vendredi 28 novembre 2014

Bégaudons !

L’historien du futur qui aura l’idée d’étudier les archives des médias pour reconstituer ce qu’aura été la vie quotidienne de gens au XXIème siècle risque une gourance de première catégorie. S’il croit par exemple que les polémiques médiatiques, les offuscations automatiques des barons de la presse et de leurs relais citoyens, ont un quelconque rapport avec la vie réelle des gens, eh bien je ne donne pas cher de l’Histoire qui s’écrira après nous.

Il y a quelques semaines, un certain Willy Sagnol a eu la mauvaise idée de parler des joueurs africains et des joueurs qu’il appelle « nordiques » (comprendre : blancs). Or, il est impossible de faire voisiner ces deux thèmes non pas dans une même phrase, mais dans une même interview, sans déclencher l'hystérie. Partout ailleurs dans la société, vous pouvez discuter des mérites respectifs de vos joueurs préférés, vous pouvez critiquer celui-ci, encenser celui-là, dire qu’un troisième est une glinche finie et qu’un quatrième est visiblement con comme un manche. Mais dans les médias, pas question. Ce qu’on a reproché au gars Sagnol est cousu de fil blanc : racisme. Qu’avait-il donc dit ? Que les joueurs africains « typiques » étaient choisis pour leur puissance physique et le faible coût qu’ils représentent. Bon, le mec est entraîneur, il doit connaître son marché, c’est sans doute vrai. Cependant, il a ajouté une chose impossible : « Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline ». Horreur ! Immédiatement lui sont tombés dessus tous les vigiles patentés de la morale et de la bonne marche du monde. En disant cela, Sagnol sous-entendrait que technique, intelligence et discipline ne sont pas les qualités habituelles du joueur « typique » africain. Ceci est un épouvantable scandale.


dimanche 2 novembre 2014

L'atonalisme contre les heures sombres


Lecteur, je te conseille furieusement de prendre cinquante-neuf minutes de ton temps pour regarder la vidéo ci-dessous. C'est un document exceptionnel. Il traite de la musique atonale, autrement appelée musique moderne, autrement appelée musique contemporaine. Il en traite d'une façon à la fois savante et simple, démonstrative et drôle, ce qui est extrêmement rare, et en fait tout l'intérêt.

En avril 2013, Jérôme Ducros donne une conférence au Collège de France : l'atonalisme. Et après ? Il y développe une analyse et une critique de la musique atonale en utilisant les ressources de sa propre expérience, celles du corpus atonal, et une belle dose d''ironie. Il y démontre de façon claire et implacable que l'atonalisme est une impasse. Son idée est tout entière contenue dans le titre de sa conférence : constatant les limites de l'expérience atonale (et ne jetant certainement pas celle-ci aux orties), il prédit le "retour" prochain de la musique tonale.

Comme tu t’en doutes, lecteur, Jérôme Ducros est, depuis lors, régulièrement traité de nazi. On l’a comparé aux pires monstres du siècle passé et, si personne n’a osé évoquer Dracula, c’est probablement parce que nous ne connaissons pas précisément les goûts du Comte pour la musique. Comme chaque fois avec les avant-gardes, nous sommes obligés de constater que la critique est non seulement impossible mais aussi interdite. Interdite sous peine de se voir traîner dans la boue, de se voir attaqué bassement par les défenseurs auto-proclamés de la liberté. Interdite surtout parce qu'elle suppose le risque d’une mise à l’écart de la vie professionnelle et sociale : qui voudrait continuer de fréquenter un nazi ? Qui lui donnerait du travail ? La seule critique autorisée est donc celle qu’on pratique entre soi, la critique de surface qui ne remet jamais réellement les choses en cause.
Curieux renversement des valeurs : l’art contemporain est né de la volonté de faire table rase du passé, il s’est développé au nom du droit à la déconstruction des valeurs anciennes, il a pris la liberté comme valeur fondamentale mais, sitôt qu’un insolent à la moindre velléité d’appliquer ce programme à l’art contemporain lui-même, il est réduit au rang des nazis. Si on critique vraiment l’art contemporain, non pas comme un beauf qui ne comprend rien mais grâce aux secours de la grande culture, à la manière d’un Jean Clair par exemple, c’est qu’on est nazi. A croire que pour les idolâtres de l’art contemporain, les nazis ont le monopole de la critique !

A part sa vanité absolue, ce qui étonne le plus, dans ce genre d’accusation, c’est le gouffre qui la sépare de la réalité constatable. On peut reprendre les arguments de Jérôme Ducros un à un, on ne trouvera rien qui puisse l’apparenter à ce que les nazis pensaient de l’art moderne. Nulle part il n’est dit quoi que ce soit qui puisse faire penser que Ducros souhaiterait qu’un sort horrible soit fait aux musiciens de l’atonalisme, nulle référence à des déportations, à des procès de lèse bon goût, à la fameuse « dégénérescence » de l’art, nulle proposition d’un art nouveau et formidable censé relever le moral du peuple, rien. Il reconnaît ses mérites à l’atonalisme mais, à l’inverse de ses bigots, il en démontre les limites. C’est un genre de crime, définir la limite, qu’un moderne conséquent ne saurait pardonner.