vendredi 30 décembre 2011

Le cancer libéral


Hugo Chavez est peut-être en train de réaliser ce qu’aucun homme avant lui n’avait fait : trouver l’explication imparable à tous les problèmes. Revenant sur le nombre élevé de cancers dans la population des chefs d’Etat et de gouvernement des pays d’Amérique Latine, Chavez affirme que ça ne peut être dû au hasard. Grâce à la Méthode Infaillible©, il désigne donc les coupables : les Etats-Unis. Il imagine parfaitement possible que les Etats-Unis inoculent des cancers à leurs adversaires politiques, plutôt que de recourir aux archaïques assassinats.

On se souvient qu’un agitateur à babouches avait prétendu qu’un sioniste se cachait derrière chaque divorce (je n’ai pour ma part jamais compris ce pénétrant message, mais j’imagine qu’il a une signification). Nous subodorons désormais que derrière chaque cancer, chaque tumeur, derrière chaque mélanome, il y a un yankee ! Pire ! Qui peut le plus, peut le moins : si les Etats-Unis sont en mesure de nous inoculer le cancer, ils sont sûrement capables de nous inoculer les accidents de la route, les tennis-elbow, les aphtes et les hémorroïdes ! Les fumiers !

On peut penser ce qu’on veut de Chavez et de ses accusations. On peut écouter ce qu’il dit ou crier au fou. Je ne me prononcerai pas sur cette question de cancer, mais il semble évident qu’il y a au moins une chose que les Etats-Unis savent désormais inoculer au reste du monde. C’est l’obésité…

mercredi 21 décembre 2011

Jubilance !

Une grande œuvre d’art est comme un arbre, la durée de sa vie dépasse de très loin ce qui est donné à l’homme. Au détour d’un chemin, le regard attiré vers un coin bizarrement éclairé, vous découvrez un couple de châtaigniers trapus, hérissés de ramures anarchiques, à moitié couverts de mousse. Deux monstres caparaçonnés qui sèment des quintaux de fruits ronds et brillants pour les biches, les sangliers de passage. Vous vous arrêtez : pour vous, c’est une découverte, et pourtant, ces deux-là sont plusieurs fois centenaires. D’autres les ont bien connus. Autrefois, il bordaient une propriété et servaient de bornes. Puis on les a un peu oubliés, ils ont continué de vivre trop loin des routes.

Une belle œuvre d’art, c’est pareil : elle donne sa beauté aux nouvelles générations avec la générosité d’une adolescente. Un siècle après sa naissance, on la découvre toujours aussi fraîche, telle (presque) que les anciens la virent. On peut l’avoir oubliée, elle demeure là, prête à séduire l’œil neuf. Ne vieillit-elle pas ? Si, en surface. Elle continue de vivre, de nous surprendre, de nous intriguer, alors que tout a été dit sur elle. C’est l’avantage d’être jeune : on découvre réellement et au sens propre ce que tout le monde connaît déjà.

- Quoi de neuf ?
- Molière !
C’est de Sacha Guitry, qui s’y connaissait en œuvres.

Hellzapoppin’ est une comédie musicale sortie en 1941. Il y a donc une éternité. Elle fut célèbre en son temps mais, le genre de la comédie musicale hollywoodienne ayant à peu près disparu aujourd'hui, la plupart des trentenaires n’en ont même jamais entendu parler. Introduisons donc la plus spectaculaire de ses scènes.
Slam Stewart et Slim Gaillard formaient un duo de musiciens comiques, mais tout à fait éminents par ailleurs, depuis quelques années déjà : Slim and Slam. Ce sont eux qui démarrent la scène jubilatoire que voilà. J’en entends déjà s'exclamer mouarf ! encore du vieux jazz moisi ! Qu’ils patientent un peu, ces sourds, et voient l’explosion finale de la scène… Qu’ils apprécient ce que l’humanité perdra, quelques années plus tard, avec l’apparition du triste rock’n roll, et comment les plus énergiques de ses prétentions semblent lourdes et pépères comparées aux bonds joyeux des Harlem Congeroos ! Voyez, regards neufs, ce jazz qui se dansait encore, voyez voltiger ces Noirs hilares et ces Négresses splendides ! Laissez-vous gagner par la Jubilance ! Ha, on est loin de la New wave anglaise !...
Paradoxe que les futurs historiens de l’art ne comprendront pas plus que nous : pendant un conflit mondial, dans un pays qui pratiquait la ségrégation raciale (le film l’illustre ici et là) et qui sortait d’une crise économique désastreuse, l’expression populaire de la classe la plus dominée, ce fut ça, le swing absolu, la joie !

