mardi 31 décembre 2013

Un dimanche comme un autre.


L’année 2013 se termine. Elle mérite plus sûrement qu’une autre le qualificatif d’année de merde. D’ailleurs, elle se termine sur une note particulièrement nauséabonde : la dérogation permanente provisoire ( !) accordée aux grandes surfaces de bricolage pour ouvrir le dimanche. Un décret du gouvernement le permet jusqu’en juillet 2015, en attendant « une loi plus stable »… Comme chaque fois qu’on veut faire une entourloupe, le gouvernement avait mandaté Jean-Paul Bailly, ancien fossoyeur du service public de La poste, pour pondre un rapport sur quoi il se base aujourd’hui pour nous entuber le dimanche. Évidemment, le rapport et les ministres jurent que le dimanche restera un jour « pas comme les autres », et qu’il n’est pas question de ceci ou de cela. Ceci ne les empêche nullement d’augmenter le nombre de dérogations que les maires pourront octroyer, d’augmenter le nombre d’ouvertures dominicales que les grandes surfaces pourront faire en dehors de l’autorisation préfectorale. Si quelqu’un doutait encore de la guerre sociale menée par la gauche PS, et de la guerre engagée contre les mots et leur sens, il va avoir de quoi être édifié.


On ne trouverait pas de moules amatrices de plateau de fruits de mer. On ne trouverait pas de vaches pro corrida, pas si bêtes. Mais on trouvera toujours des salariés réclamant qu’on autorise leur patron à les faire travailler le dimanche. Certains sont prêts à travailler douze heures par jour, quinze s’il le faut, et ne pas s’arrêter sous prétexte que la nation commémore un événement ou participe à une fête multi millénaire. Quand on a annihilé toute capacité critique dans l’esprit des gens, quand on a miné les fondements de l’autonomie intellectuelle et ratiboisé le simple instinct, la simple compréhension de son propre intérêt (au-delà du seul chiffre en bas à droite de la feuille de paie), on obtient cela : des salariés qui luttent pour leur asservissement. Le fait qu’ils soient de pauvres cons ne les exonère pas de leur responsabilité dans le crime qui se joue. Ils n’en sont pas le bras armé, n’exagérons pas, mais ils en sont l’anus ravi…

Pour que la traitrise fonctionne, il faut qu'il y ait des amateurs. Il faut que des gens y trouvent leur compte. La famille Mulliez (Leroy Merlin), par exemple, mais aussi notre voisin de pallier et les centaines de milliers d'enflés qui n'hésiteront pas un instant à utiliser le dimanche des autres pour aller pousser le caddie dans un camp d'achat. Au début, ces débiles profiteront sans complexe du fait qu'eux-mêmes ne travaillent pas dans le secteur touché, qu'ils ne sont pas manutentionnaire chez Bricorama ni caissière chez Casto. Mais comme leur kollaboration creuse la tombe du repos dominical dont ils peuvent encore jouir en commun, ils devront eux aussi, quand leur tour sera venu, faire une croix sur le repas de famille, la glandouille entre amis, le tour à la campagne, pour aller exercer leur CDI sous-payé un dimanche.

Pour le détail du décret "socialiste", chacun ira se renseigner. Notons simplement que comme dans d’autres domaines, tout procède par étapes. On commence toujours par céder du terrain sous certains prétextes, puis on s’appuie sur ces exceptions, les esprits ayant été rendus plus mous, on bricole un rapport, on change la valeur des mots, et on fait « avancer le progrès ». On se souvient que le Pacs fut voté en jurant que jamais il n’y aurait de mariage pour les gens de même sexe. Puis le mariage fut voté en jurant que jamais on n’autoriserait les mères porteuses, ni l’adoption. Et je parie publiquement que nous y aurons bientôt droit… Pour l’ouverture dominicale des grandes enseignes, on a commencé par un cadre ubuesque. En langage administratif, on appelle ça les PUCE : périmètres d’usage de consommation exceptionnelle. Certains mollassons ont admis que des zones pouvaient être exonérées de la règle commune, parce qu’il y a des touristes, parce qu’il y a d’autres commerces autour, parce qu’on y vend de l’ameublement ou de la merde en barres, parce qu’il y a un centre ville qui aurait telle ou telle particularité, parce qu’il y a mes couilles : au final, partant de cette exception faite à la règle, des intérêts surpuissants se sont engouffrés dans la brèche, ont exposé leur soi-disant particularité, ont hurlé à la concurrence déloyale ou à la fin du monde, et remportent aujourd’hui une victoire. Il faudrait être non seulement aveugle et sourd mais aussi complètement débile pour ne pas comprendre qu’ils auront la victoire finale, du moins si aucun miracle ne vient nous débarrasser des Jean-Paul Bailly et des gouvernements socialisto-libéraux de toutes espèces.

Je ne souhaite une bonne année à personne, je n’ai pas ce cynisme.

vendredi 27 décembre 2013

Le changement, c'est nazi



A la faveur d’un retentissant procès, nous apprenions il y a quelque temps, que la quenelle dieudonienne n’a rien de commun avec le salut nazi. Les nazis se féliciteront sans doute de n’avoir pas été plagiés par un demi Camerounais. On respire du côté du Berghof.

Cette semaine, rebondissement : le salut nazi serait bien de retour en France, mais cette fois, il n’est pas porté par une obscure officine burlesque ayant pignon sur ruelle du côté de la Bastille, non : par le parti socialiste !

On le sait, soucieux de préserver le corps qui l’héberge, l’esprit humain use de feintes pour gommer les plus fortes souffrances endurées. A l’aide d’artifices chimiques, il efface les grands traumatismes pour que la vie puisse continuer et que le corps ne se remémore pas trop les douleurs du passé. Ainsi, la plupart des Français ont oublié le signe de ralliement des socialistes français durant la dernière campagne présidentielle, diffusé dans un clip incroyable dont nous tirons les images ci-dessous. Ce geste, nous devons le leur rappeler, bien qu’il rappelle lui-même les heures les plus vert-de-gris de notre histoire.


samedi 7 décembre 2013

Coupe du monde de football : la France mise à l'épreuve


Le tirage au sort des tableaux de la prochaine coupe du monde de football vient de se terminer. La France connaît donc ses adversaires du premier tour, et tous les commentateurs seront d'accord : le tirage ne lui a pas été favorable.
En effet, à partir du 15 juin prochain, la France devra affronter trois redoutables équipes :
le Bangladesh,
la Syrie,
l'équipe de Monceaux-lès-Mines.

Après s'être brillamment qualifiée en venant à bout de l'Ukraine, une des plus puissantes équipes de l'histoire du football moderne, la France saura-t-elle se surpasser ?

Interrogé sur le sort de notre équipe sitôt le tirage connu, Lionel Messi déclare : "je suis bien content d'être argentin!"



mercredi 4 décembre 2013

L'irrésistible ascension de la vérité




Dimanche dernier, quelques instants avant le début de la manifestation contre l'injustice fiscale, TF1 diffuse les images de Jean-Luc Mélenchon devant ses troupes pendant le journal de Claire Chazal. "Le cortège de partisans s'étendait jusqu'à l'horizon", témoigne la journaliste impartiale.

lundi 2 décembre 2013

Escalves rech. maître, même petit




L’information n’est pas seulement un piège à cons, c’est aussi une formidable machine à en produire. Illustration.

Tout le monde sait que le type qui se prétend Président de la république a promis d’inverser la courbe du chômage d’ici la fin de l’année. La France entière s’arc-boute sur cette formule, comme si elle avait la moindre chance d’avoir un intérêt. La courbe peut bien être inversée, si elle continue de passer au beau milieu de ton cul de chômeur, ça ne change pas grand-chose. Mais passons.

Les chiffres du chômage sont incomplets. Pôle emploi annonce chaque mois les chiffres des chômeurs n’ayant eu aucune activité le mois précédent. C’est ce qu’on appelle la catégorie A. Or, de nombreux chômeurs signent un CDD court, par exemple, ou un contrat d’intérim. Ils travaillent mais restent inscrits comme chômeurs, car leur situation n’est pas durable. Si ils déclarent moins de 78 heures de travail, ils sont basculés dans une autre catégorie (B). S’ils travaillent plus de 78 heures, ils passent en catégorie C. Quoi qu’il en soit, ces gens doivent être considérés comme des chômeurs, ils n’ont pas trouvé un CDI à temps plein, ils demeurent des chômeurs qui ont, pour quelque temps, un emploi.
Pour être encore plus précis, ces deux catégories B et C sont le marqueur d’une engeance aussi collante que le chômage : la précarité. Elles représentent les gens qui vont de petits extras en CDD, de micro contrats en boulots de merde. Ces deux catégories méconnues représentent 1,5 millions de personnes, et le type qui a été désigné Président de la république n’en parle pas. Si l’on doit évoquer les chômeurs en France, il faut donc parler d’au moins 4,8 millions de personnes, sans même compter les deux dernières catégories (D et E) ni les gens d’outre-mer. Rappelons que c'est sous Giscard que la France est passée au dessus de son premier million de chômeurs. On voit le progrès réalisé en quarante ans grâce aux politiques  lancées à grands coups de menton, et, bien sûr, grâce à l'Europe.


mercredi 16 octobre 2013

L'artiste engagé



Nous avons pris l’habitude d’entendre des artistes, musiciens, comédiens, cinéastes, boute-en-train, donner leur avis sur à peu près tous les sujets traversant l’actualité. Ainsi, nous apprenons qu’une chanteuse à l’eau de rose s’oppose à la Politique agricole commune, qu’un plasticien engagé déplore la fin de l’indexation des retraites, ou qu’un écrivain quasi ermite, consulté sur la modération des taux directeurs de la banque centrale du Botswana, confie sans ambages qu’il est plutôt pour.

