mardi 30 août 2011

Ikea über alles




Coincer une petite buanderie dans une petite salle de bains sans perdre sa zénitude - Ikea


Je connais des gens qui profitent de leur passage à Lyon pour aller acheter, chez Ikea, des merdes. Ces déshérités habitent dans des bleds impensables où le Suédois n’a pas encore jugé bon d’implanter un de ses labyrinthes à blaireaux. Sitôt arrivés dans notre bonne ville, ils foncent donc dans sa banlieue la plus laide, Saint Priest et sa désespérante zone « Champ du pont », pour communier comme des rongeurs dans les allées structurellement encombrées de cette brocante glacée. Oh ! un porte-cuillers nickelé ! Oh, une chaise en fibres de laine ! Oh, un cintre !

Je connais Ikea, j’y suis allé. C’était il y a bien quinze ans, sur les conseils d’un sot, un jour de mars. J’avais alors besoin d’une ou deux babioles pour meubler le trou à mulots qu’on me louait. Sitôt entré dans le dédale, je me mis à transpirer, non pas tant à cause de l’agencement criminel qui y régnait, mais parce qu’il était impossible de s’y mouvoir, coincé entre un couple de vieux instits à écharpes, une femme enceinte et son homme-bibelot, une foule de mères surexcitées à la vue d’un épluche-légumes tendance. Dès le premier mètre, il était clair que je me trouvais pris dans un piège : tout était fait pour que mon séjour ici soit le plus pénible, le plus long, le moins libre possible. Dès le second mètre, j’avais reconstitué la logique vivisectrice du concepteur des lieux : ralentir le flux des clients pour les contraindre à regarder les merveilles alentour et, partant, les convaincre d’en remplir leur deux-pièces. Ha, les fuuumiers, me dis-je, en m’immisçant de conne en conne.
Quelques bousculades plus tard, j’arrivai enfin à la caisse. Là, on me fit la surprise de me réclamer DEUX pièces d’identité pour accepter mon chèque. Je dubitativai, je circonspectai, j’incrédulisai, mais rien n’y fit, la signature du préfet du Rhône, au bas de mon unique carte d’identité, ne suffisait pas. J’hurlai donc un bon coup, lâchant des insultes inconnues au nord du cercle polaire arctique, laissant en plan mon chariot et me retrouvant bientôt nez à nez avec un imprudent péquin chargé de la sécurité des lieux. Ce con fut agoni d’injures avant de se retrouver à quatre pattes, cherchant en vain ses lunettes et sa dignité disparues, tandis que je me tirais, fissa, sous l’opprobre absolument général.



Quinze ans plus tard, de tatillons journalistes viennent chercher des poux sur le crâne octogénaire du fondateur d’Ikea. Le vieux serait un ancien nazi : tu parles d’un scoop ! De nos jours, nazi, c’est d’un banal ! Tout le monde est un ancien nazi ! Mais, comme d’habitude, on se trompe de cible. On va reprocher à Ingvar Kamprad (quel blaze de bourreau !) un amour de jeunesse mal digéré pour le nazisme, alors que son nazisme, authentique ou journalistiquement gonflé, est quantité négligeable, comparé à l’épouvantable traitement que les clients d’Ikea subissent comme des cons chaque jour ! Négligeable, oui, l’idée de la supériorité de la race aryenne ! Négligeable, le parti unique ! Négligeable, l’industrialisation de la mort ! Négligeable, la seconde guerre mondiale ! A côté de la veulerie intrinsèque du « concept » d’Ikea, à côté du spectacle de ces foules heureuses qu’on les traite en rats de laboratoire, à côté de la distribution totalitaire et néanmoins socialement valorisante d’un confort minable, à côté du culte général rendu à l’hypermoche standard, à côté de l’autosatisfaction du client Ikea pourtant partout cocu, tout, absolument tout devient négligeable.

Que chaque client d’Ikea le sache désormais, qu’il se le dise dans ses moments de lucidité : acheter une étagère suédoise ou vanter un ensemble bureau-lit-dressing junior, c’est honorer les heures les plus soires ne notre histombre !

samedi 20 août 2011

La mort aérosol.