Enjoy !

jeudi 15 décembre 2011

Eduquons, éduquons.


J’ai déjà eu l’occasion de louer le génie de Bertrand Blier, mais je manque à la fois de talent, de vocabulaire et d’énergie pour lui rendre l’hommage exact qu’il mérite. Avec Bertrand Blier, nous sommes tous condamnés à l’euphémisme.

Calmos est sorti en 1976, second volet de la quadrilogie magique de Blier (Les Valseuses, Calmos, Préparez vos mouchoirs, Buffet froid). Des quatre, c’est celui qui eut l’honneur d’être un échec public. Et Blier lui-même le renia quelque peu, preuve qu’il est meilleur auteur réalisateur que critique.
Un gynécologue (Jean-Pierre Marielle) quitte tout, son cabinet, sa situation et la civilisation elle-même pour échapper aux femmes. Il rencontre Jean Rochefort, tout aussi excédé, avec qui il part s’isoler chez un curé de village (Bernard Blier). Là, ils vont vivre non plus comme la société (c'est-à-dire les femmes) les oblige à le faire, mais comme ils en ont vraiment envie. L’ivrognerie, la bouffe et l’abolition volontaire de l’hygiène rendront enfin à ces fous le bonheur que la tempérance des mères, le bon sens des institutrices et l’appétit sexuel des gonzesses leur confisquaient. Le film culminera ensuite dans un burlesque encore plus gigantesque, des foules de mecs rejoignant les fugueurs, tournant le dos à leurs meufs tandis que celles-ci s’organisent, montent des armées et ramènent de force les couillons au foyer. Avec Blier, bien sûr, pas de discours raisonnable : les femmes veulent être baisées, les hommes servent à ça et c’est marre ! Tout ça finira dans une usine de foutage où Marielle- Rochefort seront réduits à l’esclavage sexuel, contraints de faire reluire des milliers de bonnes femmes à tour de rôle. Enfin, devenus vieux et épuisés, exilés au sommet d’une montagne imprenable, ils devront fuir encore, pour finir dans un con géant (scène qui enfonce Tim Burton lui-même), image de l’obsession sexuelle et du matriarcat, où nous sommes peut-être aujourd’hui.


Le film peut se lire comme une pure déconnade, et alors c’est un des plus grands films déconnants de l’Histoire, tout simplement. Il peut aussi illustrer à sa façon les conflits du milieu des années 1970, féminisme en tête, ou l’injonction faite de jouir, d’avoir une vie saine, d’être un bon père, d’être épanoui, de s’ouvrir au plaisir féminin, de s’adoucir etc. Le culte de la bonne santé (et la performance sexuelle qui en est l’image) en prend pour son grade : en écho à la Grande bouffe (1973) un des personnages de Calmos conseille de manger du sucre, surtout le soir, moyen imparable de se fabriquer de bons chicots…
Ce que fuient les hommes, en fait, dans ce film à sanctifier, c’est le désir, ce fil qui les relie aux femmes et les empêche d’être eux-mêmes, des enfants qui jouent et profitent innocemment de la vie. Une tentative de réhabilitation non sérieuse de l’irresponsabilité masculine. Et contrairement au mot d’ordre de l’époque, contrairement à la dénonciation de ce qu’on appelait alors la phallocratie, le désir est ici renversé : quand les hommes s’en libèrent, ce sont les femmes elles-mêmes, groupées en milice, qui viennent rétablir l’ordre, et leur pouvoir sur le monde. L’affiche est d’ailleurs assez parlante : la bouche d’une femme Léviathan déferle sur la campagne, engloutissant un type sur son passage : rien ne peut lui échapper. A méditer.

