulisses. Les crash, les boum, les clings et les fla de la batterie avaient vocation, eux aussi, à finir dans une boîte à rythmes, à la portée d’un enfant de cinq ans. Parmi les plus grands chercheurs de l’époque, parmi les plus radicaux visionnaires de la musique électronique, personne n’aurait imaginé qu’un jour, les êtres humains trouveraient fun d’imiter eux-mêmes, avec la bouche, les sons d’une boîte à rythmes. Personne n’aurait imaginé les chanteurs BeatBox. Depuis les automates de Vhttp://www.blogger.com/img/blank.gifaucanson, l’humanité avait fabriqué des machines reproduisant ce que fait la nature. L’homme moderne trouve plus amusant de reproduire ce que font les machines… Ce n’est plus la nature qu’on prend comme modèle, mais les machines, pourtant conçues à l’origine pour imiter la nature. C’est comme ça, les choses changent…

En matière de noms et prénoms, c’est la même chose : on fait tout à l'envers. Quand nos ancêtres transformaient sans hésiter Buckingham en Bouquinquant, nous trouvons aujourd'hui très normal de prénommer un enfant Lucas (voire Louka !) au lieu de… Luc. Nous préférons l’apatride Matéo au biblique Mathieu, l’incompréhensible Hugo au très médiéval Hugues, nous préférons cette sotte d’Ynès à la sage Agnès, désormais frappée d’obsolescence. Vous voulez que la petite s’appelle Claire ? Au fou ! Elle s’appellera Clara, comme papa ! Les anciens s’affublaient de prénoms français, c'est-à-dire de prénoms venant de n’importe où mais francisés, roulés sous la langue d’ici. Les modernes ajoutent un O ou un A aux prénoms franchouillards, pour les faire sonner sud
Mais ce n’est pas tout. Imaginons un abruti. Il s’appelle Brouchardon, par exemple. Il sort de la Bourgogne comme Ève sortit d’Adam. Pour un peu, il roulerait les R. Mais voilà que Brouchardon se met en tête de fonder foyer avec la fille de Planpane, le gars du Jura, l’étranger. Une fois la chose faite, qui comprendra ce qui pousse le Brouchardon et la Planpane à appeler leur premier enfant Kylian ou Timéo, Maèlys ou Louna, Lilou, Noha, Yanis, Lena ou Rayan ? Qui expliquera les Noam, Ilhan, Titouan, Ilyes, les Maya, les Sofia et les Kenza ? Qui aura la force d’explorer ce gouffre grouillant du Grotesque ? Ça donnera quoi, ça donnera qui, Rayan Brouchardon ? Ça parlera quelle langue, ça se souviendra de quoi ? Et Yanis Planpane, quelle tête de con ça deviendra ?



Dans les années 60, l’industrie du disque naissante nous fourguait des « vedettes » de seconde main, incapables de produire quoi que ce soit d’autre que du plagiat, et encore, du mauvais. Un peu comme aujourd’hui avec les rappeurs, les « artistes » d’alors commençaient par se mettre un masque d’Ailleurs : ils changeaient leur noms. Claude Moine devenait Eddy Mitchell, Richard Btesh se changeait en Richard Anthony, la petite Annie Chancel se transforme en Sheila tandis que le plus drôle de tous, Jean-Philippe Smet, s’incarne en Johnny Hallyday pour l’éternité. Ainsi armés, nos fers de lance adapteront débilement des succès américains souvent pitoyables en se faisant passer pour d’autres. Avec leurs noms en forme de réclame, leurs noms de boissons gazeuses, ils vont se charger de vibrer avec leur époque, c'est-à-dire comme des glands. Comme les costards à la papa, un nom français vous condamnait à la ringardise, tandis qu’un blaze made in engliche faisait de vous un type dans le coup. On a vu ce que ça a donné.
Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les « stars » de mes deux qui se griment le prénom, c’est devenu la règle commune, même pour les gosses d’instits. Les industriels de la musique populaire avaient au moins un but : ils voulaient faire du fric en nous faisant avaler des chansonnettes tombées du camion. Pour que l’arnaque réussisse, il fallait quand même soigner le déguisement, il fallait faire croire à de l’authenticité, fût-ce à grand coup de triche. Ils ont maquillé les noms des chanteurs pour les faire rimer avec les Be-bop-a-lulla et les Da-dou-ron-ron (pour nos plus jeunes lecteurs, précisions que ces titres sont authentiques). Bon. OK ! Mais le petit Kalvin Ramirez, fils de routier et promis quant à lui à une belle carrière de vendeur de slips chez Kiloutou, quelle star est-il censé devenir ? Quel public pour ce noeud ? Et Maèlys Chauffier, qui deviendra coiffeuse et chopera un cancer de la peau à trente-deux berges, que fera-t-elle de ce prénom d’idole ? Cet empaffé de Kenzo Lavalette, fils de pute, petit-fils de collabo et futur DRH lui-même, attend-il des applaudissements chaque fois qu’il se présente ? A quoi riment ces conneries ?