Le rétablissement de la peine de mort en France n’a pas été une promenade de santé. Issu des élections triomphales qui portèrent la droite dite dure au pouvoir en juin 2020, le gouvernement Topoli dut batailler non pas au Parlement, mais sur tous les médias en même temps pour contrer les adversaires radicaux de cette mesure. On s’envoyait du fascisme à la figure, on répondait en publiant des chiffres aussitôt contestés, on s’injuriait au nom de la tolérance et se vouait aux gémonies en invoquant les Droits de l’Homme. Même quand l’affaire fut entendue et la loi promulguée, les opposants continuèrent de promettre son abrogation sitôt le pouvoir reconquis. Sur ce point, le parti socialiste fut ca-té-go-rique, même quand il fut établi que personne dans le pays ne se souciait plus des intentions de ce parti finissant.

Comme prévu, la menace d’être exécuté par guillotine n’eut pas d’effet notable sur les délinquants sexuels, sauf bien sûr celui de les trancher en deux. Idem pour les assassins professionnels de type « grand banditisme », qui furent très peu nombreux à se reconvertir spontanément dans des activités plus pacifiques, comme les emplois verts, par exemple. On rapporte toutefois le cas d’un ancien « nettoyeur » de la mafia kosovare ayant mis en quelque sorte ses compétences à la disposition du Bien, en devenant « assistant de fin de vie » dans une clinique, près de la frontière suisse.
Comme la mesure ne semblait pas produire de grands changements dans la société, elle perdit son statut de star des médias et fut remplacée à ce poste par les frasques sexuelles d’une fille de ministre. Bientôt, on n’en parla plus.

Une affaire, pourtant, replaça la peine de mort au centre du débat dit « de société », du moins pour un temps. Ce fut, tout le monde s’en souvient, l’affaire Chapuis.
Jimmy Chapuis fut le premier post adolescent exécuté par guillotine dans la France moderne. Ayant enfreint la loi sur les dégradations volontaires de biens, c'est-à-dire ayant été convaincu d’avoir tagué deux cents trente endroits différents de La Rochelle, le jeune Jimmy subit, en précurseur, les foudres de la Justice. La presse internationale fut tout aussi scandalisée que celle de chez nous, puisque « se scandaliser » est une des dernières fonctions qui restent à la presse. Mais, par une alchimie que les historiens futurs auront sans doute beaucoup de mal à comprendre, le gouvernement et le pays entier semblèrent n’avoir absolument plus rien à foutre des postures morales des impeccables consciences de la presse. Jimmy fut donc tranché en deux parties inégales sur le port de la Rochelle, le matin du 10 mai 2021, après qu’une équipe d’employés municipaux eut nettoyé ses tags insanes sous les applaudissements des citoyens en liesse. Dans les colonnes du Matin de Tunis, où l’exil l’avait réduit, Bernard Henri-Levy proclama la mort symbolique de La Rochelle avec les accents d’une malédiction biblique.



