mercredi 16 octobre 2013

L'artiste engagé



Nous avons pris l’habitude d’entendre des artistes, musiciens, comédiens, cinéastes, boute-en-train, donner leur avis sur à peu près tous les sujets traversant l’actualité. Ainsi, nous apprenons qu’une chanteuse à l’eau de rose s’oppose à la Politique agricole commune, qu’un plasticien engagé déplore la fin de l’indexation des retraites, ou qu’un écrivain quasi ermite, consulté sur la modération des taux directeurs de la banque centrale du Botswana, confie sans ambages qu’il est plutôt pour.

Cette tendance est assez récente : la célèbre interview de Brel, Brassens et Ferré par François-René Christiani en 1969 n’abordait presque aucun de ces sujets généraux, et les trois artistes s’y montrèrent assez prudents. En gros, aussi surprenant que cela nous paraisse, on les interrogea surtout sur leur art : la chanson.
Hélas, depuis lors, négligeant toute prudence, des artistes d’un calibre beaucoup plus modeste se font presque une spécialité d’intervenir sur tout à grands coups de gueule. Plus que d’analyses, c’est de leur simple opinion qu’ils nous gratifient, en vertu du principe que les opinions se satisfont d’elles-mêmes, sans avoir à répondre de la vérité, de la justesse ni de la cohérence.

mardi 15 octobre 2013

Guiomar EST Bardamu


Je n'ai pas eu la chance d'entendre les spectacles de Luchini sur Céline. Cela viendra peut-être. Luchini est un grand acteur, un artiste complet, et sa passion pour Céline est absolument réelle. Mais voilà, quoique fils du peuple, il n'a pas la gouaille. Il n'a pas le physique. Il lit et comprend Céline, mais sait-il vraiment l'interpréter ? Ne l'ayant pas vu, je garde ce point d'interrogation sous le coude et y ajoute un triolet de suspension...

Un qui a su le faire, à coup sûr, c'est Julien Guiomar, l'acteur énorme. Écoute ça, lecteur incrédule, et dis-nous si tu imagines un accord plus parfait entre un texte et le mec qui le dit!

J'ai extrait cette perle d'une émission sur l'architecture de l'impeccable François Chaslin, sur France Culture. Je suis preneur de toute information sur le document complet, s'il existe, et suis prêt à buter pour l'obtenir. Qu'on se le dise...



vendredi 11 octobre 2013

Plantu bricole le dimanche




Evidemment, Plantu a toujours été et sera pour l’éternité une sorte de merde. Un bien-pensant comme on n’ose plus les imaginer, comme on n’en trouve plus même dans les romans d’Alexandre jardin, une machine à penser comme un manche qui plastronne depuis un demi millénaire dans le plus formidable torchon de la presse globale. Evidemment, nous ne sommes pas encore assez séniles pour penser à « commenter-le-dessin-de-Plantu », cet exercice qui définit le con aussi sûrement qu’un thermomètre mesure le réchauffement des haricots. Nous pouvons même nous vanter de nous en foutre énormément, du dessin de Plantu, et à longueur d’année de nous en torcher le figne en guise d’hommage.
C’est pas compliqué : le con-qui-commente-le-dessin-de-Plantu est généreusement partisan de tous les lieux communs, de toutes les certitudes de benêt que ce gribouilleur étale sans frémir sur le puant fleuron de notre presse crevée. Il a même un credo, une conviction d’ordre religieux qu’il claironne de toute la force de son museau dégoûtant : « un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ». Là, quand on atteint ce degré de niaiserie, il n’y a plus que l’euthanasie. Quand on se montre aussi fier de sa bêtise, il n’y a plus qu’à prier pour le retour de la grippe espagnole. Quand un imbécile est si sûr de son impunité, quand il ose exprimer un tel étron verbal, il n’y a plus qu’à distribuer les armes à la populace, et que tout finisse dans un bain de sang !
(Faites un essai : tapez « Plantu » sur gougeule et jetez un œil aux dessins qui en sortent : vous saisirez immédiatement les nuances entre « affligeant », « médiocre », « lamentable », « poussif », « pas-drôle-du-tout », « à vomir » et « absolument à chier ». Vertu du dessin plantudesque, sans doute : il en dit plus long dans l’infâme que de longues définitions !)

dimanche 6 octobre 2013

Les enculés du dimanche



Le Leroy Merlin de Cochons-sur-Marne est dirigé par un entrepreneur si fier de sa mission qu’il n’a pas hésité, en ce dimanche 6 octobre 2013, à ouvrir le magasin, bravant la loi, la tradition, les Églises, les syndicats et le socialo-bolchévisme. Ses salariés volontaires ont donc répondu à sa demande comminatoire et n’ont pas craint de quitter conjoints et enfants pour accomplir une mission bien plus haute que la vie de famille, bien plus glorieuse que l’existence humaine, bien plus rémunératrice qu’une visite à une vieille mère veuve crevant de solitude : vendre du profilé de 12 et de la cheville Molly pour dix euros trente de l’heure.