Cette tendance est assez récente : la célèbre interview de Brel, Brassens et Ferré par François-René Christiani en 1969 n’abordait presque aucun de ces sujets généraux, et les trois artistes s’y montrèrent assez prudents. En gros, aussi surprenant que cela nous paraisse, on les interrogea surtout sur leur art : la chanson.
Hélas, depuis lors, négligeant toute prudence, des artistes d’un calibre beaucoup plus modeste se font presque une spécialité d’intervenir sur tout à grands coups de gueule. Plus que d’analyses, c’est de leur simple opinion qu’ils nous gratifient, en vertu du principe que les opinions se satisfont d’elles-mêmes, sans avoir à répondre de la vérité, de la justesse ni de la cohérence.

mardi 15 octobre 2013

Guiomar EST Bardamu


Je n'ai pas eu la chance d'entendre les spectacles de Luchini sur Céline. Cela viendra peut-être. Luchini est un grand acteur, un artiste complet, et sa passion pour Céline est absolument réelle. Mais voilà, quoique fils du peuple, il n'a pas la gouaille. Il n'a pas le physique. Il lit et comprend Céline, mais sait-il vraiment l'interpréter ? Ne l'ayant pas vu, je garde ce point d'interrogation sous le coude et y ajoute un triolet de suspension...

Un qui a su le faire, à coup sûr, c'est Julien Guiomar, l'acteur énorme. Écoute ça, lecteur incrédule, et dis-nous si tu imagines un accord plus parfait entre un texte et le mec qui le dit!

J'ai extrait cette perle d'une émission sur l'architecture de l'impeccable François Chaslin, sur France Culture. Je suis preneur de toute information sur le document complet, s'il existe, et suis prêt à buter pour l'obtenir. Qu'on se le dise...



vendredi 11 octobre 2013

Plantu bricole le dimanche




Evidemment, Plantu a toujours été et sera pour l’éternité une sorte de merde. Un bien-pensant comme on n’ose plus les imaginer, comme on n’en trouve plus même dans les romans d’Alexandre jardin, une machine à penser comme un manche qui plastronne depuis un demi millénaire dans le plus formidable torchon de la presse globale. Evidemment, nous ne sommes pas encore assez séniles pour penser à « commenter-le-dessin-de-Plantu », cet exercice qui définit le con aussi sûrement qu’un thermomètre mesure le réchauffement des haricots. Nous pouvons même nous vanter de nous en foutre énormément, du dessin de Plantu, et à longueur d’année de nous en torcher le figne en guise d’hommage.
C’est pas compliqué : le con-qui-commente-le-dessin-de-Plantu est généreusement partisan de tous les lieux communs, de toutes les certitudes de benêt que ce gribouilleur étale sans frémir sur le puant fleuron de notre presse crevée. Il a même un credo, une conviction d’ordre religieux qu’il claironne de toute la force de son museau dégoûtant : « un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ». Là, quand on atteint ce degré de niaiserie, il n’y a plus que l’euthanasie. Quand on se montre aussi fier de sa bêtise, il n’y a plus qu’à prier pour le retour de la grippe espagnole. Quand un imbécile est si sûr de son impunité, quand il ose exprimer un tel étron verbal, il n’y a plus qu’à distribuer les armes à la populace, et que tout finisse dans un bain de sang !
(Faites un essai : tapez « Plantu » sur gougeule et jetez un œil aux dessins qui en sortent : vous saisirez immédiatement les nuances entre « affligeant », « médiocre », « lamentable », « poussif », « pas-drôle-du-tout », « à vomir » et « absolument à chier ». Vertu du dessin plantudesque, sans doute : il en dit plus long dans l’infâme que de longues définitions !)

dimanche 6 octobre 2013

Les enculés du dimanche



Le Leroy Merlin de Cochons-sur-Marne est dirigé par un entrepreneur si fier de sa mission qu’il n’a pas hésité, en ce dimanche 6 octobre 2013, à ouvrir le magasin, bravant la loi, la tradition, les Églises, les syndicats et le socialo-bolchévisme. Ses salariés volontaires ont donc répondu à sa demande comminatoire et n’ont pas craint de quitter conjoints et enfants pour accomplir une mission bien plus haute que la vie de famille, bien plus glorieuse que l’existence humaine, bien plus rémunératrice qu’une visite à une vieille mère veuve crevant de solitude : vendre du profilé de 12 et de la cheville Molly pour dix euros trente de l’heure.

Hélas, si les autorités ne protègent plus la loi et l’intérêt général que d’une couille molle, certains citoyens restent déterminés à défendre un privilège des plus odieux : celui qui consiste à pouvoir jouir ensemble de ce que la vie leur donne avec parcimonie : du temps. Ce matin, donc, une demi-heure après son ouverture, le Leroy Merlin de Cochons-sur-Marne a été envahi par deux cents solides gaillards enduits de vaseline, encouragés du dehors par autant de dames, au son des fifres et des castagnettes. Soudain, pour les cadres et employés du lieu, il ne s’agissait plus de braver la loi dans le sens du vent libéral, il ne s’agissait plus de courir un risque par la procuration que donnent l’appui d’une immense puissance, d’une fortune considérable et d’un troupeau de députés aux ordres, il s’agissait de faire face à deux cents mastards dénudés, déployant leurs chybres sous l’œil impuissant des caméras de surveillance. Ce sont d’ailleurs ces caméras, hackées comme à la parade, qui diffusèrent en direct dans tous les autres magasins du groupe les scènes qui s’ensuivirent, et qui n’améliorent certes pas à l’extérieur des frontières, l’image de notre pauvre pays. Quand on pense que cette forfaiture s'est déroulée dans une enseigne connue pour sa grande délicatesse, qui avait su allier le bon goût français et l’excellence entrepreneuriale qui caractérise les plus belles réussites tricolores…

Le commandant de gendarmerie Foufinaud, arrivé sur les lieux après la bagarre avec ses troupes, m’a personnellement livré quelques éléments.

Beboper
Monsieur le commandant, pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
Le commandant Foufinaud
Nous sommes encore en recherche d’éléments, mais je peux d’ores et déjà vous relater le contenu des images diffusées par les caméras de sécurité. Il s’agit, et le mot n’est pas trop fort, de la plus grosse enculerie que j’aie vue. Et pourtant, j’ai fait mes classes sous François Mitterrand !
Beboper
Que voulez-vous dire ?
Le commandant Foufinaud
C’est simple : tous les salariés présents ce dimanche matin viennent de subir une attaque terroriste d’un genre nouveau, au modus operandi bien particulier.
Beboper
C'est-à-dire ?
Le commandant Foufinaud
L’enculade collective.
Beboper
Les assaillants ont enculé les vendeurs de bricole ?
Le commandant Foufinaud
Exactement. Tout le monde y a eu droit. C’est un crime contre l’humanité.
Beboper
Il s’agit donc de viols ?
Le commandant Foufinaud
Ce n’est pas si sûr : il semblerait qu’au moment de l’assaut, les employés de Leroy Merlin avaient déjà le pantalon sur les chevilles.
Beboper
Comme s’ils s’attendaient à être enculés ?
Le commandant Foufinaud
Je dirais même comme s’ils étaient venus pour ça…L’enquête doit suivre son cours. Quoi qu’il en soit, les salariés défoncés ne pourront pas prétendre qu’ils ont absolument tout fait pour éviter les coups de bites. Venir travailler les fesses à l’air, ce n’est quand même pas prudent.
Beboper
Que la France vous entende, mon commandant ! Avez-vous pu arrêter ces sodomites ?
Le commandant Foufinaud
Non. Ils se sont égayés dans la nature comme des faunes.
Beboper
Pouvez-vous nous dire ce que font les employés de Leroy Merlin en ce moment ?
Le commandant Foufinaud
Eh bien, c’est assez incroyable, ils ont repris leur travail comme si de rien n’était. Chacun a repris sa besogne et ne manifeste aucune surprise. Nous n’avons pour l’instant aucune explication à ce phénomène. Ils ont même décliné notre offre de soutien psychologique !
Beboper
Un peu comme si l’action de se faire enculer ne les avait pas surpris outre mesure, en ce dimanche laborieux ?
Le commandant Foufinaud
En tout cas, les professionnels de notre cellule de soutien psychologique semblent bien plus désemparés que les victimes de l’attaque.
Beboper
Mais, dans ce cas, que font vos hommes ici ? Avez-vous été alertés par la direction de Leroy Merlin ?
Le commandant Foufinaud
Pas du tout. Les dirigeants ne voient pas pourquoi les forces de l’ordre se mêleraient de l’enculage de leurs salariés (qui, je le rappelle, sont ici par la grâce du volontariat), et nous sommes déterminés à respecter la liberté de venir travailler. Nous avons en fait été appelés par les clients.
Beboper
Ont-ils eux aussi subi les gros zobs ?
Le commandant Foufinaud
Non, les terroristes du gland les ont tous laissé sortir du magasin pendant qu’ils y commettaient leur forfait. Dehors, les femmes les attendaient avec des canons à goudron et des sacs de plumes. Nous pouvons parler de carnage.
Beboper
Comment ? Ce gros tas dégueulasse derrière nous, c’est un amas de clients ?
Le commandant Foufinaud
Oui, on ne sait combien ils sont là-dessous au juste, nous allons les arroser de glycérine pour tenter de dissoudre un peu le goudron. Puis nous gratterons le reliquat à la pelleteuse. Ensuite, nous verrons bien s’ils peuvent encore servir.
Beboper
Pourquoi ne pas les laisser en l’état, et en faire un monument à la gloire de la consommation ?
Le commandant Foufinaud
Je n’ai pas les compétences artistiques pour une telle initiative.
Beboper
Oh, je vois deux employés de Leroy Merlin en train de prendre leur pause nicotinée. Puis-je me permettre ?
Le commandant Foufinaud
Faites.
Beboper
Bonjour messieurs. Alors, comment vous sentez-vous ?
Les deux couillons
Comme un dimanche !