Tout partit de là. A compter de cette date, il semble que les déchirements moraux soulevés d’ordinaire par la « question capitale » s’évanouirent. Comme une tribu divisée retrouve sa cohérence en sacrifiant le Bouc émissaire, la France retrouva calme et unité dans le grand massacre de ses tagueurs. Dans toutes les provinces, dans chaque ville (ou presque) des dénonciations drainèrent vers les geôles la fine fleur des tagueurs. Une génération d’élèves des Beaux-arts, fascinée par Basquiat et Pollock, et qui faisait bouse de tous murs à grands coups d’aérosols, fut abattue comme à la foire. Dès qu’un gringalet portant sac à dos, écharpe palestinienne, bonnet péruvien et pantalons à poches latérales pointait le museau dans un coin sombre, de vigilants bourgeois, quittant la torpeur du lit conjugal, se transformaient en fauves de meute et rabattaient le génie en herbe comme la faux couche un blé frais. Les scènes de violence débridée furent pourtant rares, si l’on excepte du terme violence les coups de pieds au cul et les tirages d’oreilles qui accompagnent toujours les arrestations. Et puis, il faut préciser que les tagueurs se révélèrent de biens piètres résistants. Malgré la violence romantique des slogans qu’ils éclaboussaient sur les murs des cités (« Non à l’Etat policier ! » « Le végétalisme ou la muerte !», « Intifadames ! », « Le pouvoir mâle fait mal ! »), malgré parfois des années d’abnégation au service d’associations changeuses de monde et dénonceuses de dictatures, ils se montrèrent on ne peut plus dociles face à de simples épiciers en pyjama, et se laissèrent toujours mener au commissariat sans même un écart de langage. Comment en venir aux mains dans ces circonstances ?
La seule scène de violence crue que l’on relate concerne Jean-Philippe Jouvenal-Plasquier (JP² dans le civil), le défunt président de Tchatche les murs, phare du mouvement tag. Sortant des studios de Radio France, où il venait de participer à une émission sur son thème favori, il fut en effet rejoint par la foule, tagué de peinture indélébile, recouvert de laine de verre et de caramel, puis déposé devant les portes de la prison de la Santé, où il fut accueilli par les autorités dans une regrettable avalanche de gifles. Son exécution, en revanche, fut un modèle de douceur.
La chose la plus étonnante, peut-être, dans ce retour de l’Histoire sur elle-même, c’est qu’une fois lancé, le mouvement d’extermination des tagueurs ne rencontra plus d’obstacle. Autant le rétablissement de la peine de mort avait été discuté, autant son application se révéla simple. Chaque semaine apportait son lot d’exécutions aussi régulièrement et banalement que les trains arrivent en gare. Les familles mêmes de ces disgracieux semblaient considérer la chose avec fatalité, réagissant comme si leurs rejetons fautifs n’étaient plus amendables. Il faut dire aussi que les tagueurs, pour leur grand malheur, ne constituent pas un groupe bien influent, ne disposent d’aucun relai médiatique, n’élisent aucun députés, et leur caractère nuisible n’étant pas discutable, personne ne put jamais leur trouver la moindre excuse. Une bien maladroite tentative de les considérer comme « des artistes » fut avancée, lors d’une émission d’un quart d’heure sur France Inter, mais tomba aussitôt dans l’oubli.



Devant l’afflux des dénonciations, devant l’efficacité des milices de quartier, devant l’abondance des « arrestations citoyennes » que chacun pratiquait au pied levé, la Justice fut bientôt débordée. L’enthousiasme populaire estima qu’on ne jugeait pas assez vite et surtout qu’on ne guillotinait pas comme il l’aurait fallu. Devant la pression populaire, le gouvernement Topoli vacilla, puis pris une mesure des plus raisonnables, qui souleva pourtant un bref mouvement d’indignation au Parlement européen : la mise en vente de guillotines portatives. Dès l’annonce de cette décision, le site guillotine-on-line.gouv.fr fut assailli de commandes. En deux jours, les stocks disponibles furent épuisés. Comme à chaque fois, le public dépité se rabattit sur des sites Internet proposant des produits bon marché, qui ne répondaient pas à toutes les normes. Il est regrettable que des citoyens, n’ayant pas eu la patience d’attendre une semaine, se soient rabattus sur des guillotines de fabrication chinoise, responsables d’exécutions bâclées où le plaisir manquait.
Quoi qu’il en fût, la possibilité d’exécuter soi-même son tagueur (après, évidemment, l’avoir jugé soi-même) est la principale explication à l’éradication définitive des tags en France.

mardi 9 août 2011

La guerre du froc


Il y a eu le Déluge. Il y a eu Gengis Khan et la Peste Noire. Il y a eu les trompettes de Jéricho. Il y a eu Stalingrad. Il y a eu la Bérézina, l’éruption de la Montagne Pelée, la grippe espagnole. Il y a eu les yéyés. Il y a eu l’incendie de Rome et l’effondrement de Lisbonne. Il y a eu Verdun. Il y a eu Auschwitz et la Révolution Culturelle. L’humanité a souffert, elle a pris des coups et a connu des drames épiques. Puis, il y a eu le pantacourt.

