vendredi 24 juin 2016

Brexit, mon amour



Samedi dernier, profitant d’un trajet en voiture, j’écoute l’émission de Christine Okrent sur France-Culture, Affaires étrangères. Elle traite du brexit. Pour se faire une idée juste de la chose, Okrent a invité deux spécialistes ès qualité, tous deux opposés au brexit. Recette moderne éprouvée : les meilleurs débats sont ceux qui n’opposent aucune idée à une aucune autre. Imaginons le principe okrentien appliqué à l’Euro de foot : Le France rencontre le Portugal, mais il n’y a que des joueurs français sur le terrain… Heureusement, mon trajet fut de courte durée.



A la faveur du trajet retour, je tombe sur l’émission suivante : L’économie en question, le genre d’émission où de savants économistes nous prouvent, à leur insu, que leur science est aussi scientifique que la divination de l'avenir dans des entrailles de poules. Le sujet : ce que le brexit pourrait changer à l’économie. Là encore, trois personnes se postillonnent dessus pour savoir si la perspective de sortir de l’Union européenne est bonne ou mauvaise pour les angliches.Leur point commun : elles sont toutes opposées à ce que le Royaume Uni nous dise zut. Bigre ! me dis-je in petto, encore un commando de la justice et de la vérité, délégué sur les ondes pour nous apprendre ce qu’il faut penser des velléités souverainistes ! Le concert est parfaitement rodé, le blabla ronronne autour de poncifs sentant le vieux clacos oublié dans un sac de sport : les britanniques encourent une considérable catastrophe s’ils sortent de l’Europe. Leur monnaie se cassera la gueule, leurs exportations itou, et leurs joueurs rougeauds de rugby perdront trente kilos chacun ! Au milieu de toutes ces conneries, j’apprends tout de même une chose : selon un sondage, plus les Anglais accordent de l'importance à l’économie, plus ils veulent rester dans l’Europe. A l’inverse, plus ils considèrent que la culture, l’identité, l’art de vivre et la possibilité de décider de son destin sont essentiels, plus ils veulent en sortir. Evidemment, pour nos trois savants, ce type d’opinions relève d’une sorte de maladie mentale.

Les arguments des opposants au brexit sont en acier trempé : si les Britanniques sortent de l’Union, ils vont devoir affronter une calamité économique sans précédent, une dévaluation de la Livre, un big problem d’exportations, une panade épouvantable au niveau international, etc. Ils parlent d’une nation qui domina le monde avant même la naissance de l’Union européenne, qui bâtit un empire jamais vu, qui inventa le capitalisme, la séparation des pouvoirs, la démocratie moderne, une part prépondérante des sciences modernes, qui inventa le sport, le tourisme, la machine à vapeur, qui résista au nazisme et imposa, en passant, sa langue au monde entier. Cette nation-là, mesdames et messieurs, croyez-le ou non, doit pourtant TOUT à l’Union européenne, par un tour de magie de la chronologie historique qui nous dépasse tous ! Cette nation d’élite ne survivrait pas un quart d’heure à un regain de souveraineté, qu’on se le dise !
Parvenue à ces niveaux d’intensité, la propagande réunit le sublime et le grotesque, marie la manipulation de masse et la farce, annihilant presque toute velléité de résistance sous la force obèse de son culot.

N’étant pas anglais moi-même, je ne pourrai me prononcer sur le brexit. C’est dommage, car j’aurais dit oui sans hésiter. Mon opinion se justifie facilement : quand la bourse de Londres dit non, quand les journalistes économiques et les économistes eux-mêmes disent non (les mêmes qui n’ont rien pigé de la merde dans laquelle nous sommes plongés à intervalles réguliers depuis cinquante ans, oui), quand le Medef dit non, quand les politiciens français disent non, quand Christine Okrent dit non, j’ai invinciblement tendance à penser le plus grand bien du oui.