mercredi 25 septembre 2013

Les quenelles de la honte




Le président
Madame et messieurs. Vous êtes appelés devant ce tribunal en tant qu’experts, pour apporter tous les éclaircissements techniques sur l’affaire que nous jugeons aujourd’hui. Je ne crois pas devoir vous rappeler l’extrême gravité de la chose jugée ici. A travers ce tribunal, c’est le pays tout entier qui attend des réponses. Nous vous demanderons d’abord de vous présenter. Madame ?
Nassima Chenalfi
Je m’appelle Nassima Chenalfi, j’ai vingt-neuf ans. Je suis propriétaire d’un salon de prestations de services
Le président
Plus précisément ?
Nassima Chenalfi
…Prestations de services de relaxation
Le président
Plus précisément ?
Nassima Chenalfi
Relaxation horizontale…
La Défense
Madame Chenalfi veut dire par là qu’elle suce des bites.
Le Président
Vous sucez des bites !?
Nassima Chenalfi
Pas seulement ! Nous apportons à notre clientèle une gamme de prestations construites sur un diagnostic partagé, au regard de ses besoins, de son budget mais aussi des innovations induites par nos investissements Recherche & Développement. Nous délivrons par exemple un panel de trente-huit massages de types différents, issus des cultures du monde, dans une démarche radicalement équitable.
Le président
Avant ou après le suçage de bite ?
Nassima Chenalfi
Avant, monsieur le Président ! Le massage, c’est toujours avant. Ha, et j’oubliais : dans mon métier, on a l’habitude de m’appeler Cindy.
Le président
Très bien, Cindy. Au suivant de ces messieurs.
M. Branquy de la Fouaf
Jean-Eudmond Branquy de la Fouaf, psycho-sociologue, docteur en psycho-comportementalisme comparé. Je suis entre autres l’auteur de « Nazisme et démocratie », de « La menace fasciste dans les couloirs de bus » et du « Parc d’attraction hitlérien », un roman réaliste…
La défense
Bigre !

samedi 14 septembre 2013

Suicidez-vous !





Communiqué : France-Culture et la fondation Jean Jaurès jouent un jeu dangereux. La récente publication d’un ouvrage affichant les noms de Mauroy, Hollande, Désir et Aubry en sa page de couverture (sans oublier Michèle Cotta) ne constitue-t-elle pas une pure incitation publique au suicide ? Ne relève-elle pas clairement de l’article 223-13 du Code pénal ? A-t-on le droit de suggérer, par une image, qu'une vie socialiste consiste à jouir d'un parterre de roses dans un parc sécurisé, loin des périphériques et de la crasse répandue ?
Et nous, avons-nous le droit de laisser faire ce genre de choses, quand on sait qu’un individu un peu faible, un adolescent égaré, une femme enceinte, un sanpapié, est susceptible d’ouvrir innocemment l’ouvrage et de voir, sans avertissement, s’étaler devant lui l’obscénité au bras de la torpeur ?

Nous demandons à tous les hommes de bonne volonté et à tout individu responsable d’interpeller son maire, son député (c’est souvent la même personne), pour que cesse cette provocation, et que la justice passe.

Nous demandons au Congrès américain d'intervenir !


jeudi 15 août 2013

Education anglaise




Enculé ! Youpin ! Espingot ! Jap ! Nègre ! Bougnoule ! Tantouse ! Tafiole ! Lopette ! Gonzesse ! Nabot ! Débile ! Fillette ! Mongolito : chacun en conviendra, ces mots rappellent les heures les plus malpolies de notre histoire. Ils sont désormais considérés comme « inacceptables » par le club de football de Liverpool, qui en a dressé la liste et peut probablement résilier le contrat d’un salarié en cas d’utilisation (en français, on appelle ça un dérapage). On respire.
Pressés par une moralité publique de plus en plus sourcilleuse, pudibonde, répressive et sûre de son bon droit, les dirigeants du club ont dû pondre un règlement intérieur digne du théâtre comique, et l’afficher à la face du monde. C’est en effet cela qui étonne le plus : la conjonction de la plus grande bouffonnerie et de la plus grande publicité. C’est que la bouffonnerie, au moins quand elle nage dans l’ordre moral, passe désormais pour de la vertu, et ne déclenche plus les rires. Il suffit de lire l’article tiré du Guardian pour s’en rendre compte : aucune distance, aucune ironie, même sous-jacente, aucune retenue dans l’exposition de faits considérés « normaux » et allant de soi…

Pourtant, cette liste-là est harassante de ridicule. Dans sa forme et dans son fond, elle ne peut réjouir que des trous du cul (insulte non répertoriée, donc valide).
D’abord, elle est extrêmement incomplète : si « bougnoule » est illicite, « crouille » peut-il être utilisé sans dommage ? Et « polack », et « rital », et « froggie » ? C’est le problème des listes : elles discriminent ce qu’elles ne contiennent pas. Faire une liste d’insultes prohibées, c’est faire insulte à toutes les autres ! C’est considérer que certaines insultes ne sont pas très insultantes, qu’elles ne blessent qu’à moitié. Ou, peut-être, mais j’ose à peine l’envisager, c’est considérer qu’il est moins grave de traiter un Français de « grenouille » qu’un Juif de « youpin » ? Sans compter les cas, proprement cornéliens, des français-juifs ! Et que dire du footballeur moyen qui se voit traiter de « sale con » ? Quel recours aura-t-il, ce naze, puisque « sale con » n’est pas dans la liste noire ?

lundi 29 juillet 2013

J.J. Cale n'est plus.




J.J. Cale parlait peu de lui-même. Il n'aimait ni les interviews, ni les lieux exposés, ni les emmerdeurs. Il a vécu pour son art, instruments en mains, à son rythme. Il devait bien rire des articles qu'il inspirait, où les mêmes choses sont répétées cent fois, son accès à une gloire discrète grâce aux reprises qu'Eric Clapton fit de ses chansons, l'influence qu'il eut sur tant de célèbres vendeurs de disques, mieux armés que lui pour plaire aux multitudes.

Ce qui saute aux oreilles, chez lui, c’est qu’il continue de comprendre ce qu’est le blues après qu’un siècle a passé dessus. Il y apporte sa note sans tomber dans les répétitions de formules convenues, que chaque nouveau gratteur de guitare apprend très tôt pour n’en plus sortir. Les formules, il a su créer les siennes, et les exploiter sur plusieurs décennies. On lui a reproché ça, d’ailleurs, cette propension à refaire les « mêmes » morceaux, comme si les bluesmen, comme si les musiciens de reggae faisaient autre chose que jouer les « mêmes » morceaux…
Mais J.J. Cale n’est pas seulement un chanteur de blues, sa musique est enrichie des nuances du jazz, du country folk et d’une forme personnelle de rock. Opération de mélange dans laquelle il a réussi à ne pas oublier le blues, à en conserver la structure et l’esprit, non les formes épuisées.


mardi 23 juillet 2013

Les gens qu'on aime : Denys de La Patellière.