En ce moment même, les amusants idéologues des gender studies tentent de faire croire que l’identité sexuelle est une question de choix (une option performative), que le fait d’être un homme ou une femme n’est qu’une option socialement admise, parmi d’autres, et que la nature n’y a qu’un rôle secondaire. C’est évidemment un tissu d’âneries, mais ces faussaires étant à la mode, il nous faudra quelques décennies pour l’admettre. Il y a pourtant un moyen très simple pour démontrer que l’identité sexuelle est donnée, et non acquise : « la preuve du mollet ».
Observez deux mollets humains, l’un masculin, l’autre féminin. Ils remplissent théoriquement les mêmes fonctions et sont situés aux mêmes endroits. Ils sont pourtant radicalement différents, par un décret souverain de la nature, auquel on ne peut rien. Le mollet féminin est doux, fuselé ou potelé, mince sans être grêle, il enrobe la cheville pour en ôter les nervures, absorbe les malléoles dans un velouté exquis, il rebondit sous l’effet des vibrations, même les plus légères. Il est gai et insouciant. Il ne saurait faire de mal à une mouche. Il est si tendre qu’on en mangerait.
Le mollet masculin, c’est tout l’inverse. Si l’on excepte le phacochère malade et une variété pustuleuse de hyènes hirsutes, la nature n’offre pas de spectacle aussi laid qu’un mollet de mec. Il est velu, anguleux, il laisse saillir des os, il roule sous une peau mince des muscles noueux comme des ceps à piquette, il est plein de nerfs, il est plein de poils, il est dur comme une inutile bite disposée derrière un genou ! Quand il est maigre, il est affreux. Quand il est gros, il est grotesque. Dans les deux cas, il est suprêmement laid. Contrairement au rire, que d’autres mammifères partagent avec nous, le mollet humain est le propre de l’homme : personne d’autre n’en voudrait.
Et c’est à la gloire et pour l’exhibition de cette merde qu’on a conçu et répandu partout le pantacourt !
(En conséquence de ce qui précède, je précise que mes considérations scientifiques à suivre ne concernent pas les femmes. N’en déplaise aux partisans de la parité, sur le point de la laideur, les hommes ont une supériorité indiscutable.)

Qu’est-ce qu’un pantacourt ? Quand on décide d’en immoler un par le feu, comment peut-on être sûr de ne pas sacrifier par erreur un inoffensif bermuda ? C’est simple : un short s’arrête en haut de la cuisse. C’est un ustensile pratique pour courir ou faire le tapin. Un bermuda descend au-dessus du genou : on a rallongé le tissu dans l’espoir sincère, mais vain, de donner de la distinction au porteur de short. Un pantalon un peu trop juste, quant à lui, laisse voir la cheville, c'est-à-dire la chaussette : effet comique garanti, Bourvil lui doit tout. Le pantacourt, enfin, hybride monstrueux que l’avenir jugera, pendouille incompréhensiblement au milieu du mollet, ce muscle idiot. Et, par une cruauté de la nature que rien n’explique, le pantacourt est principalement porté par des hommes bedonnants dont les pans de chemises pendillent eux-aussi, détail qui renforce la mocheté du tableau au-delà du croyable.