L’extrait proposé ici est un moment de grâce : tout y est parfait, les acteurs, le rythme, la position de la caméra, le montage, les dialogues. Un adolescent aussi imprudent qu’on peut l’être à son âge est remis sur les rails par ses aînés, qui font son éducation misogyne à grands coups de formules géniales, dont « plus pouvoir boire de vin ! » est le sommet. On jubile devant l’outrance, la provoc authentique, le renversement des convenances et des bons sentiments. On déguste les mots comme aucun amoureux de la Nouvelle vague ne pourra jamais le comprendre.


lundi 12 décembre 2011

L'art arme

Un an avant sa mort, William Burroughs se prête à l’un de ses exercices préférés : tirer des coups de feu. On le voit ici mitrailler le portrait de Shakespeare, scène pleine de sens pour celui qui connaît le projet global de Burroughs, son combat contre les mots et son rôle de grand bousilleur de la prose classique. D’ailleurs, les comparses du vieux Bill se moquent gentiment de lui quand il s’approche du portrait, lui assurant qu’il ne peut pas rater son coup à une telle distance ! Ce qu’ils n’ont pas prévu, ces couillons, c’est que Burroughs fasse un duel avec la légende. Il se place alors dos à la cible, fait sept pas en avant et lui décharge son feu sur la gueule. C’est ainsi que les génies doivent traiter les génies du passé. Face à face.

Evidemment, les amateurs d’analyse pseudo freudiennes peuvent y aller de leurs remarques sur ce meurtre du père si particulier. J’y verrais plutôt un geste à la Rauschenberg, quand il effaça un dessin de de Kooning en 1953.

Au-delà de la scène elle-même, on peut se demander si l’on trouverait encore un écrivain français pour se montrer dans une telle situation : l’arme au poing… Dans le concert de jérémiades qu’est devenu la littérature dans sa presque totalité, dans cette exposition permanente de petits Moi souffrant de bobos divers, dans cette course à la déprime récompensée par le Marché et ce concours général de bons sentiments non violents, y a-t-il encore une place pour ce genre de monstre ?

mardi 6 décembre 2011

C'est pas choli choli


S’il fallait relever toutes les attaques que les ligues de vertu modernes lancent contre la joie de vivre, on n’aurait plus le temps de rien foutre. En tête des ligues, bien sûr, détenteurs jaloux du label « Bien », les écologistes. Les écologistes français, précisons, les meilleurs, les plus performants. Tous les jours ou presque, ces grenouilles de saladier montent au créneau pour lâcher leurs offuscations sur les têtes qui dépassent. On insulte notre candidate ! viennent-ils de glapir, appuyés en paroles par tout ce que la France compte de faux-culs. Jugez-en : Patrick Besson a écrit un article où, phonétiquement, l’accent d'Eva Joly est reproduit. Ça donne des choses comme « Zalut la Vranze ! Auchourt'hui est un krand chour : fous m'afez élue brézidente te la République vranzaise ». Crime de lèse-norvégienne ! Assaut de la beauferie franchouillarde contre l’esprit frappeur d’Oslo! Attaque digne des heures les plus soires de notre histombe ! Racisme ! Xénophobie ! Ecolophobie ! Bobo bashing !Tout y passe, comme dans un conduit menant à la mer…

Quand les Guignols de l’Info foutaient un accent arabe à Arafat et Ben Laden, Noël Mammaire trouvait ça très drôle, mais quand sa championne à lunettes est égratignée dans ce qu’elle a d’ailleurs de moins grotesque (son accent), il crie Goebbels ! Quand deux cents imitateurs singent les tics de Sarkozy, et son phrasé, l’ensemble des écolos de France se gondolent en criant bis ! Mais si l’on ose suggérer qu’Efacholi dit ses conneries avec un accent à se pisser dessus, on convoque immédiatement la Résistance, Valmy et la Levée en masse ! Qué rigolade… Et l’accent de Giscard en son temps, et Barre, et Mitterrand, et Balladur ? J’arrête là…