Nonagénaire, Denys de La Patellière vient de mourir, ce 21 juillet. Un jour pas plus moche qu'un autre pour mourir. Il était un des derniers représentants du cinéma populaire français des années 1950 et 1960, conçu comme tel, pour la distraction du public. Comme tant d’autres, il fut attaqué par les champions de la Nouvelle vague, dont on ne peut soutenir la plupart des films aujourd’hui. Les Cahiers du cinéma écrivirent que ses "films valent ce que vaut Gabin, et Gabin ne vaut rien". Fallait oser...
René Château affirme que le cinéma commercial d’autrefois est le cinéma classique d’aujourd’hui. Le cinéma fait par des artisans fiers de l’être, qui cherchaient à plaire au plus grand nombre sans l’abrutir de spectacles idiots. Sans cette exigence-là, bien sûr, on sait le genre d’âneries que l’ambition commerciale est capable de produire. Ceux qui furent voués aux gémonies par un groupe d’idéologues, qualifiés d’archaïques, de poussiéreux, sont reconnus comme des grands par le suffrage du temps. Denys de La Patellière y a sa place, à côté des Verneuil, des Grangier, des Lautner, des Autant-Lara, des Granier-Defferre…

Il faut dire qu’il y a populaire et populaire. Dans un film de La Patellière, quand Jean Gabin cause vélo dans un bistrot, il le fait avec les mots de Michel Audiard. Il n’est pas laissé à lui-même, ni tenu d’imiter ce qu’il a pu entendre le dimanche d’avant en prenant l’apéro chez René. C'est une partition au mot près, servie par un interprète de génie. Tout est affaire de transposition. C’est l’exacte différence d’avec le cinéma d’un Abdellatif Kéchiche, par exemple, qui ne cherche pas à traduire les nouvelles façons d’être d’un certain peuple, mais à les mettre telles quelles dans ses films. Il fait passer dans ses films, mais sans se l’approprier, une langue d’analphabètes, une langue faite pour résister en milieu hostile, langue d’une pauvreté navrante, qui ne chante pas, qui n’évoque pas, une langue qui ne sait que cracher et mordre. D'où l'écrasante impression de vulgarité qui nous saisit. Certes, il donne une exposition aux gens qui la parlent, et qui sont censés être « le peuple ». Mais on peut se demander si cette exposition leur rend service.
Or, quand on revoit les films de La Patellière, grâce à la transposition artistique et à l’œil du cinéaste, on admire ce peuple, et on est fier d’en être.



Le conseil de tonton Beboper : si vous ne les connaissez pas, voyez sans tarder Retour de manivelle, Le bateau d'Emile, Un taxi pour Tobrouk, Le voyage du père, Les grandes familles, et Rue des prairies...

vendredi 28 juin 2013

LFQSTLARAFTEUC



Les films que si tu les aimes, rien à faire, t’es un con (LFQSTLARAFTEUC)


Il est hors de question de traiter ici la navrante catégorie des nanars. Les nanars ont la cote, non plus tant auprès du public qu’ils visent, mais chez les petits malins. On les rassemble sous blogs, on en fait des analyses, on se les refile, et c’est en connaisseur qu’on en apprécie les tares. Aimer les nanars, quand on est cinéphile, c’est faire beaucoup d’honneurs aux foirades. Un peu comme si on se ruait dans les mauvais restaurants, qu’on achète les disques de chanteuses qui chantent faux ou qu’on prenne par plaisir les autobus les plus bruyants, et qui tombent en panne au milieu du trajet. Le succès des nanars, c’est le mélange final du snobisme et du mauvais goût. Cette perversion porte un nom scientifique : le second degré.
Oh, au moins jusqu’à un certain point, on pourrait accepter le second degré, mais à la condition qu’il y en ait d’abord un premier. Or, dans un nanar, justement, le premier degré est toujours affligeant, lamentable, torpide. Et puis, on aime toujours le nanar pour se moquer de son auteur, voire de ses fans. Et c'est se moquer à bon compte : quel mérite y a-t-il à se foutre d'un film de poursuites en bagnoles et de coups de pieds, avec Nicolas Cage et Sandra Bullock en vedettes ?

Plus que tout autre argument contre les nanars, il y a celui-ci : notre temps est compté. La condition humaine étant ce qu’elle est, j’attends qu’on m’explique pourquoi certains dépensent des milliers d’heures de leur vie à regarder des films sordides en s’en moquant. On dirait des connards amusés de passer leur vie avec une femme laide et méchante, quand ils auraient le moyen d’en avoir une gentille et splendide.


La révolution dans ton cul



Vous me direz : qu’est-ce qu’un article de presse ? Que vaut le papier d’un journaliste ? La plupart du temps, pas grand-chose. On ne saurait s’appuyer sur cette manne de médiocrité pour se faire des idées, certes. Mais l’article que je propose ici n’est ni une référence, ni une caution de sérieux : c’est un modèle de naïveté qui rendrait son sujet amusant s’il n’était pas si tragique. L’avantage du naïf, c’est qu’il dit des vérités sans soupçonner ce qu’elles révèlent. Il ne s’en méfie pas, et pose donc les choses on ne peut plus clairement. Jetons donc un œil sur les lignes de ce poussif…

L’iranien moderne et sa femme vont donc pouvoir faire une révolution avec leurs culs : c’est toujours ça que les mollahs n’auront pas ! S’il faut croire ce journaliste sur parole, les iraniens entrent dans la modernité le pantalon sur les genoux. Bonne méthode : nous qui y sommes jusqu’au cou, nous savons que c’est la meilleure façon non seulement d’y entrer, mais d’y faire carrière. Mais que promettent ces spectaculaires changements ?
Pour le journaliste, ce n’est « ni positif, ni négatif ». Qu’on en juge : augmentation des divorces, des avortements, de la prostitution, de la prostitution masculine, perte du rôle des familles, baisse de la natalité. Ce que ne dit pas le neuneu, c’est que ces joyeusetés ne sont qu’un début. Nous pouvons sans peine imaginer la suite logique de cette modernisation ni positive ni négative : perte de l’autorité, rébellion des pré-adolescents, rejet des valeurs désuètes (respect, politesse, goût du savoir, traditions, etc.), individualisme, explosion de la criminalité et de la délinquance, érotisation de l’espace public, emprise de la pornographie, consommation de masse, Mc Donald’s, etc. Ni positif, ni négatif : moderne !

Évidemment, c’est de notoriété publique, une révolution ne saurait être négative. On ne sait pas vraiment pourquoi mais la société la plus bourgeoise de l’histoire humaine (la nôtre) passe son temps à rêver de révolution. Rêver pour éviter d’en faire. En parler pour en rester là. L’évoquer pour la conjurer, comme les enfants s’efforcent de faire du bruit quand ils rentrent de l’école la nuit tombée, en hiver, et que l’obscurité silencieuse est chargée de fantômes. Brrr ! On ne fait plus de révolution par chez nous, d’accord, mais on a le T.shirt du Che ! Et puis on s’enflamme pour la première manifestation de lycéens venue, comme s’il s’agissait du grand soir.



On a beau dire, le monde moderne a démocratisé la révolution, il l’a mise pour ainsi dire à portée de main. Le plus fainéant, le plus timoré d’entre nous peut toujours se rabattre sur une révolution à sa mesure. Chaque saison propose la sienne : la révolution numérique, la révolution du surgelé, la révolution des vols low cost, la révolution de la fibre optique, la révolution du gel fixant : nous passons d’une révolution à l’autre sans même prendre la peine de couper une tête. Bien sûr, les révolutions proposées sont des ersatz, on n’y retrouve plus l’authenticité des émeutes du temps jadis, ni les lynchages furieux qui leur donnaient cette patine rare. Mais à la qualité perdue répond la quantité : au nom de quoi refuserait-on à quiconque le droit à la révolution ?

Orgueil de la démocratie : l’égalité. Il ne saurait être question de réserver quoi que ce soit à un petit nombre. Le petit nombre, c’est le diable (sauf, bien sûr, quand le petit nombre est homosexuel – mais passons). Ainsi, l’éducation doit être « la plus large possible », la culture doit désormais être « pour tous », tandis que chacun à droit à la propriété, à manger de la viande, à partir en vacances au soleil, à cinq fruits et légumes par jour, etc. Dans tous ces cas, bien sûr, la jouissance égalitaire aurait de quoi se plaindre : l’éducation est certes « la plus large possible », mais elle n’éduque plus vraiment ; la culture est « pour tous », mais il s’agit surtout d’aller voir des concerts d’Olivia Ruiz. Et ne parlons pas de la qualité de la viande ! La révolution, c’est un peu pareil : les Iraniens la firent une bonne fois, il y a 35 ans. Maintenant qu’ils entrent dans la modernité, ils vont pouvoir la faire trois fois par semaine, mais avec des préservatifs.

dimanche 2 juin 2013

La prison pour tous, dans le respect.




Najat Vallaud-Belkacem est ministresse des droits des femmes. A ce titre, dans le sillage de son action pour une égalité absolue entre filles et garçons dès l’école maternelle, elle vient de proposer une mesure qui la fera certainement entrer dans l’Histoire. Cette mesure se résume dans son intitulé : mixité et respect dans les prisons françaises. En visite à la prison de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) avec sa collègue Taubira, elle a dévoilé les principes du changement de paradigme qu’elle compte mener à bien.

dimanche 19 mai 2013

Un cul



Hommage à Robert Crumb

(suggestion de lecture : à haute voix)
La surprise de son cul explosa devant moi comme une titanesque bombe. Il y eut une musique, une bribe tanto allegro rappelant le Messie de Haendel, trois accords pleins et totalitaires, bouffant l’atmosphère de leurs oscillations lourdes, un vacarme tout en force alliant les plus terrestres basses, une cavalerie de triolets débridés et le bombardement sourd de percussions, toms synthétiques, grosses caisses de fanfare, éclats de cymbales et marimbas cinglants. Ce cul m’apparut comme la conclusion d’une symphonie dantesque et démodée, mais qui produit toujours le même effet qu’à sa Première : le scandale des émotions insoutenables. Dans une œuvre musicale, le final tonitruant est destiné à laisser l’auditeur décontenancé par le silence qui suit, à faire résonner en lui, dans une sorte d’inconscience groggy, l’énergie de l’œuvre terminée. L’auditeur ainsi assaisonné est invinciblement tiré vers les cimes d’un enthousiasme qui se manifeste même chez les plus timides. Mais là, que pouvait bien signifier ce fracas divin, et comment imaginer l’opéra qu’un tel éclat couronne ?