Le constat est cruel, mais il est clair : la France produit désormais des chanteurs de variétés par paquets de dix mille. Dans l’imaginaire collectif, il n’y a pas plus haut. Chacun est affublé dès la naissance d’un prénom qui-fait-pas-français, NRJ-compatible, un prénom de star, prêt à servir, au cas ! Le prochain stade est facile à imaginer : c’est avec un prénom de rappeur clé en main qu’ils naîtront, les enfants : GangstA, DJmalin, RokkoEtnikk ou SoQP2touha- ZboubA\family©…
Les parents, à qui on a fait croire qu’ils sont des artistes, se trouvent bien obligés de faire de temps en temps œuvre de création. N’ayant pas la tête à ça (malgré les exhortations de Jack Lang), ils se rattrapent quand leur naît un petit. Là, leur imagination ne connaît plus de borne, leur furie s’exaspère, leur pouvoir est sans limite (malgré l’article 57 du Code Civil). Ils se lancent dans le choix du prénom comme on franchit le Rubicon. Ils ne respectent ni les règles, ni la tradition, ni les lois de la gravitation universelle : ils s’envolent. Et allons-y pour les Nolan, allons-y pour Aymen, Noa, Bryan ou Bruna ! Chaud, devant ! Et vlan pour Evaëlle ! On fait non seulement table rase du passé, mais on lui bazarde son couffin !

Jusqu’à une date récente, on tenait pour certain que les individus ne naissent pas spontanément et ne surgissent pas du néant. Les noms et les prénoms illustraient bien cette vieille croyance, et on se les transmettait comme on se passe le relais de la vie. Par le prénom, on en arrivait forcément à ressembler à quelqu’un d’avant – abomination qui rebuterait le premier venu aujourd’hui, s’il y avait encore des premiers venus… On donnait aux enfants un prénom qui avait déjà été porté, par hommage et aussi prudence, sans doute, pour éviter de se tromper. Une aïeule s’était appelée Denise, elle n’en était pas morte : ça pouvait aller ! Époques précautionneuses, qui ne sont plus…
Depuis deux siècles, la mode est à l’homme nouveau. Ah, on en a trouvé, des astuces, pour renouveler cette antiquité, l’homme ! A grands coups de révolutions, à grands coups de massacres et de chambres à gaz. Pire : à grands coups d’idées ! Et ça a profusé : l’homme nouveau sera industriel ! Il sera colonial, motorisé, il sera spatial, électronique, socialiste ! Il sera mondial, égal, il sera équitable, rouge, vert ! Il sera éolien ! Il sera consommateur et pacifique, il sera libre et assujetti à la CSG. Mieux : il sera une femme !... Et puis, on s’est rendu compte que ça ne fonctionnait pas : l’homme, plus il est nouveau, plus il est mauvais. Khmer rouge, par exemple, c’était bien nouveau, ça, pas de doute... Mais la rage de nouveauté et le zèle des changeurs de monde ne s’arrêtent pas à ce genre de détail. Sur la lancée des anciennes, les générations nouvelles ne peuvent pas s’empêcher d’entrer dans la tradition de la nouveauté. Hélas, n’ayant plus aucun lien avec l’Histoire, n’ayant que le divertissement pour vision collective et tournant littéralement à vide, nous n’avons plus les moyens de changer le monde, sinon par le fun. Et hop, les prénoms rigolos, venus de nulle part ! L’idée est tellement simple que personne ne l’avait eue : à prénom nouveau, homme nouveau. Une ancienne pub horlogère disait : « vous vous changez, changez de Kelton ». C’était juste pour vendre plusieurs montres, des jaunes, des bleues, des rouges, assorties à tes fringues. C’était pourtant simple, comme slogan, mais certains l’ont pris de travers, ils ont compris « vous changez de Kelton, vous changez ! ». Révélation ! pour devenir un autre, il suffisait de changer de montre ! Et si ça marche pour la montre, ça doit marcher pour les prénoms. Les billets de banque en euros nous ont déjà habitués à leurs illustrations irréelles, des ponts qui ne franchissent rien, des portes virtuelles, une architecture sans vie, sans hommes et sans passé. Les nouveaux prénoms finiront le travail. C’est ainsi que l’homme nouveau (modèle XXIème siècle naissant) s’appelle Noa, qu’il a deux ans et qu’il est mal parti.