Mélanchon, qui ne s’abaisserait jamais, lui, à proférer la moindre insulte en public, y est allé de sa défense des « Français nés ailleurs » dont il serait scandaleux de moquer l’accent, ni rien d’autre du reste. Il a vu ça où ? Où a-t-il pris qu’en France, on ne se moque pas des accents ? On ne fait QUE ça, à longueur de journées ! Pagnol en est plein ! L’accent, c’est le truc que Dieu a inventé pour rabattre le caquet du prétentieux qui se croit partout chez lui ! Macache : on voit tout de suite que tu viens de nulle part, norvégien ! On voit que t’es pas de chez nous, oh couillon ! C’est ça, le peuple ! C’est pas un ramassis de curés à la Mélanche qui pondèrent leurs expressions en fonction d’un code distingué, hé nouille ! Le peuple, qui s’y connaît en cons, il te fourre ton accent de merde sous le pif dès que t’a la prétention de lui pomper l’air, et il a raison ! Et il vote pas pour toi, en plus !
J’invite toutes les têtes de nœud à revoir cette admirable scène populaire, dans Gran Torino, où le vieux Kowalski / Eastwood amène son petit protégé chinetoque chez un coiffeur rital de ses amis. Le polac et le macaroni commencent à s’insulter en se traitant de bouffeur de saloperies et d’escroqueur d’aveugles. Et le Jaune devra apprendre comment se servir de la vanne raciale et à quoi elle sert : à t’intégrer dans un groupe où ton petit moi prétentiard aura d’abord été soumis à un test. Si t’es trop con, ou si t’es Mélanchon, t’as aucune chance !


Venant des écologistes, d’ailleurs, cette façon de refuser de voir clairement ce qui est limpide n’étonne pas beaucoup. Dès qu’il s’agit de leurs propres tabous, eux qui se vantent tant de leur courage politique sont toujours les derniers à voir ce que tout le monde constate. Ainsi, pour un écolo français, la criminalité, c’est uniquement le fait des cols blancs et des traders. La violence, c’est celle des flics et de Monsanto, la pollution, c’est le nucléaire. En quoi ils sont aussi partiaux et symétriquement lamentables qu'un militant UMP de base...
Puisqu'il faut donc leur ouvrir les yeux, que ce soit bien clair : dans un discours d’Efacholi, la chose la plus remarquable, c’est son accent ! Le seul truc qui mérite d’être retenu, qui fasse la différence d’avec le néant, c’est son accent ! Sans accent, cette femme passerait TOTALEMENT inaperçue. Car, dans une élection présidentielle, il ne suffit plus de dire n’importe quoi pour se distinguer : c’est devenu la règle générale. C’est ce que les sociologues sérieux appellent « le précédent Chirac ». Depuis lui, révélateur et pour ainsi dire accomplisseur de la modernité politique, il n’est plus possible d’échapper au n’importe quoi pour séduire le blaireau. Ainsi, les efforts d’Efacholi pour dire n’importe quoi sur à peu près tout, ne seraient que perte de temps si elle n’avait cet accent, seul caractère qui permette encore de la remarquer un peu.

Mais, bien sûr, j’allais oublier, il y a aussi ses lunettes. Probablement conseillée par le seul mec lucide de son camp, Efacholi a opté pour des lunettes ridicules, sortes d’œufs au plat portés à incandescence, puis appliqués directement sur le faciès. Ou, peut-être, aire d’atterrissage pour tomates, manière d’égayer les meetings. Assurément, leurres stratégiques derrière lesquels elle est censée disparaître complètement. Dans le secret de sa conscience, le conseiller en image (moouarf) a dû faire ce raisonnement à la hussarde : dès qu’elle va paraître, les journalistes et adversaires vont avoir tellement de bâtons pour la battre, qu’on va détourner leur fiel en leur agitant un joujou rouge sous le nez : pas bête ! Hélas, bien que conçues pour la gaudriole, ces lunettes se sont révélées beaucoup moins comiques que les idées et discours de la protégeuse de gazons. Aujourd’hui, c’est un drame, personne n’y fait même plus attention !

Les socialistes l’avaient bien compris : les écolos sont ingrats. Avec la candidate qu’ils ont, ils devraient remercier Besson de s’intéresser encore à elle. Au lieu de ça, ils l’attaquent, fidèles à leur sens stratégique si particulier. Soyez prudents, intégristes verts, si vous dissuadez trop les moqueurs, bientôt plus personne ne parlera de vous. Rendez-vous à la prochaine élection…