Ces trois accords époustouflants pénétrèrent en moi comme un train fou dans un tunnel paisible. L’ampleur sonore m’absorba aussi soudainement que le feraient cent mille litres de peinture blanche jetés sur une minuscule tâche de noir. Je suffoquai, cherchai mon souffle, les yeux sortant de la tête, le regard pris par une boulimie instantanée, déjà désespéré d’en perdre une miette (mais à ce niveau, on bâtirait des mausolées autour des miettes !). Je peux donc affirmer que la musique de ce cul m’atteint avant le souffle même, avant l’effet mécanique attendu de ce genre d’attentat. Bien plus tard, en racontant mon aventure autour de moi, on m’a opposé le fait qu’une apparition, aussi soudaine soit-elle, ne produit aucun bruit. Plus le temps passe, plus l’assurance des imbéciles progresse. Bien-sûr qu’il y a de la musique dans la vie ! A des moments d’intensité inhabituelle, les plus sensibles d’entre nous entendent de la musique, c’est bien connu. Croyez-vous par hasard que les cinéastes ont inventé un artifice, et que seul le cinéma fait entendre des violons quand une femme se décide à vous dire « je t’aime » ? N’avez-vous jamais entendu le petit air qui se déclenche quand vous regardez des photos de famille et qu’apparaît l’image de ce petit cousin, mort à huit ans, avec qui on passait des vacances superbes d’innocence et de liberté ?

Le souffle donc me manqua. Je ne respirais plus. J’avais la bouche ouverte, mais tous mes réflexes vitaux se concentraient dans un acte bien plus capital que respirer : je matais. Du plus profond de mon corps monta une vague de chaleur déferlante, ou bien est-ce réellement la chaleur déclenchée par l’apparition de ce cul, partout où il passe, qui me fit roussir – je ne sais. Mon cerveau ? Mon esprit ? Oh, tout ce que j’ai appris, tous mes efforts pour nourrir l’être pensant que je suis se résumaient soudain en une seule et unique formule stupide : « c’est pas vrai… c’est pas vrai ! »
J’avais devant les yeux le cul le plus formidable qui fut jamais contemplé, une masse de chaire ferme et souple, ondulante et puissante, large et serrée, un paquet d’énergie brute contenue dans les voiles d’une jupe ajustée par un génie, taillée par un Dieu, une entité à la géométrie nouvelle, parfaitement sphérique mais avec de telles nuances ! de tels changements ! des masses plus prononcées ici, des glissements subtils là, un méplat à couper la chique au plus blasé des pédérastes, THE méplat, la piste d’envol des reins, le contrefort des joies et des aventures alpestres, la courbe inouïe par laquelle se forme un cul, qui fait saillir les fesses dans le reste du monde, un élan de vie qui emmerde la pesanteur et ses lois pour flapis, le cul qui enchante le cosmos, qui fait s’élever les montagnes et se tordre les continents (car il est établi que la tectonique des plaques s'explique par l’espoir des terres du monde entier d’apercevoir ce qui appartenait à mon regard à ce moment là), la plus parfaite forme de vie de l’histoire de la Vie, ces deux sphères d’amour blotties l’une contre l’autre, qui produisaient en bougeant un mouvement qu’il me faudra renoncer à décrire mais qui est l’appel, la prière que lance la beauté à l’univers entier, un appel où il est dit qu’il faut se contenter de vivre en face de ce cul (si le cœur tient, évidemment), en attendant la fin du monde. Le galbe changeant de ce couple de fesses traduisait en lignes courbes le poids de l’ensemble, poids qu’on ne peut bien-sûr pas deviner mais qui imprimait sur le fin tissu de la jupe une pression aimable, juste, qui promettait des découvertes nouvelles, des surgissements frais, une explosion renouvelée quand elle se libérerait. 

Ce cul vivait.
Désormais, pour le reste de ma vie, son image ferait partie de moi, je me coucherais et me lèverais avec lui, et toutes mes nostalgies se rapporteraient à lui, le Cul des Mille et Une Nuits, qui ne finit jamais. Comme on est fasciné par une puissante houle qu'on observe d’une petite hauteur, je m’abîmais dans les torsions de ce Cul, dans les gonflements soudains produits par ses déplacements, et la brillance du tissu, augmentée chaque fois par le jeu de ces globes sauvages, faisait naître un soleil nouveau à chaque ondulation de la croupe. Me chauffant à la chaleur de cet astre, j’observais sans comprendre les transformations d’un monde encore lointain mais animé d’une vie éclatante : le Cul, mû par un instinct propre, prenait le contre-pied du mouvement de la taille, ondulant avec insouciance comme une fillette magnifique sur une balançoire, avec la légèreté d’une enfant et l’assurance d’une révolutionnaire de Delacroix, il tendait l’une de ses fesses quand la jambe se lançait en avant et ramassait en un paquet dur comme un marbre fin l’autre fesse, celle qui forme au-dessus de la jambe portante un chapiteau à faire pâlir les plus immodestes ciseaux.

Ce roulis annonçait un océan infini, sans limites connues.



Sa danse imprimait à l’horizon même un balancement lancinant dont le naturel s’imposait comme une loi universelle, et moi, frêle esquif, j’étais aspiré sans conscience vers le cœur battant de ce maelström surhumain. Autour de nous, plus rien. Seul face à la plus impressionnante manifestation d’un destin d’homme, je reconnus dans ce dieu culier l’élément qui m’avait toujours manqué pour sombrer à âme perdue dans le mysticisme total, celui qui ne doute plus, qui accepte tout, qui dit oui au plus improbable racontar, qui vénère trois cailloux lisses érigés en haut d’un mât, la force qui pousse le paralytique à franchir des montagnes sur le ventre, le mysticisme qui sait voir dans la nuit épaisse et peut bâtir une légende sur des siècles d’ignorance crasse. Je me convertis sur-le-champ, franchissant dans un même élan le Jourdain et le Rubicon. Dans mon esprit, à la vitesse de la pensée, se formaient des prières, des appels, des incantations nouvelles. La sainte histoire de cette apparition supérieure déroulait ses chapitres incroyables à mon scribe intime, très surpris d’avoir autant de matière après l’indigence où il était tenu depuis des lustres.
Pour moi seul désormais, le Cul des culs s’incarnait dans une sorte d’animal humain libre et fier, gai comme une fleur qui s’ouvre sans retenue, et s’offrait à mes yeux brillants de larmes. Son balancement avait le naturel simple des ramures qu’un doux vent anime, rien dans sa geste ne semblait forcé, affecté ni outré, bien que sa mesure en tout dépassât ce qui vit sous le ciel depuis le Déluge, au bas mot, et que parler d’outrance à son sujet ressemble fort à ce que l’art d’écrire à fait de plus contenu. Alternativement, chaque fesse bondissait (mais avec lenteur, comprenez-vous ?), se contractait comme un organe vital plein de sève, poussant dans une unité parfaite l’autre fesse sur le côté, triomphant un court instant, s’effaçant au profit de sa jumelle, reparaissant encore, et encore, régulière comme le pouls d’un astre immense. Ah ! qu’elle était libre cette croupe de feu, lourde et légère à la fois en son enveloppe de tissu jaune pâle, tendu et détendu avec perfection, rythme et souplesse. Et comme ce tissu cachait et montrait à la fois ce que l’esprit ne peut concevoir tout seul, et combien il participait à la feria en nimbant de presque rien ces muscles ronds, puissants, lourds, toniques, vifs, denses et tendres, ce Cul admirable entre tous les prodiges pour avoir réussi la synthèse de la force et de la douceur, de l’énergie et de la paix, du rythme vivant et de l’éternité.

L’alternance des frottements attirait le voile de la jupe dans la partie supérieure du sillon central, au dessus des fesses, et ça faisait comme un souffle, une respiration légère, une scansion hypnotique. Parfois, comme par jeu, les fesses pinçaient le tissu sur quelques centimètres, divisant l’univers en deux cellules parfaites se répondant, yin et yang bombés et ronds comme des gongs de Chine.

J’avalai ma salive.
Le Cul venait de cesser sa marche. Rejetées en arrière dans une position de repos, les fesses soudain irradiaient une élégante puissance jamais encore vue. Elles se dressaient face à moi, parfaitement immobiles, sans que l’élan de leur course ne réussisse à faire seulement frémir leur surface lisse, sans aucun pendouillement, altières comme des biches en pleine santé.


Equilibre
Symétrie
B e a u t é   t o t a l e
Plénitude.

