samedi 7 juin 2014

Le retour de la grosse chatte poilue


Vous voulez passer pour un immense connard ? Dites du mal de Gustave Courbet. Dites que vous n’aimez pas son œuvre, ou que vous vous chiez sur sa mémoire, ou que vous dites merde au réalisme en peinture. Pire encore : dites que « l’Origine du monde » n’est qu’une blague de potache poussée à son point de perfection. Alors là, si vous soutenez ça dans certains cercles éclairés, vous êtes sûr de recevoir pour votre anniversaire le T.shirt « je suis un sale nazi ».

L’Origine du monde est une œuvre totalement merdique, et ceci depuis 1866. La différence d’avec 1866, c’est que notre époque a tellement saturé l’espace public de chattes, que plus personne aujourd’hui ne peut être « interpellé » par la foufoune originelle. Ni interpellé, ni choqué, ni même excité. Aujourd’hui, Gustave, on a des chattes sur les paquets de lessive, ou presque ! Les chanteuses pour adolescentes nous la foutent sous le nez en rigolant ! Évidemment, on ne peut pas reprocher à Courbet de n’avoir pas deviné que 2014 exposerait l’entrecuisse de ces dames jusque sur les abribus. Le Gustave, il a fait une œuvre de commande carrément olé-olé, il est allé à l’essentiel pour un commanditaire désireux d’étoffer sa collection d’érotiques.
L’histoire est bien connue : Khalil Bey, le diplomate ottoman à l’origine de l’Origine, possédait déjà le Bain turc d’Ingres, entre autres, et s’y rinçait l’œil avec délectation. Mais, comme tous les érotomanes, il lui en fallait toujours plus. D’où Courbet et d’où, peut-être, le parti pris brutal : une chagatte, et rien d’autre ! De là à s’extasier…


L’histoire de l’art occidental ne manque pas de chattes, de culs ni de nichons formidables. On peut même dire qu’il tourne autour de ces trois pôles : vous les enlevez, que reste-t-il ? Jésus-Christ, les vierges à l’enfant et les couchers de soleil 1820. Imaginons que des extra-terrestres arrivent sur terre dans cent mille ans : la planète est vide d’humains mais des œuvres d’art ont survécu. En étudiant ces vestiges, les hommes verts croiront que l’humanité n’était composée que de gonzesses splendides, à fortes tendances exhibitionnistes. L’art ayant été fait à 99% par des hommes, il est assez logique que la femme y règne en despote. Qui s’en plaindrait ?
En faisant de la femme la figure essentielle de l’art, les hommes ont manifesté de façon évidente que tout procède d’elle, et que tout ce qui mérite d’être adoré est fait à son image. Depuis les premières statues stéatopyges de nos ancêtres à poil long, tous les hommes n’ont jamais dit que cela : le femme est l’origine et la fin de tout. Il fallait ce gros lourdaud de Courbet pour y foutre son coup de zoom, et représenter la femme en tant que matrice. Tu parles d’un tableau féministe ! Que penserait-on d’un homme qui exposerait sur son bureau le portrait de sa femme réduite à l’essentiel : sa chatte et ses seins ? L’Origine du monde, c’est l’art détaillant.

Courbet est un peu comme Georges Brassens, ou Apple : ses fans sont tellement insupportables qu’on en arriverait à le détester, malgré son évident génie. De toute façon, la plupart des gens qui affirment « j’adore Courbet !» ne font allusion qu’à l’Origine du monde. C’est peut-être qu’ils ne connaissent que ça... Il faudrait pourtant être con comme un manche pour retenir d’une œuvre comme celle de Courbet son tableau le plus idiot, relevant de l’astuce et du jeu de mots : un tableau digne de passer chez Ruquier. Le plus joli étant sans nul doute l’attitude réfléchie des couillons passant dix minutes en contemplation devant l’Origine, au musée d’Orsay : dix minutes les sourcils froncés devant une foune, comme s’il y avait autre chose à voir qu’une foune ! Un tableau comme Le sommeil, du même Courbet, relève d’un érotisme saphique de toute première catégorie. Il permet à l’esprit de partir à la recherche de signes, de références, de détails, de nuances. Il raconte une histoire. Il s’inscrit dans une tradition, qu’il taquine à sa façon. Mais l’Origine du monde, c’est l’étal du viandard. C’est le détail qui se fait plus gros que l’ensemble. C’est l’escalope qui s’affranchit de la dinde. C’est la peinture à visée priapique. C’est le plus court chemin entre l’œil et la main de l’homme. Ça ne va pas plus loin. C’est d’ailleurs littéralement fait pour ça.