La laideur du pantacourt est aussi d’ordre psychologique : c’est l’habit du parfait glandeur. C’est d’ailleurs devenu, en quelques années, l’uniforme du touriste occidental, cet inutile encombreur de ruines antiques. Dans tous les pays assez cons pour l’accueillir, l’homo-pantacouris s’affiche donc tel qu’il est : moche et content de l’être. Ce qui gêne le plus, c’est qu’en effet, le disgracieux s’affirme désormais comme une référence et s’avance en bataillons serrés. On les voit, ces légions à faire peur, marcher du pas nonchalant du congés-payé, mélange de lenteur et d’apathie, tripotant leurs téléphones mobiles d’un pouce mou tandis que quarante siècles les contemplent. Le traîneur de tongs ne s’excuse même plus de dépareiller le genre humain, il se fagote d’un pantacourt bien bariolé, histoire d’offenser l’indigène sans distinction, jusqu’au plus distrait, jusqu’au plus myope ! Armé d’une conscience parfaite de son bon droit, il se pavane avec ostentation, sous le regard affligé de l’hémisphère sud.
Quand il ne part pas en vacances de l’autre côté du globe, l’homo-pantacouris exhibe sa goujaterie en zone tempérée. C’est évidemment là qu’il est le plus atroce, renforcé par la loi du nombre. Si encore il se contentait d’errer à sa place, dans les centres commerciaux, les rues piétonnes et les parcs à schtroumpfs ! Mais non, il s’infiltre dans touts les secteurs, il pollue tout l’espace, il fait de tout recoin sa niche. On le trouve au concert, dans les squares, dans les églises et même, parfois, dans les bibliothèques ! Et partout, comme si ça ne suffisait pas, pour le plus grand malheur de la décence, il ajoute à son accoutrement le détail fatal : la sacoche en bandoulière.
La sacoche-minuscule-portée-en-bandoulière sert souvent de coordonnée au pantacourt. Elle est pour lui ce que l’escarpin est à la jupe. En Europe occidentale, depuis la disparition du catogan, il n’y a pas moyen d’avoir l’air plus con que de porter une sacoche en bandoulière. Et certains s’y adonnent en pantacourt !!

Depuis la Révolution française, il est acquis que les peuples ont vocation à l’émancipation. Le joug le plus méthodique ne saurait plus s’exercer trop longtemps. La liberté (y compris la liberté de s'habiller comme une bouse) guide l'Histoire. Les Russes sont venus à bout de leur esclavage collectiviste et militaire. Les Arabes eux-mêmes sont en train d’abandonner leur fascination pour la tyrannie paternalisto-moustachue. Il y a donc fort à parier que l’humanité, après en avoir beaucoup souffert, se révoltera bientôt contre cette torture vestimentaire, qu’elle inflige à ses membres les plus sensibles. Tant mieux.

mardi 2 août 2011

La vertu salope



Dans un recoin abandonné de Lyon, que des promoteurs ont placé dans leur ligne de mire, des femmes africaines stationnent. Elles sont assises dans des camionnettes blanches, ou elles se tiennent debout, par petits groupes, aux intersections. C’est le morceau de ville qui leur est dévolu, depuis quelque temps, toujours plus loin du centre. A quelque distance de là, l’autoroute, et le périphérique, où il est écrit qu’elles finiront.
Pour entrer en France, l’une d’elles a été soutenue par une association bien connue d’aide aux étrangers. Des gens très gentils, qui lui ont permis de s’y retrouver un peu, de remplir certains papiers dont elle ignorait même l’existence, de rencontrer des professionnels de l’assistance, de faire respecter ses droits. Elle a eu de la chance. Sans eux, elle ne serait pas là, à essayer de s’intégrer en suçant des bites.
Ces femmes africaines sont habillées de façon très « correcte », c'est-à-dire qu’on ne saurait les prendre pour ce qu’elles sont, des putes. En matière de décolleté, elles auraient beaucoup à apprendre des bourgeoises d’ici. Et pour ce qui est de montrer ses cuisses, les shorts de nos collégiennes leur donnent, par comparaison, l’apparence de nonnes. On comprend le métier qu’elles font parce qu’en cet endroit pourri de la ville, personne d’autre qu’elles ne circule, personne n’aurait l’idée de venir se balader. En passant en voiture, le quidam se dit « tiens, des femmes sur le trottoir ? Qu’est-ce qu’elles font là ? Ça doit être des putes ».