(Il me semblait qu’un petit engin extra-terrestre allait d’un moment à l’autre se poser sur le haut de ce Cul, et qu’une nouvelle race d’êtres vivants en ferait un tremplin pour conquérir le monde sans coup férir. Qui pourrait s’opposer à cette force ?)
La largeur et la profondeur s’alliaient devant mes yeux comme dans la plus belle formule mathématique. Partant des hanches (pleines comme des mangues sur-gorgées de jus !), les extrados encadraient une masse qu’on devinait portée par des cuisses magnifiques, solides et saines, et l’ensemble comblait entièrement la forme idéale d’un plein cintre renaissance. Puis le mouvement reprenait l’œil pour le faire monter de nouveau vers la taille, une taille à la fois fine et sérieuse, cohérente avec le tout, une taille qui n’avait rien de celle d’une guêpe mais plutôt une rassurante colonne de muscle tendre, capable de résister aux assauts des tempêtes qu’elle déclenche, une taille comme le tronc immuable d’un arbre adolescent qui regarde avec confiance défiler les siècles jusqu’à la fin du monde !
C’était comme si la promesse du Paradis s’était incarnée de nouveau parmi les hommes.
Devais-je crier ?
Devais-je ameuter le peuple ?
Que faire ?
Cela peut paraître étrange mais j’eus le sentiment de ne pas devoir garder ce Cul pour moi (son envergure me dépassait tellement) mais plutôt qu’il me fallait le traduire par un Acte de portée universelle, éclatant de sincérité, un engagement irrémédiable qui ferait basculer l’humanité dans la jubilation.
Ah, ce Cul ! Que n’aurais-je donné pour pouvoir soupeser les fesses de mes deux mains tremblantes, alliant dans mon geste la curiosité du primitif, la concupiscence naturelle du mâle et la prière du fanatique ? … Que n’aurais-je inventé pour faire cesser la course du temps et continuer ainsi mon rêve jusqu’à la disparition du ciel ?… Il était là, dans l’immobilité des statues anciennes, plein du mystère des œuvres antiques qu’il a fallu quinze siècles pour approcher de nouveau, exprimant en une forme qui les contient toutes le génie de la race humaine, son avenir, son éternité. Et moi, qu’avais-je fait pour mériter cet honneur, et comment allais-je me montrer digne de ma tâche ? J’avais devant les yeux ce que les plus grands artistes, les penseurs, les défricheurs, les découvreurs du monde entier avaient cherché depuis toujours, ce pour quoi étaient morts tant d’acharnés, la forme parfaite, la synthèse magique des savoirs, tenant et aboutissant des questions fondamentales qu’on pose, souvent mal, sur tous les continents et qu’on croyait insolubles. Je découvrais sans l’avoir voulu l’incontestable et définitive beauté du monde, son destin enchanté, l’explication indiscutable de la joie.


lundi 25 mars 2013

Conspi nation




Comme le rhume, les hémorroïdes ou les échardes qui viennent se glisser sous un ongle, l’esprit de conspiration a probablement toujours existé. Quand nos ancêtres se balançaient encore dans les arbres, certains d’entre eux savaient déjà que ça ne durerait pas, et qu’un groupe de dissimulateurs projetaient de s’installer au sol, ambition lourde de menaces. Evidemment, personne ne les crut, et l’on connaît la suite. Les descendants de ces singes-méfiants-à-qui-on-ne-la-fait-pas ont longtemps végété dans des caves, d’où ils tutoyaient quand même la lumière grâce à la perspicacité de leur esprit non-conforme.
Ces temps obscurs ne sont plus, et leur génie peut s’exprimer sans limite : nous avons désormais Internet !

Il est inutile de se perdre dans l’univers infini des Conspi pour en comprendre le fonctionnement : il tient en trois règles absolues
1) A part moi, tout le monde ment
2) La vérité se cache
3) Rien n’arrête un Conspi


Depuis que des avions piratés se sont écrasés sur les tours jumelles du World Trade Center (version officielle), les Conspi sont sur le devant de l’arrière-scène. Ils ont pignon sur rue dans les impasses, on les cherche, on les écoute, on les consulte, on met les projecteurs sur leurs sombres secrets. Le statut d’inconnus renforçait à leurs yeux la certitude d’être d’authentiques leveurs de lièvres, car il est bien établi qu’à l’inverse des vérités du même nom, celui « qui sait » sera toujours rejeté par la masse et pourchassé par le Pouvoir. L’ombre était non seulement son refuge, mais aussi son poste de vigie, et son titre de gloire. Le conspirationnisme est donc passé de l’âge bête à l’âge d’or, puisqu’il peut désormais entrer dans chaque foyer sur un simple clic, selon une expression naguère utilisée par le Général.
Jamais des chercheurs bâillonnés n’ont eu autant de monde suspendu à leurs lèvres.

La pérennité universelle des religions nous enseigne que pour durer, une théorie, une vision du monde, une explication du cosmos n’a ni besoin d’être crédible, ni prouvée, ni cohérente : il faut qu’elle soit mystérieuse. Là se trouve le secret de son succès auprès des foules, et celui de sa survie. C’est en ce sens que les Conspi peuvent être dorénavant considérés comme les prêtres nouveaux de la modernité : ils en ont les recettes, l’énergie et la candeur.

Ce qui étonne le plus chez ces curés-là, c’est que l’axe théorique autour duquel s’échafaudent leurs théories est aussi celui qu’ils se foutent dans l’œil en permanence : à l’inverse des religions anciennes, ils prétendent ériger le doute en principe, mais eux-mêmes ne doutent jamais de leurs propres conclusions, aussi peu vraisemblables soient-elles. Leurs conclusions convergent d’ailleurs vers un invariant : quelques manipulateurs (riches, puissants, Juifs, Américains, Francs-maçons, Catholiques dévoyés, résumons : occidentaux) enfument le monde depuis Cro-Magnon. Ils sont des as de la dissimulation systématique et permanente, capables de rester cachés des historiens et de la justice pendant des siècles, voire des millénaires. Et moi, moi tout seul, devant mon écran d’ordinateur et ma boîte de barres énergétiques, je fais éclater la vérité !
Si, par exemple, une « étude » conspi mettait en lumière que la première guerre mondiale aurait en fait été déclenchée par deux épiciers strasbourgeois se disputant le marché du lait en boîte, il faudrait au moins que son auteur soumette sa méthode au même crible critique que l’histoire dite officielle, façon de vérifier qu’il n’a pas merdé à une étape de l’étude… Mais non, plus l’histoire « révélée » est tordue, moins elle est vraisemblable, plus le Conspi se voit encouragé dans la voie de la dénonciation. Et plus le martyr auquel il aspire pointe à l’horizon sa promesse glaciale.


Dans la saga conspi, le plus surprenant est la permanence du manque de flair, l’absence surnaturelle de toute psychologie. Sachant qu’un secret partagé par plus de deux personnes est toujours un secret fichu, ces faux douteurs n’hésitent pourtant pas à imaginer qu’une machination impliquant l’Armée américaine, soixante chefs d’Etats, la sécurité routière, les douanes, la fine-fleur de la finance mondiale et mon beau-frère, puisse rester étanche, et éternellement. Les Conspi se foutent même absolument de cette objection de bon sens et n’y répondent jamais. A cet égard, ils sont assez comparables aux utopistes façon XIXème siècle : ils réalisent des montages intellectuels époustouflants, dépensent une énergie d’athlète pour tout savoir sur un événement ou un phénomène mais ne voient pas l’objection fondamentale que pourrait leur faire un enfant de sept ans : les hommes ne sont simplement pas faits ainsi. Sur le papier, on peut bien imaginer un phalanstère où la Raison règle tous les rapports humains. Mais dans la réalité, une simple rivalité amoureuse entre adolescents a plus de chances de se régler à coups de canif que de faire l’objet d’un débat serein et dépassionné entre les concurrents. Sur le papier, une machination réclamant un secret absolu est concevable, mais dans la réalité, quand le nombre de conjurés s’élève au dessus de deux, le secret est mal parti.

L’Histoire a donné à ces Conspi des occasions prestigieuses de s’exercer, et ils ne s’en sont pas privés. Quand on assassine un personnage important, quand on déclenche des guerres exotiques, quand on renverse des gouvernements, les Conspi ont l’impression de travailler pour l’Histoire. Mais ils savent aussi relier entre eux des faits divers, des anecdotes pour journaux racoleurs, d’infra-événements insignifiants, pourvu qu’un personnage déjà soupçonné de conspirer y ait un rôle. Car, c’est une constante remarquable, le protagoniste d’une « affaire », celui qui a eu le malheur de voir son nom mêlé à une conspiration, fût-elle la plus farfelue et la moins étayée, cet homme-là ne pourra plus rien faire sans qu’un grouillant bataillon de Conspi le traque, pour finalement découvrir que, cette fois-ci aussi, il s’agissait bien d’une conspiration (Berlusconi a été accusé d’avoir monté de toute pièce son agression publique de 2009, au cours de laquelle il fut légèrement blessé. L’image de sa tronche ensanglantée avait évidemment été décryptée comme une combine… à base de ketchup) !