Un étudiant en histoire de l’art pourrait facilement expliquer que nous avons rompu avec la représentation. Il est aujourd’hui tout à fait permis de coller une chemise sur une toile, si on veut représenter une chemise. Et pour représenter un pot de Nutella… ben te fais pas chier, Kévin, pose un pot de Nutella sur une table ! OK. A l’époque, pour que son Turc s’astique le manche, Courbet s’était quand même fendu d’un travail d’un vérisme irréprochable. Le Turc, d’ailleurs, aurait pu se contenter d’une photo, mais il a préféré une représentation, la version picturale d’une chatte plutôt que sa reproduction photographique encore plus fidèle. S’il vivait aujourd’hui, et s’il adhérait au dogme nouveau de l’art, il se contenterait de mater l’abricot de madame, tranquille, chez lui, en grignotant des pistaches. Puisqu’on vous dit que la représentation ne peut pas lutter contre la force brute de la réalité ! Et c’est comme ça que l’art disparaît…
La nana qui, cette semaine, a dévoilé son mille feuilles devant le tableau de Courbet a parfaitement assimilé la caractère principal de notre époque : elle n’y va pas par quatre chemins. Tu veux de la chatte ? Voilà de la chatte ! Elle ne va quand même pas se casser le tronc à représenter une chatte, alors qu’elle en porte une sur elle en permanence ! Elle s’inscrit dans la droite ligne de l’art contemporain dominant, dans les quatre lettres qui résument à la fois ses méthodes et son aspiration essentielle : CASH. Ce coup de projecteur lui fera rapidement goûter aux délices de la manne publique, n’en doutons pas.

Évidemment, comme chaque fois, le spectacle de quelqu’un qui-n’y-va-pas-par-quatre-chemins nous apparaît pour ce qu’il est, et ce qu’il ne peut qu’être : une obscénité. Exactement ce qu’était l’Origine du monde. Mais au moins, Courbet l’assumait-il. Nous autres, contemporains, n’avons plus cette chance : les artistes d’aujourd’hui s’expriment littéralement avec leur anus, mais prétendent que le fumet qui s’en dégage est de rose. Et interdiction d’y flairer autre chose ! Et pas question de considérer qu’une femme assise par terre, jambes ouvertes et montrant son saint-frusquin à la foule (qui ne demandait rien) est avant tout obscène, bande de Dupont-la-joie ! Après son vagin-à-tous-les-vents, l’écarteuse artistique nous exposera bientôt le plus obscène : son concept. Elle nous apprendra qu’il est urgent de revisiter l’œuvre de Courbet, d’interroger le XXIème siècle sur la place fétofam, de convoquer Simone de Beauvoir et la mère Tapedur, de bousculer l’académisme muséal pour faire bouger les lignes. Elle alignera les éléments de langage comme le premier sous-préfet venu et, comme lui, sera bientôt récompensée par les autorités en place. Najat Vallad-Belkacem lui foutra la Légion d’honneur. Un musée lui offrira six cent mètres carrés pour une exposition de trois mois, qu’elle passera assise sur son cul, sans culotte, le compas bien écarté. Les classes de CM2 défileront, hébétées, durant leur stage « chaque semaine, brisons un tabou ». Les subventions publiques lui permettront de vivre son extrémisme dans un confort jadis réservé aux rentiers. Un moulage de son con sera proposé au prix Nobel. Mais l’Origine du monde restera le tableau le plus grotesque du monde d’avant.