Partie de Toronto, ou du diable vauvert,une énième manifestation de « fierté » gagne le monde : la « Marche des salopes ».
Au départ, il s’agit de femmes qui veulent protester contre ceux qui considèrent, quand viol est commis, que la femme « l’a bien cherché », sous prétexte qu’elle s’habille légèrement. Un policier aurait fait cette élégante remarque à une étudiante qui venait porter plainte, déclenchant bien involontairement une vague internationale de manifs.
Pour lutter contre ces connards de mecs, les organisatrices des cortèges n’ont rien trouvé de mieux que de s’habiller comme des putes et de nommer leur mouvement « marche des salopes ». Il n’est pas certain que cette curieuse stratégie fasse avancer leur « cause », mais au moins, on aura parlé d’elles.
On pourrait objecter que si les femmes veulent continuer à porter jupes courtes et forts décolletés, il faut qu’elles s’habituent à ce que les hommes y plongent leurs yeux. On ne peut tout de même pas leur demander de faire comme si de rien n’était ! Mais de là à l’agression sexuelle, il y a un gouffre, qui devrait rester infranchissable. Plaisir des yeux, d’accord, mais pas touche ! Las, comme les hommes dans nos pays ont tendance à devenir de plus en plus cons (en accord avec la délicatesse des mœurs actuelles, le raffiné du langage, le distingué des postures publiques, le soigné des nénettes tatouées et la distinction des bimbos), les femmes en sont maintenant réduites à préciser, par voie de manif, qu’elles ne font pas « open bar »… On a voulu une éducation ouverte, on a voulu en finir avec les névroses d'un autre âge, on a voulu que les enfants s'émancipent de l'autorité, on a voulu que les jeunes rebelles (pléonasme) nourris de rock s’affranchissent des conventions bourgeoises : on y est.

Pour ce qui me concerne, que les femmes s’habillent le plus court possible ferait mon affaire. Je pense que les filles ne sont jamais habillées assez léger, et que si la civilisation court un danger quelconque, ce n’est certainement pas la faute des cuisses féminines. J’irais presque jusqu’à dire qu’on devrait interdire aux filles de moins de trente ans de se couvrir la poitrine. Presque…



La modernité cultive le faux comme le XVIIème siècle produisait du classicisme. Pour se mouvoir dans cette modernité spectaculaire, il est bien connu qu’il faut être un rebelle. C’est même le strict minimum pour ne pas passer à côté de son époque. Mais la rebellitude étant devenue générale, il faut bien trouver des moyens spectaculaires pour se distinguer de la masse… Quand tout le monde est rebelle, il faut un marqueur simple, voyant, qui annonce d’emblée la couleur. Les tatouages et les piercings remplissent souvent cette fonction : je suis libre, connard, c’est écrit sur mon mollet ! Mais Sisyphe est vite rattrapé par le succès des gadgets et, on le constate partout, c’est maintenant une génération entière qui se tatoue la couenne en ricanant contre le conformisme des bourges.
Dans les années 1970, pour se rebeller, les femmes devaient se dire sexuellement libérées, et s’habiller en conséquence. C’était une façon de gifler le monde, de le déranger dans ses habitudes, de faire péter ses carcans paternalistes. OK ! Renoncer au soutif sous la tunique était une forme avancée de provocation, qui n’allait pas sans un certain risque. Quarante ans plus tard, la modernité produit ses effets. Comme une rotative devenue folle, elle reproduit sans limite des exemplaires factices du modèle original. Elle singe les vieilles luttes, elle se trouve si belle en combattante qu’elle veut un combat permanent, mais réclame qu’on ne lui oppose plus d’adversaire. Les nouvelles féministes veulent à la fois porter des « tenues provocantes » mais exigent que la provocation ne produise aucune réaction. Une provocation light, bio, responsable, garantie sans réplique. Forme inédite de combat, il suppose des adversaires bien identifiés : l’un innombrable, l’autre déjà mort.