Le Conspi est le degré le plus élevé dans une nouvelle faune citoyenne, où chacun est loin d’atteindre son niveau d’analyse.
Au sommet, donc, le Conspi, celui qui consacre des années de sa vie à dénoncer un complot, à en diffuser une analyse « alternative », à accuser les puissants dans le désert.
Ensuite viennent les Pro-conspi, ceux qui diffusent ces théories ou y font sans cesse référence, leur conférant ainsi une stature égale à toutes les autres. Souvent blogueur, le Pro-conspi est un douteur de seconde main, il emprunte à d’autres un doute « clé en main » et s’en sert comme le touriste emprunte un jet ski. Comme le con des plages, il s’amuse en croyant faire quelque chose d’utile.
Viennent enfin les Trouduc, c'est-à-dire le plus grand nombre. Les Trouduc sont ces innombrables clampins, trop feignants pour lire autre chose que les journaux gratuits, infoutus de construire la moindre argumentation solide sur les sujets qu’ils abordent pourtant sans vergogne, qui ont été cocus un si grand nombre de fois qu’ils sont devenus incapables de croire ce qu’on leur dit, mais sans savoir pourquoi. Ils ne croient à rien, sauf à l’infaillibilité de leur propre opinion. Le Trouduc entrevoit un bout minuscule de la complexité du monde et, se sentant écrasé, en conclut finement que c’est magouille et compagnie. N’ayant pas la capacité de concentration suffisante pour digérer une théorie souvent tordue, il se contente bien de ses conclusions. En revanche, aucune information parcellaire ne lui résiste, aucune rumeur ne lui est étrangère, aucun bruit de chiotte, si mince fût-il, n’échappe à ses oreilles d’âne. Si le Conspi ne vit que pour le complot, le Trouduc ne palpite que pour la magouille. Dans son esprit de joueur d’Euromillion, toute action humaine, surtout si elle concerne un « puissant », procède de cette ambition de VRP : faire de la thune. Il ne va pas plus loin et se contente d’une explication du monde à sa portée. Etant lui-même infoutu de penser large ou d’agir pour une raison un peu élevée, il rabaisse toute l’Histoire humaine à sa triste mesure.
Comme le Conspi, le Trouduc est un excellent marqueur du niveau moral d’une société.

Si le conspi s’attache aux détails, c’est peut-être qu’il est incapable d’apercevoir autre chose : il doute à son niveau. Il rassemble les miettes en ambitionnant d’en faire des pièces montées. Souvenons-nous de l’affaire Dominique Baudis, par exemple. Cet homme, notable important, fils de notable important, n’ayant pas l’habitude d’être suspecté de meurtre, eut le malheur de répondre en direct à des questions gravissimes en donnant l’impression de ne pas les prendre à la légère. Pas cool... Suspect. Pire que ça, de fins limiers firent remarquer que le bougre transpirait à grosses gouttes au moment où il certifiait que non, décidément, il n’avait pas ordonné de kidnapper des femmes, qu’il n’était pas un proxénète, par plus qu’un meurtrier. Il transpirait… bizarre, non ? Des journalistes relayèrent d’ailleurs le scoop sans plus de scrupule : un homme soumis à un interrogatoire télévisé doit garder son calme sous peine de renforcer les doutes. Et-ne-ja-mais-trans-pi-rer !
Ainsi, quand notre DSK national s’est retrouvé menotté à New York, on a entendu qu’il ne fallait pas se faire de bile pour lui, puisque, quelques années plus tôt, il s’était tiré sans encombre de l’affaire de la MNEF (sous-entendu : c’est un étouffeur de première).


L’affaire du 11 septembre est un modèle remarquable d’un type d’aveuglement encore plus stupéfiant : l’aveuglement devant les faits. Exemple parmi cent autres, le coup de l’effondrement comparé des tours du WTC et de celles qu’on démolit volontairement par explosifs. Dans des films qu’ils voulaient édifiants, les Conspi collèrent côte à côte deux types d’effondrements, en soulignant au ralenti leur ressemblance. Or, si une tour qu’on démolit volontairement s’effondre toujours du bas vers le haut (les étages bas étant soufflés, le reste de l’immeuble s’effondre – intact – sur ses bases), les tours du WTC, elles, firent EXACTEMENT L’INVERSE (les étages hauts s’abattent pulvérisés sur la base – intacte jusqu’au dernier moment). Malgré ce fait indéniable, prouvé par les films qu’ils diffusent eux-mêmes, les Conspi et leurs suiveurs ne parviennent pas à sortir de l’hallucination collective qui les englue.

Le Conspi, c’est un peu comme le partisan du mariage pédé : tu as beau lui dire que ça ne s’est jamais fait sous aucun régime et à aucune époque, il te rétorque quand même qu’il ne comprend pas tes réticences !

lundi 25 février 2013

Mon empire pour un cheval




Philippe Muray n’est plus là pour tenir la désespérante/désopilante chronique de la modernité en marche, mais nous pouvons nous inspirer de son effort et relever encore les attaques les plus dégueulasses contre le bon sens, les traditions et les modes de vie « rétrogrades ». Un bel exemple nous vient de Pologne, où des associations font, comme partout ailleurs, leur travail de flic. Là-bas, certains militants estiment que la foire de Skaryszew, datant pourtant du XVème siècle, doit cesser, tout simplement. Pourquoi ? parce qu’on y vend des chevaux. Ces militants prétendent qu’en plus de les vendre, les gens de la foire les maltraitent. C’est bien connu, avant de mettre en vente un animal, on le maltraite un bon coup, histoire d’y donner des couleurs. D’ailleurs, pour vendre son ordinateur portable sur Ebay, il est recommandé de l’assaisonner préalablement à coups de gourdin.

mercredi 13 février 2013

Les gens qu'on aime : Jules Berry


Jules Berry était né le 9 février 1883, une date pas plus mauvaise qu’une autre pour venir au monde. Si la médecine avait fait de réels progrès, il aurait fêté ses 130 ans parmi nous il y a trois jours.


Anecdote vécue la semaine dernière : je suis dans un groupe de 8 personnes, dont l’âge moyen tourne autour de 45 ans. J’évoque Jules Berry (me demandez pas pourquoi) : personne n’avait même entendu parler de lui. Je m’étonne. J’explique vite fait qui fut Jules Berry. On me rétorque que pour connaître un type mort en 1951, il faudrait vraiment avoir de la culture ! Je laisse tomber. (je précise que dans ce groupe, TOUTES les personnes sont diplômées de l’enseignement supérieur).

Jules Berry est le fantôme de ces cancres. Il vient ici, sous ma modeste plume, les tirer non par les pieds, mais par les oreilles, pour les mener de force au ciné club du coin. Ah, misère, on me parle de « culture » quand je pensais amour ! Amour du cinéma d’avant-guerre, cinéma populaire comme on n’en fit jamais plus, avec ses personnages ridicules, ses cocus, ses vieilles ganaches, ses types à moustaches, ses petits gros engoncés, ses enfants en culottes courtes, ses jeunes femmes aux sourcils épilés ! Et surtout, avec ses comédiens inoubliables. Ah, la diction des acteurs d’avant le charabia ! Tous formés au théâtre, où on ne plaisantait pas avec le public…

Jules Berry n’a pas fait que des chefs d’œuvre, loin s’en faut. Mais, comme dirait Jésus Christ, quel mérite y aurait-il à n’aimer que les types sans défaut ? En revanche, il fait partie de ceux qui illuminent par leur charisme personnel, de pauvres films justement oubliés. Il bouge, il parle, et ça fonctionne : allez expliquer ça ! Jules Berry est l’image d’une certaine flamboyance drôle et inquiétante. Il a créé le personnage du type louche mais beau parleur, souriant mais faux, qui trompe les hommes et dont toutes les femmes se méfient d’instinct. Chez Jules Berry, c’est tout le corps qui parle, les mains surtout, dans la gestuelle d’un saltimbanque qui aurait commencé sa vie professionnelle comme pickpocket. Elles sont là, ces mains, vivantes comme celles d’un chef d’orchestre, décrivant des lignes incompréhensibles, légères et nerveuses, caressantes, glissées soudain dans la poche d’un veston, tenant une cigarette en gardant toute leur liberté. Elles soulignent la nervosité du personnage qui n'est jamais au repos, qui donne furtivement des coups d’œil à droite et à gauche, tournant la tête à chaque instant comme pour s’assurer que personne d’autre n’écoute. Jules Berry, c’est l’orateur fascinant qui cherche à hypnotiser son interlocuteur, entre charme et embrouille.

Il faut savoir que bien avant les expérimentateurs à la Cassavetes, l’improvisation tint un grand rôle dans les interprétations de Jules Berry. Il faisait « du Berry » même quand ce n’était pas prévu, jouant avec son texte, ce qui explique que d’un film à l’autre, on a l’impression d’avoir déjà vu certaines scènes !
Son physique, son œil, son pif, son sourire et son phrasé l’ont souvent conduit à tenir des rôles d’ordures. Il a même joué le diable en personne dans Les visiteurs du soir : pour une ordure, jouer le diable, c’est un peu comme être élu à la présidence de la République, pour un ambitieux. Je recommande aussi son rôle d’ignoble dans Le crime de monsieur Lange, de Jean Renoir, dont voici un court extrait.



mardi 5 février 2013

Les gens qu'on aime : William Burroughs



William Burroughs aurait 99 ans aujourd’hui. Il était né le 5 février 1914, une date aussi bonne qu’une autre pour venir au monde.
Le 5 février 1914, bien sûr, personne ne savait qu’il deviendrait un des deux ou trois plus grands écrivains américains de son siècle. A St Louis du Missouri, tandis qu’il poussait ses premiers cris, on a dû se contenter de dire « oh, le joli bébé ». Des banalités, en somme.