Rendez-nous nos Jean ! Rendez-nous nos Gilles, nos Robert, nos Alain, nos Catherine, nos Françoise, nos admirables Françoise ! Rendez-nous nos prénoms normaux, nos prénoms de gens ordinaires, pas artistes, pas chanteurs, pas voyageurs, pas tatoués ! Rendez-nous des prénoms de chauffagiste, de boulanger, de comptable ! Des prénoms de chômeurs ! Rendez-nous nos Jean-Philippe, nos Jean-Marc, nos Martine, putain de bordel de merde ! Rendez-nous nos Mohamed !

vendredi 1 juillet 2011

Y a pas d'mai !


La France ressemble à une vieille actrice. Depuis qu’elle ne fait plus l’Histoire, elle ressasse les grandes dates de son passé, de commémorations en anniversaires, comme on repasse les bandes usées d’un vieux film. Parvenue même au stade ultime de cette passion, elle en arrive à revoir ses nanars avec la même autosatisfaction que si elle contemplait ses chefs d’œuvre. Pour remplir le rétroviseur, tout est bon : entre une commémoration de Valmy et une autre de Verdun, on trouvera donc le 10 mai 1981, comme on tolère l’asticot au cœur de la plus admirable scarole.
Durant ce mai 2011, personne ne peut l’ignorer, on a honoré le 10 mai comme une grande date. Pourquoi pas ? De toute façon, les mythes n’ayant aucun rapport avec la réalité, on ne saurait reprocher à nos revivalistes de faire passer des petits matins frisquets pour de grands soirs. Au-delà du 10 mai, c’est surtout sur les « années Mitterrand » que l’on est revenu, cherchant des motifs de fierté dans un passé pourtant comique.

Pour augmenter le mérite d’un vainqueur, il est toujours avantageux de faire croire à la grande valeur de ceux qu’il a vaincus. De la même façon, pour parer d’un lustre mirifique les années dites « Mitterrand », il est de bonne guerre de faire croire que les années « Giscard » n’étaient qu’obscurité, que les « Pompidou » ne furent qu’ultralibéralisme rampant et que les « de Gaulle » suffoquèrent sous le double joug de la mégalomanie personnelle et du militarisme. Interrogez des mecs de soixante ans, ils seront unanimes : c’est rien que des conneries.
Trente ans plus tard, on s’étonne même qu’avec la complicité de professionnels de la com bientôt promis au sarkozysme, le Grantomdegoche ait pu proposer un projet aussi puéril : changer la France. Comme on change un bébé qui a embrené ses couches ! Après le gros caca des années Giscard, il fallait d’urgence redonner aux fé-fesses du pays un soyeux impeccable, une fraîcheur printanière conforme à l’ambition de sa grande Maman mitterrandienne ! Rien ne vieillit plus vite que les idées modernes et les slogans. Voyez la « Force tranquille » : que reste-il de force dans la France d’aujourd’hui ? Qui est encore tranquille ? Où est-il, cet inconscient, ce phénomène ? Malgré ça, on réclame l’extase générale à l’évocation du grand fait d’armes du 10 mai… (Rappelons aussi qu’on a reproché à Mitterrand de n’avoir pas fait la révolution. Or, son programme se résumait en trois mots bien peu robespierriens: la force tranquille. Les reprocheurs n’avaient qu’à les lire avant !)