Le citoyen de notre civilisation marchande avancée rencontre un problème récurent : accepter la différence entre l’image de la vie que l’économie lui propose, via les médias, et la vie elle-même. C’est l’éternel combat entre désir et pouvoir, entre narcissisme et monde physique. Au cinéma, par exemple, Bruce Willis sauve le monde tout en continuant à balancer des vannes imparables. Mais le 11 septembre 2001, 343 pompiers new yorkais ont fait ce qu’ils ont pu, c'est-à-dire pas grand’chose, avant de mourir. Dans les séries télé ou dans les jeux vidéos, d’invraisemblables bimbos courent le monde en faisant des coups pendables (attentats, sauvetages divers, guerre-en-tenant-son-P.M.-d’une-seule-main, arrestations de gros musclés à coups de pied). Mais dans la vie réelle, la plupart des femmes ont du mal à ouvrir une simple boîte de cornichons. Dans les pubs, des quadragénaires superséduisantes font des enfants en continuant de gérer leur service RH et en gardant le ventre plat. Dans la réalité, les DRH quadra superséduisantes ne font pas d’enfant. Dans les clips, des post adolescentes quasi nues font l’amour à la caméra en prenant des poses de journaux gratuits. Dans la vie réelle, les clones de ces beautés maintiennent littéralement la ville en érection en exhibant l’air de rien un sillon fessier qu’un string infime habite. Mais leur existence, assaillie par le désir qu’elles enflamment, n’est plus qu’un long refus narcissique. La jeunette s’habille donc au sens propre comme une star, fut-elle serveuse dans un bar à bobos, pour se payer le seul luxe à sa portée : faire baver les mecs, à qui elle n’adresse même plus un regard. Dans la vie réelle, ces femmes fatales sont au SMIC.



Dans toutes ces images paradoxales, les femmes sont à la fois indépendantes, conquérantes ET réduites à la qualité d’objets sexuels, ce qui est évidemment impossible. Contrairement aux séries télé, la vie réelle n’est pas soumise à un scénario écrit à l’avance, et personne ne saurait promettre que montrer sa poitrine, surtout quand elle est splendide, est sans effet sur la quiétude, bien fragile, des mâles. On en arrive au point commun de TOUS les militants : ce monde n’accueillant pas mon désir immédiatement et sans broncher, il faut changer ce monde. Concernant le point névralgique de la vie, c'est-à-dire le désir sexuel, il y a fort à parier que les manifestations bravaches visant la « prise de conscience » n’y changeront rien.



Dans « Doux, dur et dingue », gentil navet de Clint Eastwood, les bikers bardés de cuir qu’il humilie pourtant régulièrement en sont réduits à manifester contre lui. Ils exhibent des pancartes où l’on peut lire « les méchants, c’est nous ! ». On en arrivera peut-être à ça : les femmes africaines évoquées plus haut, désemparées par l’indifférence des hommes devant leurs tenues trop strictes, pas assez « sexe » en comparaison de ce qui se porte dans les collèges, contraintes d’organiser une Marche des vertus, brandissant banderoles : « Nous, vous pouvez toucher »…

lundi 1 août 2011

Coming août



TOURISTES 1

Les migrants vont partir ensemble à l’heure dite
Noircissant les routes en allant vers le sud
Ils vont traîner ailleurs, sous d’autres latitudes
L’ennui de leurs vies plates que l’argent facilite

Ils quittent pour vingt jours un bureau, une chaîne
Sitôt « libres » ils se foutent à plat ventre au soleil
La moindre limonade est changée en merveille
Le bon sens partout déclencherait la haine

Les ventres se délient, les bedaines plastronnent
Les mamans presque mortes s’occupent de tout faire
Ceux qui veulent baiser choisissent entre les connes
La plus habile à tendre un cul majoritaire.

On rapporte qu’un con, armé d’une guitare
En reprenant Cloclo se fait plus de dix briques
Pendant que des fillettes à l’arrière des bars
Oublient des vies sans joie menées à coups de trique.



TOURISTES 2

On a conquis le droit de partir en vacances
On n’avait pas prévu qu’on nous tendrait un piège
Ni qu’on nous ferait prendre pour un fjord en Norvège
Des baies chargées de mouches dans le cul de la France

Ceux qui voulaient donner aux couches populaires
Le repos mérité que l’usine confisque
N’ont pas imaginé le grouillement vulgaire
Des marchands de babioles qui râlent après le fisc

En promettant le monde au peuple sédentaire
Ils souhaitaient simplement leur permettre la Terre
On deviendrait meilleurs d’aller voir d’autres hommes

Mais c’était sans compter la force du standard
On a multiplié la merde ad libitum
On a fait du rivage une piste à connards.