jeudi 29 janvier 2015

La grande frayeur du matamore



La grande frayeur du matamore, son obsession, c’est le réel. Clamer et déclamer restent toujours possibles, le matamore y trouve son rôle favori. Mais en son for intérieur, il craint de devoir passer à l’action.
La France a-t-elle un génie spécial sur ce point ? Sa nature favorise-t-elle l’apparition de ce type d’hommes ? Ce serait étonnant. Au moment propice, de nombreux pays voient naître un matamore en forme de ministre qui, toute glotte dehors, vient remplacer la sincérité par les décibels, le courage par le rodomont, l’intelligence par le gueulage, et qui fait passer aux yeux des benêts, l’incantation hurlée pour de la grandeur. Nous, nous avons Manuel Wallz.


Soyons juste : s’il est difficile d’écouter Manuel Walz, ce n’est pas tant pour ce qu’il dit que pour l’horrible son que produit sa bouche. Sa voix rappelle celle d’un mec qui double des acteurs grimaçants d’une série Z japonaise des années 70 : mélange de sécheresse surjouée, d’efforts pour paraître terrible et de ridicule tartarinesque. Il ne parle pas, il claque des portes. Son timbre métallique, l’énergique conviction qu’il met dans la moindre de ses phrases et sa maîtrise absolue du froncement de sourcils le désignent sans conteste comme le Michel Sardou de la politique.

Il porte le stigmate de l’adjudant : même parvenu au sommet du pouvoir, il n’imagine pas possible de s’arrêter de gueuler pour se faire entendre. Devenu général, il continue de faire lui-même la revue de chiottes. Et que ça brille ! D’où ce ton martial qui tourne un peu à vide. Étonnamment, aucun des ses nombreux parasites conseillers ne l’a averti que ni l’autorité ni le charisme ne sont fonction des effets de mâchoires. La chose serait pardonnable si le premier ministre n’avait pas, sous les yeux, le déplorable exemple du précédent Président de la république, lauréat du titre de « plus grande trompette de France » (titre ravi à Charles Pasqua). Le verbe guerrier et la crâne assurance de Sarkozy ne l’ayant pas protégé de la défaite, pas plus que ses promesses virilement trompettées, Manuel Valse devrait réfléchir à deux fois avant d’endosser le rôle…

A moins qu’il ne s’agisse d’une tactique de renards : composer, entre les deux têtes de l’Exécutif, une sorte de couple efficace en renouvelant le bon vieux truc des contraires qui s’assemblent ! Comme dans les séries policières, où toutes les variations de la combine furent tentées (un flic blond et un flic brun, un flic blanc et un flic noir, un type et une nana, un jeune et un vieux, un finaud et un abruti, etc.), c’est peut-être sciemment que la France est dirigée par un gueulard pète-sec et un mollasson joufflu ? Comme Chirac et Raffarin, comme Elie et Dieudonné, comme Doublepatte et Patachon avant eux, Hollande et Valtz renouvellent peut-être, sous nos yeux, le duo comique.

Les années 1980 avaient vu l’émergence de ce qu’on appelait les battants. Aux jeunes générations, il faut d’abord expliquer que ce terme n’avait aucun rapport avec les portes ni les fenêtres. Il décrivait une certaine attitude belliqueuse, une soif de gagner, un esprit d’entreprendre qu’on voulait faire passer, en ce temps-là, pour totalement nouveaux. Jacques Chirac, déjà cité, était le type même du battant en politique (il fut longtemps aussi le type du battu, mais c’est un autre sujet). Bernard Tapie en fut un autre, et de quelle façon ! Le battant devait être jeune de corps et d’attitudes, il devait bien entendu se battre chaque jour pour faire triompher ses convictions, il devait mettre de l’énergie dans tous ses actes, même quand il nouait son nœud de cravate. La franche poignée de main d’un battant pouvait, disait-on alors, briser la main d’un assisté social…


La mode des battants est heureusement passée, ils ont laissé la place. Avec l’aggravation de tous les problèmes qu’ils promettaient pourtant à une solution rapide, nous sommes aujourd’hui passés à l’étape supérieure : les guerriers. On ne combat plus, on écrase. On ne lutte plus, on ratatine. Serait-ce à coups de mots, on escagasse, on foudroie, on démantèle. Nicolas Sarkozy fut le premier à en lancer la mode, et à en codifier pour longtemps le gymkhana. A la Force tranquille mitterrandienne, à la Force pépère de Chirac 2, il a opposé la Force qui te casse les couilles : footing chaque matin, cyclisme d’élite en compagnie de Michel Drucker, inflation d’initiatives, verbe haut, parlé non seulement « vrai », mais aussi « n’importe comment », omnipotence fonctionnelle, index levé, menaces publiques, bellicisme verbal, promesses vertigineuses, etc. Avec lui comme avec Manuel Walss, toute décision relève d’un engagement total, tout projet, même quand il traite des crèches maternelles, ressemble au D.Day.

Les moments dramatiques de ces dernières semaines ont été une nouvelle occasion d’entendre rugir le matamore. En particulier quand il s’est agi de faire barrage à la seule et vraie menace qui pèse sur le pays : Dieudonné. Promptement embastillé, celui-ci est accusé d’apologie du terrorisme (!) par le Pouvoir. Il a déclaré se sentir « Charlie Coulibaly », expression qui plonge derechef tout homme normal dans la dubitation : que peuvent bien signifier ces deux mots accolés ? Question qui n’effleure ni la cuirasse matignonne ni le Parquet : en taule ! Les pires châtiments sont évoqués pour ce mot : sept ans de prison et cent mil euros d’amende ! Un ivrogne a bien pris quatre ans fermes pour moins que ça… (A titre de comparaison, pour trois infanticides, Véronique Courjault fut condamnée à 8 ans, et n’en purgea que 4…).

Dieudonné sera jugé bientôt, et nous verrons ce que la justice décidera. Entre-temps, il a donné l’explication de texte de son mot incriminé : il n’avait visiblement pas vocation à être drôle, ni provocateur, ni surtout à vanter la geste coulibalienne, il décrivait le traitement dont Dieudonné estime être victime : agissant comme Charlie, je suis traité comme Coulibaly. Mais visiblement, le seul fait de prononcer le nom du salopard, du moins quand on s'appelle Dieudonné, ne peut être qu'une sorte de crime. On a connu des libertés de s'exprimer plus réelles... Valche n’a pas pu s’empêcher d’évoquer Dieudonné dans son discours devant l’Assemblée nationale, confirmant ainsi que son écrabouillement est bien désormais une affaire d’Etat. Devant la simplicité et la cohérence de la mise au point de Dieudo, on se demande bien ce qui restera de ces envolées terribles au point de vue pénal. Même s’il n’en restait rien, le matamore saura déplacer ailleurs ses paquets de décibels et continuera d’employer la foudre contre les adversaires dérisoires. D'ailleurs, devant l'absence absolue de résultat de sa politique dans tous les domaines, pourquoi ne pas imaginer que le beuglement soit le seul programme de l'Ambitieux ? Il sait que la France aime ça, et qu'elle attend qu'on la malmène... On a la politique qu’on peut. Au moins n’a-t-il pas promis, lui, d’inverser la moindre courbe.