Hélas, si les autorités ne protègent plus la loi et l’intérêt général que d’une couille molle, certains citoyens restent déterminés à défendre un privilège des plus odieux : celui qui consiste à pouvoir jouir ensemble de ce que la vie leur donne avec parcimonie : du temps. Ce matin, donc, une demi-heure après son ouverture, le Leroy Merlin de Cochons-sur-Marne a été envahi par deux cents solides gaillards enduits de vaseline, encouragés du dehors par autant de dames, au son des fifres et des castagnettes. Soudain, pour les cadres et employés du lieu, il ne s’agissait plus de braver la loi dans le sens du vent libéral, il ne s’agissait plus de courir un risque par la procuration que donnent l’appui d’une immense puissance, d’une fortune considérable et d’un troupeau de députés aux ordres, il s’agissait de faire face à deux cents mastards dénudés, déployant leurs chybres sous l’œil impuissant des caméras de surveillance. Ce sont d’ailleurs ces caméras, hackées comme à la parade, qui diffusèrent en direct dans tous les autres magasins du groupe les scènes qui s’ensuivirent, et qui n’améliorent certes pas à l’extérieur des frontières, l’image de notre pauvre pays. Quand on pense que cette forfaiture s'est déroulée dans une enseigne connue pour sa grande délicatesse, qui avait su allier le bon goût français et l’excellence entrepreneuriale qui caractérise les plus belles réussites tricolores…

Le commandant de gendarmerie Foufinaud, arrivé sur les lieux après la bagarre avec ses troupes, m’a personnellement livré quelques éléments.

Beboper
Monsieur le commandant, pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
Le commandant Foufinaud
Nous sommes encore en recherche d’éléments, mais je peux d’ores et déjà vous relater le contenu des images diffusées par les caméras de sécurité. Il s’agit, et le mot n’est pas trop fort, de la plus grosse enculerie que j’aie vue. Et pourtant, j’ai fait mes classes sous François Mitterrand !
Beboper
Que voulez-vous dire ?
Le commandant Foufinaud
C’est simple : tous les salariés présents ce dimanche matin viennent de subir une attaque terroriste d’un genre nouveau, au modus operandi bien particulier.
Beboper
C'est-à-dire ?
Le commandant Foufinaud
L’enculade collective.
Beboper
Les assaillants ont enculé les vendeurs de bricole ?
Le commandant Foufinaud
Exactement. Tout le monde y a eu droit. C’est un crime contre l’humanité.
Beboper
Il s’agit donc de viols ?
Le commandant Foufinaud
Ce n’est pas si sûr : il semblerait qu’au moment de l’assaut, les employés de Leroy Merlin avaient déjà le pantalon sur les chevilles.
Beboper
Comme s’ils s’attendaient à être enculés ?
Le commandant Foufinaud
Je dirais même comme s’ils étaient venus pour ça…L’enquête doit suivre son cours. Quoi qu’il en soit, les salariés défoncés ne pourront pas prétendre qu’ils ont absolument tout fait pour éviter les coups de bites. Venir travailler les fesses à l’air, ce n’est quand même pas prudent.
Beboper
Que la France vous entende, mon commandant ! Avez-vous pu arrêter ces sodomites ?
Le commandant Foufinaud
Non. Ils se sont égayés dans la nature comme des faunes.
Beboper
Pouvez-vous nous dire ce que font les employés de Leroy Merlin en ce moment ?
Le commandant Foufinaud
Eh bien, c’est assez incroyable, ils ont repris leur travail comme si de rien n’était. Chacun a repris sa besogne et ne manifeste aucune surprise. Nous n’avons pour l’instant aucune explication à ce phénomène. Ils ont même décliné notre offre de soutien psychologique !
Beboper
Un peu comme si l’action de se faire enculer ne les avait pas surpris outre mesure, en ce dimanche laborieux ?
Le commandant Foufinaud
En tout cas, les professionnels de notre cellule de soutien psychologique semblent bien plus désemparés que les victimes de l’attaque.
Beboper
Mais, dans ce cas, que font vos hommes ici ? Avez-vous été alertés par la direction de Leroy Merlin ?
Le commandant Foufinaud
Pas du tout. Les dirigeants ne voient pas pourquoi les forces de l’ordre se mêleraient de l’enculage de leurs salariés (qui, je le rappelle, sont ici par la grâce du volontariat), et nous sommes déterminés à respecter la liberté de venir travailler. Nous avons en fait été appelés par les clients.
Beboper
Ont-ils eux aussi subi les gros zobs ?
Le commandant Foufinaud
Non, les terroristes du gland les ont tous laissé sortir du magasin pendant qu’ils y commettaient leur forfait. Dehors, les femmes les attendaient avec des canons à goudron et des sacs de plumes. Nous pouvons parler de carnage.
Beboper
Comment ? Ce gros tas dégueulasse derrière nous, c’est un amas de clients ?
Le commandant Foufinaud
Oui, on ne sait combien ils sont là-dessous au juste, nous allons les arroser de glycérine pour tenter de dissoudre un peu le goudron. Puis nous gratterons le reliquat à la pelleteuse. Ensuite, nous verrons bien s’ils peuvent encore servir.
Beboper
Pourquoi ne pas les laisser en l’état, et en faire un monument à la gloire de la consommation ?
Le commandant Foufinaud
Je n’ai pas les compétences artistiques pour une telle initiative.
Beboper
Oh, je vois deux employés de Leroy Merlin en train de prendre leur pause nicotinée. Puis-je me permettre ?
Le commandant Foufinaud
Faites.
Beboper
Bonjour messieurs. Alors, comment vous sentez-vous ?
Les deux couillons
Comme un dimanche !