Un test simple permettra à chacun de vérifier cette constante : dès qu’on évoque publiquement le bilan de Mitterrand, l'omdegauche cherche désespérément dans sa mémoire un changement grandiose à la mesure de « l’espoir » du 10 mai puis, ne trouvant rien, sort l’abolition-de-la-peine-de-mort de son chapeau, comme si Mitterrand n’avait fait que cela pendant quatorze ans. Formidable ! nécessaire ! la fin de l’indécence ! Soit. Mais qu’est-ce que ça a été, l’abolition de la peine de mort ?
La mort de la peine du même nom n’est finalement qu’une mesure symbolique. Symbolique, oui, parce qu’elle n’a aucune importance sur la vie concrète et bassement réelle des Français. La peine de mort, le Français réel, dans son écrabouillante majorité, il n’en n’a rien à foutre. Pour être précis, sous le septennat giscardiaque, sur cinquante-quatre millions d’habitants, la France n’a perdu que trois pélots sous la guillotine. En sept ans ! Trois 54 millionièmes de condamnés à mort ! Pas de doute, y’avait urgence ! Il fallait arrêter le massacre ! La dépopulation nous guettait ! Le génocide ! Bien sûr, tout citoyen étant aussi un justiciable, chacun était à ce titre, en principe, raccourcissable. Mais dans la réalité, un simple quart d’heure de circulation routière faisait bien plus de victimes que la guillotine en sept ans.
En France, on vit exactement de la même façon avant et après l’abolition de la peine de mort, je l’affirme ! L’abolition n’a même rien changé pour les assassins eux-mêmes, puisqu’un des arguments abolitionnistes avançait que la peine capitale n’était pas dissuasive. C’est bien ce que je dis : tout le monde s’en foutait. CQFD.
Si l’on veut citer des mesures qui changent la façon de vivre des gens au-delà du symbole, on peut évoquer le droit de vote, celui de divorcer, l’accès à la contraception, l’avortement, les mesures sur le crédit, les réformes scolaires. Un Président qui permet l’indépendance de l’Algérie, par exemple, ou qui décide de la fin de la conscription, ou qui fout des radars routiers jusque dans les chiottes change bien plus radicalement la vie des citoyens que celui qui abroge une loi exceptionnelle par nature, et presque jamais appliquée. Par ailleurs, on rougit d’avoir à le rappeler, les évolutions de la science, puis de la technique, changent bien plus radicalement la vie des gens qu’un Président de la République, fût-il grantomdegoche, fût-il élevé au rang de héros par une foule en liesse un soir de mai, prise d’un délire qui fera sourire de pitié ses enfants à naître. La perceuse-visseuse sans fil, ça oui, j’en témoigne devant l’Histoire, ça a changé ma vie !

Parlant bilan, on pourrait aussi rappeler que c’est sous le même Mitterrand qu’on commença à parler des « nouveaux pauvres », toujours aussi pauvres trente ans après, d’ailleurs, mais moins nouveaux. On pourrait rappeler qu’il a été un parfait continuateur de Giscard sur bien des points, par exemple en contribuant à faire entrer la France dans l’européisme le plus libéral, abandonnant une grande part de la souveraineté nationale pour le plus grand profit des citoyens, comme chacun peut le constater aujourd’hui. On pourrait rappeler qu’il a ouvert un boulevard médiatique à la publicité partout où c’était possible, qu’il a filé une chaine de télévision française à Silvio Berlusconi et fait passer son ministre Bernard Tapie pour un modèle. Mais ce serait déplacé en ces temps de fièvre commémorative.



Que Mitterrand ait donc tenu à abolir la peine de mort ne peut pas compter pour une grande part dans le bilan de son action, sauf sur le point des symboles. Mais c’est pourtant de ça que se nourrissent aujourd’hui les souvenirs de la période, et l’essentiel de la fierté de notre impayable gauche moderne.