Comme tous les personnages ayant fait naître une légende, William Burroughs est souvent aimé pour de mauvaises raisons. Il est aussi détesté pour de mauvaises raisons, mais c’est un cas plus fréquent. La première des mauvaises raisons de l’aimer, c’est de l’aimer sans l’avoir lu. Oui, des gens détestent des films qu’ils n’ont pas vus, des livres qu’ils n’ont pas lus, ils sont en désaccord avec des déclarations qu’on leur a vaguement rapportées, c’est assez courant. Avec les légendes, nous trouvons aussi le cas de gens qui aiment un auteur mais ne le lisent pas. Ainsi, on aime Jack Kerouac pour sa belle gueule, Hemingway pour sa barbe d’ivrogne, on adule Joyce pour les mugs Finnegans wake qu’on trouve à Dublin, on adore Proust pour les téléfilms sur La Recherche, Céline pour se fringues rapiécées, ses chiens, ses chats, sa femme et Bukowski parce qu’il s’est saoulé en direct à la télévision française. On aime Chet Baker pour les photos de Chet Baker. On aime le Che pour la barbe du Che !

Dans les mauvaises raisons d’aimer Burroughs, voici les plus fréquentes :
• il fonda le mouvement beat
• il fit l’apologie de la drogue
• il est cool
• il inspira les punks
• il lutta pour faire reconnaître l’homosexualité
• c’est le Buster Keaton de la littérature

Évidemment, rien de tout cela n’est vrai, c’est ce qui arrive quand on aime un écrivain sans le lire. La variante peut consister à avoir quand même lu les quarante premières pages du Festin nu, puis à imaginer avoir une idée précise de son œuvre.

On pourrait passer des heures sur le Festin nu ou sur la drogue selon Burroughs, mais ce n’est pas le sujet. Celui qui, lisant Burroughs, ne comprend pas que la drogue est la Marchandise absolue, celle qui met le consommateur dans un état de besoin impérieux, qui l’esclavagise, c'est-à-dire qui le rend le moins libre possible, qu’elle est la quintessence de l’asservissement consumériste, un produit-virus conçu pour remplacer le cerveau du camé et prendre le contrôle de son misérable corps pour le plus grand profit du fourgueur, enfin une marchandise proprement diabolique, celui-là est un définitif trou du cul.

Pourquoi on l’aime, Burroughs ? Pour sa puissance littéraire, qui est avant tout une puissance picaresque. Aventure, critique de l’ordre établi, satire puissante, naturalisme burlesque, inventivité formelle, liberté de ton et de structure. Peu d’écrivains sont aussi drôles que lui, et plus que drôles : comiques. C’est une des dimensions essentielles de Burroughs, systématiquement négligées par les arbitres critiques, personne ne sait au juste pourquoi. Peut-être ne faut-il pas vulgariser la haute teneur existentielle de l’œuvre burroughsienne, traitant de graves problèmes sociaux (drogue, sexe, esthétique de la marge), en laissant penser qu’il considérait la vie comme une comédie bouffonne ? Une certaine critique bien-pensante, de gauche, ivre de prises de conscience militantes, n’est certainement pas prête à rigoler des camés, des pédés, des clodos et des vieilles putes comme Burroughs le fit dans tous ses livres.
Burroughs lui-même revendiquait pourtant cette tradition qui va de Pétrone à Céline, en passant par Thomas Nashe, le Guzmàn de Alfarache ou Jacques le fataliste. Car on peut dénoncer la misère en en rigolant, on peut rire de ses malheurs (c’est même recommandé), on peut faire autre chose que se plaindre, ou du moins se plaindre platement, comme le premier écrivain engagé venu. Et surtout, on peut écrire sans prendre de gants.

Dans la tradition picaresque, le héros est toujours un pauvre type qui tente de sortir de sa condition, qui expérimente, bouscule, force les choses, un trublion qui met la société à l’épreuve, en révèle les aberrations et les hypocrisies, s’affranchit du bon goût et des convenances, pour finir généralement au même point qu’au début de ses aventures… Comme Céline, qui l’a beaucoup influencé, Burroughs a réussi à coller à cette tradition dans un contexte moderne, mieux : d’avant-garde. On trouverait d’ailleurs beaucoup de points communs dans leurs œuvres : expérimentalisme formel, non linéarité, utilisation de l’argot, cruauté comique, pornographie, implication personnelle, etc. On trouvera surtout la joie que donne le génie quand il permet qu’on le suive dans ses fulgurantes errances.


Bien sûr, il n’y a pas que du comique dans Burroughs ! Il y a aussi des obsessions malsaines, une paranoïa inquiétante, une pulsion de mort évidente et une indécence considérable. Il y a l’expérience de la drogue et son récit circonstancié. Il y a une capacité d’invention qui tient du grouillement. Il y a aussi une intéressante théorie du langage nourrie aux leçons des codex mayas, le langage comme pouvoir, langage viral implanté dans le cerveau, générations après générations, pour un contrôle absolu, discret et permanent, de la pensée… D'où un dantesque combat littéraire contre le langage, qui donne sa matière à toute l’œuvre.
Ce qu’on aime, dans Burroughs, c’est la profusion, le mouvement, le non-sens, les points de vue et de fuite, la poésie crade et l’analyse inquiète de la condition humaine. C'est l'énormité du rire et le détachement souverain.

mercredi 30 janvier 2013

Les armes de la dérision





Tout le monde connaît cette blague des deux mecs qui marchent sur un trottoir et qui s'arrêtent devant un truc posé au sol.
- Dis-donc, Jean-Pierre, tu vois ce que je vois ?
- Oui, on dirait bien que c’en est.
- Attends un peu... voyons ça de plus près.
Les deux types se foutent à quatre pattes se mettent à sentir le truc.
- Oh, là là, pas d'erreur, c'est une odeur caractéristique!
- Ha, ça oui, question parfum, on est fixé!
- Tu crois que c'en est?
- ben ça me semble clair... en tous cas, je suis presque sûr.
- Attends un peu... je vérifie quelque chose
Le type plonge son doigt dedans et goûte le truc
- Ha, là, je suis en mesure de te confirmer la chose : c'est bien de la merde!

Oui, il arrive assez souvent qu’une chose soit là, posée devant nous comme un bibelot sur une étagère, mais un curieux phénomène nous empêche de la voir. Au sens propre, nous la voyons, sans doute, mais le cerveau nous transmet une autre image. Comme le gars qui chante sous la douche et qui prend le bruit de l’eau pour des applaudissements. C’est son désir d’être admiré qui le conduit à entendre le son de l’admiration : des applaudissements.

Nous sommes devenus tellement sophistiqués, ou tellement benêts, que nous n’arrivons plus à nous contenter de ce que nous voyons. La réalité est comme une ombre de la réalité.
Un rappeur vient chanter qu’il veut « niquer la France » : nous entendons un appel vibrant à l’amour patriotique.
Un ministre vient nous dire qu’il va baisser les retraites, et nous entendons qu’une solution est trouvée.
Un empaffé soutient qu’il faut ficher les enfants dès la naissance, et nous entendons qu’il se soucie de notre sécurité.
L’OMC du socialiste Pascal Lamy somme la France d’ouvrir tous ses marchés à la concurrence, écoles comprises, et nous continuons à croire que les gouvernements de gauche nous protègeront du libéralisme…

Aux États-Unis, le débat sur la vente des armes est relancé. Chacun a sa petite opinion, chacun son article constitutionnel sous le bras. L'enjeu est de taille, et il n'est pas uniquement financier. Plus étonnant, le Français aussi a son avis sur la chose, bien que pour un Français, la chance d'être consulté dans un référendum américain sur la vente des armes est égale au zéro absolu. Qu'importe, en France, on a le droit d'avoir un avis sur tout, y compris sur des conneries. D'ailleurs, moi-même, ici-même, j'ai un avis...

Dans cette histoire d’armes en vente libre, c’est un peu comme dans la blague sur la merde. Tout le monde peut aller dans un supermarché, observer de ses propres yeux les gens qui y déambulent. Tout le monde peut lire les journaux, creuser la question de l’insécurité, de la dégradation du sens civique, de l’inflation des violences civiles, tout le monde peut constater les effets du mimétisme en matière de comportements lamentables (l’homme est en effet plus enclin à imiter un héros tarantinien qui fait parler la poudre pour une place de stationnement, plutôt qu’à mettre ses pas dans ceux de l’abbé Pierre ou de Henry Dunant, c’est ainsi), tout le monde connaît la déliquescence du sentiment collectif dans les grandes métropoles, tout le monde peut se renseigner sur la violence ordinaire des cours d'école. Et pourtant, dans ce pandémonium où l’incrédulité le dispute au désarroi, certains estiment qu’il manque un élément : des armes en vente libre. Oui, dans le métro à 23 heures ou dans un stade de football le samedi, dans une zone sensible ou le 31 décembre sur les Champs-Élysées, à la sortie d’une boîte de nuit ou à celle d’un collège en Zep, ce qui ramènerait un peu d’harmonie, ce sont quelques armes de fort calibre.
Comment une telle évidence ne nous a-t-elle pas depuis longtemps rassemblés ?

Regardons ce petit film, et tâchons d’en voir tout le charme sociologique…